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L’ex-présidente lettone agit pour la santé reproductive

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[image:2,s]Vaira Vike-Freiberga, présidente de Lettonie de 1999 à 2007 et première femme présidente d’un État de l’Europe de l’Est, s’est rendue à Washington pour une série de rencontres sur les pratiques reproductives, la santé mondiale et le développement, intitulé « 7 milliards : Conversations sur la bonne gouvernance au service des femmes ». Elle est membre du Conseil des dirigeants mondiaux d’Aspen pour la santé reproductive. Madame Vike-Freiberga a rencontré John Donnelly pour évoquer les multiples aspects de la santé reproductive des femmes et la nécessité pour les médecins de traiter les patientes avec plus de dignité. Au détour d’une réponse, elle a également évoqué un épisode de sa jeunesse au Maroc, quand un homme plus âgé a essayé de persuader son père de le laisser l’épouser.


GlobalPost : Comment avez-vous commencé à vous intéresser aux questions liées à la santé reproductive chez les femmes ?


Vaira Vike-Freiberga : Au cours de ma présidence, j’ai observé l’étendue des besoins en matière de droit des femmes qui restaient à satisfaire. La question de la santé reproductive y figurait, toujours plus essentielle dans un contexte de croissance démographique rapide. En tant que femme et en raison de certaines expériences personnelles au cours de mon existence, je me suis forcément sentie concernée par ces questions.
Depuis la fin de mon deuxième mandat, comme tant d’autres anciens chefs d’État, je suis engagée dans certaines structures internationales pour continuer à débattre et à agir en m’appuyant sur mon expérience. Je suis particulièrement active au sein du Club de Madrid, qui s’est engagé dans plusieurs projets liés à l’émancipation des femmes. J’ai été en Ouganda pour tenter de convaincre le gouvernement de concéder le droit de propriété aux femmes, puis en Colombie pour faire face aux difficultés des familles déplacées sur ce qu’on appelle la route de la drogue. En Lettonie, nous avons constaté que nos indicateurs sur la santé reproductive des femmes, en termes de mortalité maternelle et mortalité enfantine, étaient à la traîne au sein de l’Union européenne. Depuis l’indépendance, ces chiffres se sont améliorés. Pendant la période soviétique, aussi, les avortements existaient.


GlobalPost : Qu’est-ce qui a changé, depuis, pour les avortements ?


Vaira Vike-Freiberga : Depuis l’indépendance, ils ont baissé.


GlobalPost : Pourquoi ?


Vaira Vike-Freiberga : Grâce à une meilleure mise à disposition des contraceptifs et de meilleures structures de planning familial.


GlobalPost : Vous êtes membre du Conseil des dirigeants mondiaux pour la santé reproductive. En quoi est-ce que ce groupe va contribuer à avancer sur ces questions sociales ?


Vaira Vike-Freiberga : Il existe deux façons de voir les choses. D’abord, chaque membre continue à se montrer actif dans son propre pays en accentuant la pression sur les législateurs et en sensibilisant la population, tant les femmes que les médecins. J’ai entendu plusieurs histoires de femmes en Lettonie qui racontaient que leurs médecins les traitaient mal. Leur attitude envers les patients est inadmissible. Au Canada et aux États-Unis, l’attitude vis-à-vis des patientes pourrait également s’améliorer. Ces docteurs traitent les femmes comme des moins que rien. On devrait rappeler aux professionnels de la santé qu’échanger à bon escient avec les patients contribue à résoudre bien des difficultés, surtout lorsqu’il s’agit de femmes et de jeunes filles.
La deuxième façon d’approcher la question consiste à travailler dans des pays où les droits des femmes sont totalement ignorés ou n’existent pas, et où faire accepter les changements est un casse-tête. En Ouganda, plusieurs tentatives du Club de Madrid n’ont pas réussi à faire reconnaître les droits de propriété aux femmes. La situation est particulièrement critique dans le nord de l’Ouganda où « l’armée de Resistance du Seigneur » a tué un grand nombre d’hommes, et où une femme risque l’expulsion d’une terre qu’elle cultivait depuis des années.


