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Vers un nouveau secret de la matière… ou pas !

[image:1,l]Au commencement, était la « matière » : tout ce que l’homo sapiens (l’homme sage) a sous les yeux. Du rocher à l’air, du vivant au végétal, du dur au mou, du liquide au feu : des arrangements atomiques. D’emblée, une remarque qui a de quoi choquer la perception commune de la « réalité » : toutes ces images transmises par le système nerveux au décodeur cérébral sont largement « illusoires », la « réalité » n’existe au final qu’à travers le décodage que notre programme spécifique commun à l’espèce élabore. Autrement dit, et c’est tout le paradoxe de la physique de la matière à échelle particulaire, il n’existe pas de réalité standard ultime. Le « monde » que l’on « voit » au quotidien est une « convention », un programme d’ordinateur. Il n’empêche qu’il est notre référence, et que les physiciens de l’ultime continuent à en rechercher les codes quantiques.


Décomposer le « Lego »


Pour rester malgré tout au contact de ce que tout un chacun est en mesure d’imaginer, il est commode de décortiquer la matière dans ses composants déjà identifiés par l’expérience, sachant que personne, jamais, n’a « vu » d’atome en soi. On n’en mesure l’allure qu’à travers les effets des particules qui le composent. À l’échelle supérieure, en revanche, on « voit » les briques de la matière visible, les molécules. Elles appartiennent à l’échelle du nanomètre (10 puissance -9). Les molécules sont composées d’atomes (non perceptibles directement, mesurés par l’angström (10 puissance -10). L’atome (de mots grecs qui signifient faussement « insécable ») s’organise en un noyau (10 puissance -14) autour duquel gravitent des électrons (l’image d’un soleil entouré de planètes est commode, mais immensément loin des phénomènes en jeu). Le noyau se décompose en protons (10 puissance -15) où l’on découvre le composant à 10 puissance -18, le quark. Et après… ?


Modèle standard


L’« après » est tout l’enjeu de l’expérience en cours au cœur de l’anneau du Cern, le laboratoire international européen. Pour l’heure, l’édifice de la physique quantique (la théorie des quanta exprimée au XXe siècle par l’Allemand Max Planck) repose sur un modèle qualifié de « standard ». Il assure la cohérence entre la physique dite « classique » (celle de Newton) et cette physique du comportement des atomes et des particules, qui n’obéit apparemment pas aux mêmes lois, le monde « quantique ». Mais le « modèle standard » ne rend pas compte de tout. Certes, il dresse un portrait de l’existant connu plutôt cohérent, sur le plan mathématique, en rendant compte des interactions entre 12 particules de matière et les 3 forces connues qui les lient et les déterminent : la force électromagnétique, la forte et la faible (le concept même de « force » est inconnu de la plupart des non-physiciens qui, comme Newton, constatent qu’un corps en attire un autre – la force de gravitation, bien plus faible que les trois autres –, sans imaginer que ce sont des particules qui elles-mêmes, au cœur de l’atome, lient entre elles les particules majeures citées plus haut).


La particule de « Dieu »


Au fil des décennies, ce « modèle standard » s’est affiné sans remplir toutes les conditions des équations. D’où, au cours de la décennie 1960-1970, l’hypothèse de l’existence d’un « boson », autre particule théorique capable, sur le papier, avec les bosons W et Z, de compléter le schéma complexe de la matière qui reste, insistons bien, une vision déduite d’équations purement mathématiques. Ce boson manquant dans le puzzle a pris le nom de son théoricien, Peter Higgs. C’est à partir de 1964 que le chercheur britannique en postule l’existence avec ses collègues Robert Brout et François Englert. En l’introduisant dans le « modèle standard », Higgs et ses associés ne font – mais c’est ainsi que procède toute recherche – que corriger une incohérence mathématique. Reste à détecter ce boson de plus dans le grand collisionneur du Cern. S’il existe, cette particule manquante que l’on a surnommée « particule de Dieu » pourrait rendre compte, en interagissant avec les bosons détectés W+, W- et Z puissance 0, de la masse des particules, désespérément nécessaire mais jusqu’à ce jour grande inconnue des équations de la haute énergie.


