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Leymah Gbowee, au nom de toutes les femmes

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Une nuit, Leymah Gbowee a fait un rêve. Dans ce rêve, elle rassemblait les femmes de sa paroisse et, ensemble, elles priaient pour la paix. Du rêve à la réalité… la jeune femme hésite avant de passer à l’action.

Une jeune assistante sociale

Elle a à peine 30 ans et est déjà mère d’une famille nombreuse – elle a six enfants aujourd’hui. Née en 1972 au centre du Libéria, elle a rejoint Monrovia, la capitale, à 17 ans. Peu après, éclate la première guerre civile entre les forces du président Samuel Doe et celles du chef de la rébellion, Charles Taylor. Au terme de ses études, elle est devenue assistante sociale, psychologue et se retrouve au chevet des enfants soldats de l’armée de Charles Taylor.

L’appel œcuménique à la prière

En 2002, alors que la deuxième guerre civile bat son plein contre le régime autoritaire de celui qui est désormais le président Taylor, elle passe le pas. Elle rassemble des femmes chrétiennes, luthériennes pour la plupart, et devient leur chef de file. Elles prient, entre elles d’abord, puis avec leurs voisines musulmanes. Un Dieu ou deux mais, au-delà des divisions religieuses qui gangrènent la société libérienne, une seule prière, une prière pour la paix dans un marché aux poissons de la ville.

À la tête de manifestations de femmes

Elles prient, puis commencent à manifester, en défilant pacifiquement. Elles s’organisent en créant leur mouvement, Women of Liberia Mass Action for Peace – Action de masse pour la paix des femmes du Libéria, Leymah Gbowee reste à leur tête. « Dans le passé, nous étions silencieuses. Depuis, nous avons été tuées, violées, on nous a ôté toute dignité humaine et contaminé avec toutes sortes de maladies. En regardant la guerre détruire nos enfants et nos familles, nous avons compris que notre futur réside dans notre capacité à dire non à la violence et oui à la paix », explique-t-elle alors. Fines stratèges, elles disposent d’une arme « de dissuasion massive » : la grève du sexe. <!–jolstore–>

« Faiseuse » de paix

Leur mobilisation leur permet de décrocher une rencontre avec Charles Taylor. Elles obtiennent de lui la promesse de sa participation à des discussions de paix au Ghana. Leymah y conduit une délégation exclusivement féminine et continue à faire pression sur les parties en présence tout au long des tractations. L’opération est couronnée de succès, la guerre civile s’achève en 2003. Deux ans plus tard, Ellen Johnson Sirleaf remporte le second tour de l’élection présidentielle face à l’ancien footballeur international George Weah, et devient ainsi la première femme à diriger un État africain.

La fin de l’enfer

Leymah Gbowee ne baisse pas les bras et n’oublie pas les horreurs de la lutte armée. Dans un documentaire qui lui est consacré, Pray the Devil back to Hell – Priez pour renvoyer le diable en enfer –, elle se souvient : « Oui, c’était l’enfer sur terre. Mes enfants avaient été fatigués et affamés leurs vies entières. Chaque jour, vous vous couchez en priant que le lendemain les choses changent. Que les tirs cessent, les assassinats, la faim. » Un bilan effroyable de plus de dix ans de guerre civile : 250 000 morts et des centaines de milliers de blessés.

Pour la paix partout

Vêtues de tee-shirts blancs pour symboliser la paix, par milliers, ces femmes continuent à manifester. Elles s’imposent comme une véritable force politique, en première ligne pour s’opposer à toutes les formes de violence et forcer le gouvernement à rendre des comptes. Leymah crée d’abord le Women in Peacebuilding Network (WIPNET), un réseau de femmes luthériennes engagées dans la construction de la paix. Puis elle dépasse les frontières du Libéria pour agir à l’échelle de toute l’Afrique de l’Ouest.

La vérité et la réconciliation

Aujourd’hui, elle travaille à Accra au Ghana pour le Women Peace and Security Network Africa (WPSNA) – le réseau africain des femmes pour la paix et la sécurité dont la mission consiste à encourager à de meilleures relations de voisinage au sein de la région. Dans son pays, elle est la commissaire désignée de la Liberia Truth and Reconciliation Commission, la commission vérité et réconciliation chargée de faire la lumière sur les exactions des deux guerres civiles et en tourner enfin la page.

Le prix Nobel de la paix, un couronnement

À plusieurs reprises, dans les dernières années, l’action et la détermination exemplaires de Leymah Gbowee avait été honorées par des prix sur la scène internationale. L’attribution du prix Nobel de la paix 2011 est un couronnement, mais aussi un formidable encouragement à poursuivre sa lutte, la lutte non-violente des femmes pour leur sécurité et leur droit à prendre pleinement leur place dans la recherche de la paix durable. Elle n’a pas encore 40 ans.

Deux jours après l’annonce faite à Oslo, Leymah Gbowee débarque à l’aéroport de Robertsville, à une cinquantaine de kilomètres de Monrovia. À sa sortie du terminal, elle lit sur une banderole : « Bienvenue à la lauréate du prix Nobel de la paix. » Une centaine de femmes de son mouvement, toutes religions confondues, l’attendent. Comme à leur habitude, elles se rassemblent et prient. Revêtue du tee-shirt qui vient de lui être offert, Leymah s’adresse à elles : « Je vous remercie. Je voudrais pouvoir ouvrir mon cœur pour que vous puissiez voir ce qu’il y a dedans. Soyons un exemple pour le reste du Libéria. » À l’avant-veille du 1er tour de l’élection présidentielle du mardi 11 octobre, malgré le regard critique qu’elle porte sur six années de démocratie, elle adresse ses félicitations à sa co-lauréate du Nobel, la présidente-candidate Ellen Johnson Sirleaf. La paix par la vérité et la réconciliation, façon Leymah Gbowee.

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