GlobalPost : De quelle façon allez-vous convaincre, dans d’autres pays ?


Vaira Vike-Freiberga : Il faut rester modestes. Si l’on arrive en tapant du poing sur la table, ça ne marche pas. L’astuce est de convaincre avec subtilité. Il faut dire : « Nous savons comment cette politique a été mise en œuvre, nous savons que vous êtes en train de faire de votre mieux, mais vous ne pensez pas qu’il serait mieux pour votre pays d’entreprendre quelques réformes ? » Il s’agit de trouver des arguments pour convaincre tous les intervenants concernés que nous leur proposons un échange gagnant-gagnant, sans faire de sermons ni imposer sa volonté.


GlobalPost : N’est-il pas très difficile de changer des pratiques culturelles ancrées ?


Vaira Vike-Freiberga : Bien sûr, certaines coutumes sont enracinées depuis plusieurs générations. Je pense à la mutilation génitale féminine, à l’excision : parfois, ce sont les femmes elles-mêmes qui sont persuadées que quand leurs filles vont se marier, elles devront être « propres ». Cette épreuve culturelle, qui est complètement perverse, a été perpétuée par les femmes elles-mêmes. J’ai lu un livre sur l’abandon de cette fameuse pratique qui consistait à bander les pieds des petites filles en Chine. Rien n’a pas changé jusqu’à ce que la classe dominante réalise qu’il fallait que ça change, que c’était la chose la plus intelligente à faire. Je pense aussi aux mariages des enfants dans le monde. C’est une question sociale qui affecte les droits de celui que la jeune fille devra épouser.
Pour chacune de ces questions, il faut des partenariats. Il faut de la détermination à agir. Si l’on veut voir des changements sociaux, quel qu’il soit, il faut d’abord changer les mentalités. Premièrement, il faut définir le dysfonctionnement social, comme l’a fait l’institut Aspen ou les organisations du réseau des Nations unies, en collectant des faits et des chiffres sur la situation dans un certain nombre de pays. Les étapes suivantes, on les connaît. Il ne s’agit pas d’arriver avec la solution miracle et d’attendre que quelque chose survienne. Nous sommes les fantassins d’une armée mondiale qui essayons de faire avancer les choses.


GlobalPost : Vous avez parlé de « certaines expériences de vie » qui vous ont motivée à vous engager pour ces questions. Les préciserez-vous ?


Vaira Vike-Freiberga : J’ai grandi au Maroc, j’y ai connu la peur de ma vie. Il y avait un homme qui travaillait avec mon père, qui lui a demandé la permission de m’épouser. Il offrait en échange 10 000 francs, deux ânes et un chameau. Je n’avais que 11 ans. Mon père lui a répondu : « Ma fille n’a que 11 ans, et elle doit aller à l’école. » Je me souviens de la réponse de l’homme : « D’accord, je peux attendre, j’offrirai un couple de chameaux en plus et elle pourra aller à l’école, et quand elle aura fini vous pourrez me l’amener. » Mon père a cru que c’était une blague, bien sûr. Mais moi, j’ai eu peur. Ma famille venait d’arriver depuis un camp de réfugiés en Allemagne et nous n’avions absolument rien. On ne traite pas une jeune fille ainsi.


GlobalPost : Ainsi, vous savez ce que ressent une jeune fille aujourd’hui lorsque ses parents lui demandent ou lui imposent d’épouser un homme plus vieux…


Vaira Vike-Freiberga : Oui, c’est vrai. La plupart d’entre elles doivent se sentir comme moi je me suis sentie. Elles n’ont pas le choix. C’est une chose affreuse.


 


GlobalPost/Adaptation Mélania Perciballi – JOL Press

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