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Tunis n’est pas le prochain Téhéran

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[image:1,l]Tunis, Tunisie. Dans la rue, il est possible d’acheter des cartes postales avec la photo de Mohammed Bouazizi, le jeune Tunisien qui, en s’immolant en décembre, a déclenché le « printemps arabe », comme on l’appelle.

J’écris « comme on l’appelle » parce que les Arabes ne sont pas certains de savoir comment il convient d’appeler ce qui s’est passé. Révolution ? Soulèvement ? Et puis, parler de « printemps », n’est-ce pas impliquer d’une certaine manière que cela ne va pas durer, alors que les Tunisiens espèrent franchement le contraire.

En réalité, dans plusieurs pays, comme la Syrie et Bahreïn, les forces responsables de l’oppression ont encore le contrôle, tandis qu’en Libye il n’est pas encore certain que les vainqueurs sauront rester unis, ou s’ils se diviseront selon des clivages régionaux et tribaux.

Mohammed Bouazizi, une étincelle

[image:2,s]Ici, dans le pays où tout a commencé, l’espoir d’une transition démocratique est bien réel même si la vie politique tunisienne est un peu chaotique à la veille des élections du 23 octobre. On recense plus de 1 000 candidats représentant près de 100 partis politiques – et tous se réclament de Mohammed Bouazizi. En s’immolant après une altercation avec une policière à la fin de l’année dernière, il est passé d’un coup de l’ombre à la lumière. Sa mort l’a rendu immortel.

Certains prétendent que la policière était en train de voler un des fruits qu’il vendait dans la rue. D’autres affirment qu’elle l’arrêtait car il n’avait pas de permis de travail. Et d’autres encore prétendent même qu’il lui avait agrippé les seins. Une chose est sûre, elle l’a giflé, et son surprenant suicide a suivi l’humiliation que lui a infligée l’autorité policière.

La Tunisie, un pays arabe à part

[image:3,s]Qu’une femme policier soit impliquée en dit long sur la Tunisie, car tous les pays arabes n’ouvrent pas cette profession aux femmes. Ici, c’est courant, car la situation des femmes y est bien plus avancée qu’ailleurs dans le monde arabe. La Tunisie a davantage de lois de protection des droits des femmes que nulle part ailleurs dans la région, d’après Kadija Cherif, de la Fédération internationale des droits de… l’homme.

Le taux d’alphabétisation en Tunisie est proche de 100 %. C’est aussi le pays le plus industrialisé de toute l’Afrique, après l’Afrique du Sud. Les exportations de pièces détachées pour l’automobile sont essentielles pour l’économie nationale et leur niveau a diminué depuis 2008 et le début du ralentissement économique. Le chômage des jeunes est élevé, comme dans tous les pays concernés par le « printemps arabe », et la moitié de la population a moins de 30 ans.

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Soif de démocratie ou mécontentement social ?

Les Occidentaux se plaisent à voir dans ce « printemps arabe » un cri du cœur pour la démocratie, mais la difficile conjoncture économique et le chômage ont tout autant fait monter ce désir de révolte. Il ne manquait qu’une étincelle, ce fut celle de Mohammed Bouazizi.

Assurément, quelle que soit leur classe sociale, les Tunisiens ont souffert des humiliations de l’ancienne dictature. Des hommes d’affaires racontent encore comment des affidés du régime ou des membres de la famille de Zine el-Abidine ben Ali se présentaient dans leur entreprise et exigeaient d’obtenir des parts et de partager les bénéfices, avec des méthodes et des arguments de gangsters.

Le journaliste Rami Khouri du Beirut Star a parlé de « moment Rosa Parks » pour décrire les soulèvements à travers le monde arabe, du nom de cette femme noire américaine qui décida un jour qu’elle cesserait de céder sa place à un Blanc et de se confiner à l’arrière, place où les Noirs étaient relégués à son époque.

La surprenante avance des islamistes

Compte tenu de l’avancée des droits des femmes et parce qu’elles vivent pour la plupart à l’occidentale, il est quelque peu surprenant de voir que les islamistes soient si hauts dans les sondages en vue des élections législatives du 23 octobre prochain. Il y a des vignes sur les collines et tous les restaurants proposent un très bon vin tunisien. Rares sont les femmes, même dans les campagnes, qui sortent couvertes d’un voile.

[image:5,s]Pourtant, le mouvement islamiste Al-Nadah, ou Parti de la Renaissance, est largement en tête dans ces sondages. L’explication courante serait que les islamistes sont perçus comme plus honnêtes que les laïques corrompus, et qu’ils ont davantage souffert de la répression sous la dictature. D’autres prétendent que les islamistes sont davantage fidèles à leurs valeurs.

Les sondages rendus publics indiquent que les Tunisiens s’inquiètent davantage de la situation du marché du travail et de l’économie qu’ils ne le sont des « valeurs ». Dès lors, les tenants de la sécularisation espèrent en tirer profit lorsque sera venue l’heure de voter, dans quelques semaines.

Un islamisme modéré à la turque

[image:6,s]Bien sûr, Al-Nadah s’efforce d’apparaître comme un parti islamiste modéré, à la manière du parti au pouvoir en Turquie plutôt que des Frères musulmans en Égypte. Son leader, Rachid Gannouchi, s’est même rendu aux États-Unis pour renforcer son image de modéré. Les laïques craignent qu’il ne cherche en tout et pour tout à faire illusion en cachant, pour l’instant, son programme d’islamisation de la société.

Une nouvelle constitution dans un an

Les élections d’octobre ne devraient pas aboutir à un raz de marée, quel qu’en soit le bénéficiaire. Chaque parti aura ses listes et les sièges seront attribués à la proportionnelle. Dès lors, bien que deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes, les partis laïques pourraient en additionnant leurs sièges dépasser les islamistes d’Al-Nahda.

L’Assemblée constituante sera chargée de créer une nouvelle constitution, d’élire un président et de constituer un parlement – tout cela en un an a priori, mais son mandat pourrait être allongé.

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Des raisons d’espérer

S’il y a toujours des véhicules blindés aux coins de rues et des fils barbelés autour des bâtiments publics, la Tunisie a retrouvé la tranquillité, sur les boulevards ou à l’ombre des terrasses arborées de ses cafés très parisiens.

Une récession en Europe, scénario de plus en plus probable, affectera les exportations tunisiennes et fera grimper davantage le chômage. Mais, à court terme, il y a des raisons d’espérer… Le nouveau régime libyen a sollicité l’aide de la Tunisie pour la reconstruction de ses villes détruites. De quoi mettre au travail, potentiellement, un tiers des chômeurs d’aujourd‘hui.

Tunis n’est pas le prochain Téhéran

Difficile d’imaginer que les extrémistes islamistes pourraient faire de ce pays un nouvel Iran, même si leur influence sera très probablement plus forte dans les mois et les années à venir. Les talibans ne sont pas sur le point de déménager à Tunis.

 

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