Trois scénarios, tous productifs


Les 10 000 physiciens qui « servent » aujourd’hui le grand collisionneur de Genève sont donc aux premières loges pour, avant tout le monde, constater l’existence du boson de Higgs. Une trace lumineuse sur un bruit de fond prodigieux duquel l’on n’est pas certain que l’on pourra l’isoler. Autrement dit, la « découverte » du Higgs ne sera homologuée que par calcul statistique : la « particule de Dieu » restera une « probabilité », mais c’est parce qu’elle aura atteint un seuil crédible qu’elle aura droit de cité. Imaginez l’exploit : si le boson se manifeste en toute probabilité, il s’agira d’une statistique chiffrée qui aura « duré » 10 puissance -24 seconde avant sa désintégration !


Désormais, s’ouvrent trois scénarios qui, chacun, remettra la physique quantique fondamentale en cause.


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Scénario 1 : oui, le boson de Higgs a été statistiquement établi.


La « spéculation » a laissé une trace fugitive (c’est le moins que l’on puisse écrire) sur les capteurs du LHC dans la gamme prédite d’énergie – 115 à 145 GeV (gigaélectronVolts) : bravo, Higgs et associés, vous avez eu une idée de génie, le modèle standard est validé, et l’aventure continue. Si le boson de Higgs est détecté dans la valeur basse de l’énergie attendue – 115 GeV –, le détecteur mettra sans doute en évidence d’autres particules. Le tout assurera un pas de géant vers la mise au point d’une extension du modèle capable de rendre compte de la « grande unification » de la théorie entre physique classique, macroscopique, gravitationnelle, et la physique des particules, lesquelles, jusqu’à ce jour, ne sont pas compatibles ! En revanche, si Higgs est pressenti au-delà de 140 GeV, la nouvelle fera mal : aucun grand collisionneur n’est encore capable de relever le défi au-delà de ces énergies. Il faudra revenir aux équations spéculatives… Et s’intéresser de près à la très mathématique théorie des « cordes », construction intellectuelle tirée des extrapolations équationnelles qui suppose un « multiUnivers » (le « multivers »), où le « nôtre » ne serait qu’une bulle parmi une infinité d’autres à jamais inaccessibles.


 


Scénario 2 : c’est un autre type de boson qui signe son passage.


Les interactions ne sont pas celles que la théorie attendait. Il existe « quelque chose » dans cette frange d’énergie, mais ses effets sont « étranges » (nom d’un quark du modèle standard). Eh bien, revenons à la théorie, et imaginons, mathématiquement, ce que traduisent ces effets inattendus. L’on va déconstruire le modèle standard pour y « entrer » ces nouveaux éléments. Rien que de très normal dans la recherche. On a pris de l’avance dans ce domaine en imaginant un boson de Higgs lui-même décomposable en d’autres particules. Des théoriciens ont « prédit » ce scénario sous la forme d’une approche nouvelle nommée « supersymétrie ».


 


Scénario 3 : rien, aucune trace de boson, ou trace statistiquement non validée, perdue dans le bruit de fond.


Il s’agirait d’une « formidable découverte », écrit le vulgarisateur dans le numéro d’octobre de Science & Vie qui donne le détail très illustré de l’imminente découverte, fût-elle négative. Pourquoi ? Parce qu’alors le scénario change du tout au tout, et la course à une autre vision de la matière est relancée tous azimuts. Si « Dieu » n’a pas daigné montrer « sa » particule, c’est qu’il faut s’attendre à un tout autre modèle. Alors, le LHC de Genève reprendrait du service pour tenter de détecter ce que les physiciens lui donneront en pâture, dans une autre frange d’énergie, selon une autre approche.


En attendant, souvenons-nous que la matière est une équation non vérifiée. Que nous sommes nous-mêmes un programme d’ordinateur, à la fois particules de la physique quantique et objet macro de la physique newtonienne, dont les Mac de Jobs ne sont qu’une analogie infiniment simplifiée… Relativité, avait dit Einstein ?


 


Olivier Magnan, pour JOL Press.

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