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Nobel de la Paix 2011 : les acteurs du «printemps arabe» favoris

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[image:1,l]Traditionnellement, chaque année, le Peace Research Institute Oslo (PRIO), un institut de recherche, indépendant, international et interdisciplinaire, éminent producteur d’études sur la paix et la résolution des conflits, rend publics ses pronostics pour le prix Nobel de la Paix. Depuis 2009, Kristian Berg Harpviken en est le directeur. Voici ses favoris pour 2011.


Le Nobel de la Paix récompense d’abord une cause


Le choix du comité Nobel s’appuie, en partie, sur les nominations reçues avant le 1er février de chaque année. Pourtant, si le contexte international le justifie, les membres sont libres de sélectionner d’autres lauréats.


Pour Kristian Berg Harpviken, deux critères pourraient influencer le jury dans son choix. Premièrement, compte tenu du contexte international, le comité pourrait regarder du côté des acteurs de la vague de soulèvements – et, parfois, les changements de régime – qui a balayé – et balaie encore – l’Afrique du nord et le Proche-Orient. Ce « printemps arabe » est indéniablement l’événement politique de l’année. Le comité, dans sa composition actuelle, a fait part de sa volonté de rester pertinent, de privilégier les enjeux du moment présent et de faire en sorte que le prix donne un coup de pouce à des processus en cours.


Deuxième critère : selon Harpviken, le prix devrait aller à une femme, responsable politique ou militante, à l’origine d’une avancée significative dans les moyens d’établissement de la paix. Au cours des dix dernières années, seules deux femmes, l’Iranienne Shirin Ebadi en 2003 et la Kenyane Wangari Maathai en 2004, ont été distinguées – et dix seulement dans toute l’histoire du comité. Désigner une femme délivrerait un signe crucial alors que débute la deuxième décennie du siècle. Ensuite, il apparaît important de ne pas récompenser quelqu’un qui exerce une fonction officielle – on se souvient des réactions suscitées par le choix de Barack Obama en 2009. Ainsi, serait-il essentiel de montrer que, même sans mandat, il est possible d’affecter le cours de l’histoire en s’appuyant sur les innovations disponibles.


Récompenser les nouvelles formes du journalisme


Récompenser, à travers le prix Nobel 2011, le journalisme ou une pratique journalistique – en l’occurrence l’utilisation à des fins politiques d’un nouveau média – pourrait aussi servir de nouveau critère, inédit, et qui pourrait s’inscrire parfaitement dans la définition de la paix par le comité comme la promotion de la démocratie et des droits, comme de la liberté d’expression.


À partir de ces postulats, Kristian Berg Harpviken a identifié ses favoris pour le Nobel 2011. Les quatre premiers ont, par leur créativité et leur courage, permis d’élargir les moyens d’établissement de la paix dont dispose la société civile. Le cinquième est de longue date un défenseur du dialogue et de la compréhension entre les religions du monde.


Israa Abdel Fattah et le Mouvement de la Jeunesse du 6 avril en Égypte


[image:2,s]Israa Abdel Fattah est l’une des fondatrices du Mouvement de la Jeunesse du 6 avril. Cette jeune femme de 32 ans est devenue l’une des principales représentantes du mouvement en faveur d’une transition politique pacifique en Égypte. Critique virulente du régime Moubarak, démocrate par conviction, partisane de la non-violence, elle s’est aussi distinguée par son utilisation des médias sociaux.


Son arrestation en 2008 a provoqué de fortes réactions. Elle fut alors libérée après deux semaines avant de réapparaître en 2011 parmi les voix fortes de l’opposition. Son mouvement fut d’abord établi sous la forme d’une page Facebook, administrée par Israa et Ahmed Maher, possible co-récipiendaire du prix. Depuis lors, le Mouvement du 6 avril a évolué en une vaste coalition de groupes, ouvert notamment à des individus proches des Frères musulmans. Son rôle dans le soulèvement qui aboutit au départ d’Hosni Moubarak est considérable.


Wael Ghonim, de Google à la place Tahrir


[image:3,s]Autre candidat possible parmi les personnalités marquantes en Égypte, Wael Ghonim, ingénieur informatique et cadre chez Google. Il a joué un rôle déterminant lors des manifestations pacifiques de la place Tahrir, au Caire, et passe pour avoir été à l’origine de la relance du mouvement en juillet 2011.


 


 


 


 


 


 


En Tunisie, un Nobel qui sentirait le jasmin


[image:8,s]En gardant à l’esprit les thèmes clés du Nobel – démocratie, droits de l’homme et paix –, tournons-nous la Tunisie. À la différence de l’Égypte, peu de leaders se distinguent. Selon la rumeur, le « peuple tunisien » dans son ensemble aurait été nominé. Une première, si tel devait être le cas. Une candidate toutefois existe, Radhia Nasraoui, avocate spécialisée dans les droits de l’Homme et engagée de longue date comme critique des gouvernements du pays.


