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Quand le hip-hop devient une arme

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États-Unis, Palestine, même combat

Tout a commencé au milieu des années 1990, quand Tamer Nafar, adolescent à l’époque, commence à regarder les clips musicaux de la légende américaine Tupac. Ce qu’il vit alors sur l’écran, les rues crasseuses et criminelles de Los Angeles, lui était très familier, tout était comme à la maison. 
Tamer est originaire de Lod, le ghetto le plus connu d’Israël, à vingt minutes des beaux boulevards de Tel Aviv. Mais dans ce ghetto, les rues sont étroites, les murs couverts de graffitis, les vitres brisées et les maisons en ruine. Le sentiment de sécurité était étranger à Lod. Pendant l’enfance de Tamer, les coups de feu et les meurtres font partie de la routine.

Mais ce n’est pas uniquement la pauvreté et la violence que Tamer reconnaît dans les paroles de Tupac, Y figurent aussi la discrimination et le racisme. Tous les deux font partie d’une minorité sous la coupe d’une majorité, Tupac en tant qu’Afro-Américain dans ce qu’il appelle « A White Man’s World », et Tamer comme Palestinien en Israël.

Chanter pour exister

[image:3,s]En écoutant cette musique, Tamer commence à comprendre que le rap peut être un moyen de résister à la réalité dans laquelle il vit. Il commence donc à écrire et à dire à sa famille et à ses amis qu’il veut devenir rappeur. « Ils pensaient que je plaisantais, dit aujourd’hui Tamer, 32 ans. Et en fait, je pensais, moi aussi, que je plaisantais. »
Deux ans plus tard, devenu sérieux, il se produit sur la petite mais très prometteuse scène israélienne, s’y fait un nom et partage même la scène avec certains artistes juifs israéliens. « C’était une histoire de famille. Mais ce n’était pas politique. C’était pour de belles choses comme la paix ou d’autres causes. Mais on sortait vraiment de la réalité. »

Dam, en pleine Intifada

En 1999, le petit frère de Tamer, Suhell, et leur ami Mahmoud Jreri, issu de Lod également, prennent le train du hip-hop en marche et créée Dam, ce qui signifie « Éternité » en arabe et « sang » en hébreu. Premier groupe de rap palestinien, et l’un des pionniers du rap arabe, Dam superpose des rythmes hip-hop à des mélodies arabes.

« On a ouvert nos bouches, on a eu la réalité », disait Suhell. La deuxième Intifada a commencé en septembre 2000, et les violences entre Israéliens et Palestiniens ont atteint leur paroxysme, quelques milliers de morts dans les deux camps à la clé. Le racisme entre les deux clans est plus vicieux que jamais. Dam, à ce propos, avait quelque chose à dire. En citant une expression du rappeur américain DMX, Tamer explique : « Nous voulions dire aux Israéliens, “marchez dans nos chaussures et vous vous blesserez les pieds”. » Armé de mots, Dam appelle à se mettre à la place des Palestiniens avant de juger la jeunesse qui jette des pierres.

Le temps des premiers succès

En 2000, ils publient leur premier titre, Innocent Criminals, enregistré en hébreu sur la bande-son de Hail Mary, de Tupac. Quelques mois plus tard, c’est le succès avec Mein Irhabi (« Qui est le terroriste ? »). Les paroles, chantées en arabe, sont assez surprenantes pour le style de culture de l’époque :
« Vous laissez les petits enfants jeter des pierres !
N’ont-ils pas de parents pour les garder chez eux ?
Quoi ?
Vous avez dû oublier que vous avez enterré nos parents sous les gravats de nos maisons
Et maintenant que mon agonie est immense
Vous m’appelez “terroriste” » ?

Mein Irhabi, le premier grand succès de Dam

Les Palestiniens ne tarissent pas d’éloge et les Israéliens enragent. Ils accusent Dam d’encourager le terrorisme et les kamikazes. Subliminal, le rappeur le plus populaire d’Israël et ancien ami de Tamer a vite réagi : « Tu veux qu’on parle de l’ennemi sioniste ? Ok, je suis là. »

Avec Dam sous les projecteurs, la chanson s’est exportée et a été téléchargée plus d’un million de fois après sa sortie en ligne, un exploit pour un groupe peu connu et sans maison de disque. Rolling Stone en France a ensuite distribué la chanson gratuitement, et Le Monde a consacré Dam « voix d’une nouvelle génération ». Peu après, le trio allait devenir le symbole de la jeune génération frustrée de tout le Moyen-Orient.

Témoins d’une nouvelle génération

Dix ans et deux albums plus tard, Dam est toujours le groupe palestinien de résistance, mais mieux connu. Ils ont réalisé plusieurs tournées en Amérique du Nord et en Europe où ils se sont produits avec Talib Kweli, Michael Franti et Dead Prez. Ils ont attiré l’attention d’un public de libres penseurs. Et même certains grands du hip-hop, ceux qui avaient fait rêver Tamer plus jeune, ont dû prendre des notes.

« Quand nous étions à Brooklyn il y a quelques années, nous avons rencontré Chuck D », se souvient Tamer, un sourire aux lèvres. « Nous avons eu la bénédiction du roi. »
Ils ont également eu la bénédiction d’Hollywood. L’histoire de Dam a été à l’honneur au Festival du film de Sundance en 2008 où le groupe a fait l’objet d’un documentaire primé, Slingshot Hip Hop, qui retrace la naissance et la croissance des rappeurs palestiniens, de Lod aux artistes qui ont suivi les traces de Dam.

À propos de la création de Dam

La réalité du ghetto de Lod

Malgré leur succès, Tamer, Suhell et Mahmoud vivent aujourd’hui toujours à Lod, ils affirment que leur engagement à la cause des Palestiniens est plus fort que jamais. Pendant qu’ils écrivent et qu’ils chantent la vie des Palestiniens dans les territoires, une grande part de leur travail se concentre sur les Palestiniens qui, comme eux, sont restés après l’établissement de l’État en 1948.

1,2 million aujourd’hui, en comparaison avec les 4 millions qui vivent à Gaza et en Cisjordanie, les Arabes-Israéliens sont confrontés à une très dure réalité. Inégalités structurelles, chômage et criminalité sont des menaces constantes. Selon un rapport de 2009 de l’Organisation pour la coopération économique, les Arabes-Israéliens, qui représentent aujourd’hui 20 % de la population israélienne, font face à un taux de pauvreté d’environ 50 %. Lod, le quartier de Dam, est la capitale du meurtre et de la drogue.

Les Arabes-Israéliens : ni Arabes ni Israéliens

L’enfer des Arabes-Israéliens ne s’arrête pas là. Les Palestiniens qui vivent en Israël subissent une discrimination, pas seulement chez eux, mais aussi de la part des plus importantes communautés arabes qui les considèrent comme traîtres parce qu’ils vivent dans un État juif.

[image:4,s] « Les Israéliens ne nous aiment pas parce que nous sommes arabes, et les Arabes ne nous aiment pas parce que nous avons des passeports israéliens, parce que nous sommes citoyens », estime Mahmoud. S’il est lui-même citoyen d’Israël, il se ressent comme un citoyen de seconde zone. « Avoir un passeport israélien ne signifie rien. Quand je vais à l’aéroport, ils pensent toujours que je suis un terroriste. Peu importe comment vous l’appelez, nous vivons dans un pays raciste. »

Le racisme entre Israéliens et Arabes est en constante augmentation

Un groupe de fanatiques connu sous le nom de Price-taggers a récemment vandalisé et brûlé une mosquée dans un village arabe du nord, Tuba Zangaria. Quelques jours après, pendant la fête du Yom Kippour, des pierres tombales de chrétiens et de musulmans ont été dégradées à Jaffa, l’ancienne ville portuaire, aujourd’hui grande métropole de Tel Aviv, habitée par une part non négligeable d’Arabes.

Les coups sont apparus quelques mois après que la Knesset a approuvé la « loi Nakba », laquelle tend à interdire les organisations qui nient le droit à l’existence d’Israël. Le terme « Nakba », traduit littéralement par « la catastrophe », est un terme utilisé par les Palestiniens pour commémorer le jour où plus de 70 000 Arabes ont été enlevés de force pour créer l’État d’Israël, en 1948. Fortement critiquée par les Israéliens de droite comme de gauche, cette loi est considérée comme le reflet de la peur grandissante du gouvernement de voir l’histoire palestinienne devenir publique, selon le journal israélien Haaretz, celui qui « encourage les instigateurs du racisme » et est « conçu pour faire taire les gens. »

Dam, cependant, a refusé de se taire. Selon les mots de Taner, « le vrai rap critique tous ceux qui sont un frein à la liberté. »

 

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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