 


 


 


 


Lina Ben Mhenni, une bloggeuse bien ancrée dans le réel


[image:4,s]Lina Ben Mhenni est une bloggeuse tunisienne, maître de conférences à l’université, très critique à l’égard des tendances autoritaires du gouvernement ben Ali. Mhenni continue à critiquer les médias conventionnels, après la chute de l’ancien régime. Pour elle, peu de chose a changé dans la manière dont les journalistes exercent leurs activités au quotidien. Elle considère personnellement son rôle comme mineur, et ne voit dans les médias qu’un facteur secondaire de la réussite du soulèvement : « S’il n’y avait eu qu’Internet, nous n’aurions jamais atteint nos objectifs. Il y a des gens qui sont morts, d’autres qui ont été blessés. Ce sont des sacrifices bien supérieurs à ceux consentis par les militants de l’Internet. »


Ory Okolloh, jamais sans son téléphone mobile


[image:5,s]Au-delà de l’Afrique du nord et du Proche-Orient, d’autres options se présentent. Ory Okolloh est une militante kenyane qui s’est distinguée en utilisant la technologie du téléphone portable au service du contrôle des violences et de la corruption par les citoyens.


Elle a encouragé cette pratique, durant les violences qui entourèrent les élections de 2007 au Kenya, en créant un site Internet qui recensait systématiquement les actes délictueux à partir de l’envoi par les témoins de textos. Elle les localisait même sur des cartes de Google Maps !


 


Louise Arbour pour services rendus et à rendre


[image:9,s]Harpviken songe aussi à l’International Crisis Group (ICG), qui associe un agenda militant solide, un programme intitulé « Responsability to Protect » (R2P), à une analyse approfondie pour influencer les décisions politiques. L’ICG pourrait partager le prix avec sa nouvelle directrice, Louise Arbour, ancienne commissaire des Nations unies aux droits de l’homme et procureure aux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.


 


 


 


Democratic Voice of Burma, clin d’œil à Aung San Suu Kyi


[image:10,s]Une autre option : les favoris de l’année dernière. La Democratic Voice of Burma (DVB), une agence de presse qui s’appuie sur la diaspora birmane et qui a déjà largement démontré sa capacité à œuvrer avec liberté sous la férule d’un État policier.


 


 


 


 


Wikileaks et Julian Assange ? Non !


[image:6,s]Dans la catégorie des observateurs indépendants, l’on cite Malahat Nasibova, journaliste et militant des droits de l’homme dans l’enclave du Nakchivan en Azerbaïdjan. Souvent mentionné aussi, Wikileaks et son fondateur, Julian Assange… Probablement a-t-il été totalement disqualifié par la récente publication de l’intégralité des câbles diplomatiques américains et ses déboires avec la justice.


 


 


 


Ghazi bin Muhammad, une paix royale pour les religions


[image:7,s]Le comité norvégien Nobel pourrait honorer une autre cause, le dialogue et la compréhension entre les religions. Plaiderait dans ce sens l’intérêt renouvelé pour la problématique du conflit entre les civilisations, les challenges posés par le multiculturalisme et la montée des populismes dans la plupart des pays occidentaux. D’où pourrait sortir le choix de Ghazi bin Muhammad, professeur de philosophie de la foi islamique à l’université de Jordanie et membre de la famille royale jordanienne. Il joue un rôle essentiel dans la promotion du discours interreligieux et il serait reconnaître ses efforts pour engager les responsables politiques dans un débat sur les relations entre l’islam et les autres confessions.


Memorial tourne le dos passé


Dans un autre domaine, Memorial est une organisation russe qui enquête sur des violences ou des injustices historiques, avec pour objectif de promouvoir la réconciliation entre les peuples, la démocratie et les droits de l’homme. Un prix Nobel attribué à Memorial serait sans doute partagé par un ou plusieurs de ses principaux membres, comme Svetlana Gannushkina, cofondatrice et membre du Conseil présidentiel pour les institutions de la société civile et les droits de l’homme en Russie.


Remarquable est la façon dont cette organisation appréhende la documentation historique en dépassant les conflits du passé, plutôt qu’en encourageant l’approche purement légaliste des tribunaux pénaux d’exception établis au cours des deux dernières décennies.


Cette organisation est aussi très active en Tchétchénie où le conflit est encore en cours. Son engagement sur le terrain a coûté cher à Memorial. Ses archives ont été fouillées et en partie confisquées par les autorités. La responsable de son bureau tchétchène, Natalia Estemirova, fut enlevée et retrouvée morte en 2009, et son responsable du moment risque des poursuites judiciaires pour ses commentaires sur la mort d’Estemirova. Un tel choix apporterait aussi une réponse à l’idée selon laquelle la présence de Torbjørn Jagland, secrétaire général du Conseil de l’Europe, à la tête du comité Nobel norvégien, empêche l’attribution du prix à un militant de la société civile russe.


Des institutionnels de la réconciliation et de la vérité


Le choix pourrait aussi se porter sur Sima Simar, dont l’action à la tête de la commission indépendante des droits de l’homme afghane devient d’autant plus importante à l’approche du retrait programmé des forces de l’Otan. Ou encore Pumla Gobodo-Madikizela, un psychologue, membre de la commission Vérité en Afrique du sud, ou Richard Godstone, responsable de la commission d’enquête des Nations unies sur les violations des droits de l’homme et des règlements humanitaires durant la guerre de Gaza en 2008-2009.


« J’ai trois cents idées par an, et si une seule fonctionne, je suis satisfait », répétait souvent Alfred Nobel. Kristian Berg Harpviken a fait sienne cette formule. Qu’un seul nom dans la liste qui précède fonctionne, et il sera satisfait… Réponse, vendredi 7 octobre à Oslo.

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