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Allemagne : Un quatrième Reich ?

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Ça a peut-être été une mauvaise idée d’envoyer un Allemand. Et son nom ne facilite pas les choses. Quand Horst Reichenbach est arrivé récemment à Athènes à la tête d’une délégation européenne pour aider le pays à gérer sa dette, les médias grecs l’ont instantanément surnommé « Tiers Reichenbach ».


Les médias européens craignent l’émergence d’un quatrième Reich


[image:2,s]Des dessins humoristiques l’ont représenté avec l’uniforme nazi. Une revue grecque montre la photo de son bureau avec le titre « Le nouveau siège de la Gestapo ».


Mais les Grecs ne sont pas les seuls à nourrir des soupçons envers l’Allemagne, qui a occupé le pays pendant la Seconde Guerre mondiale. La presse britannique conservatrice fait pareil. Le Daily Mail est allé jusqu’à accuser les Allemands de tenter d’utiliser la crise de l’euro pour « conquérir l’Europe » et établir un « Quatrième Reich ». Entre-temps, en Pologne, les ambitions impérialistes présumées de l’Allemagne sont devenues un enjeu dans les récentes élections.


Angela Merkel : plus de pouvoir pour l’UE…


Depuis que la crise de l’euro s’est aggravée, la chancelière allemande Angela Merkel pousse pour que l’UE ait son mot à dire dans la gouvernance intérieure des dix-sept pays membres de la zone euro. Parmi les mesures proposées, elle souhaite que l’Union européenne ait un pouvoir réel sur les budgets des pays.


Après que l’Italie s’est fait également emporter dans la spirale de la dette, Mme Merkel a averti que de profondes réformes structurelles sont nécessaires et dans les plus brefs délais. « Cela signifiera plus d’Europe, pas moins d’Europe », elle a dit à plusieurs reprises et l’a répété lundi lors d’une réunion de son parti conservateur démocrate-chrétien.


… ou plus de pouvoir pour l’Allemagne ?


Les membres de son parti voudraient plus de pouvoir pour l’Allemagne au sein de la Banque centrale européenne, en changeant le système de vote afin qu’il soit basé sur la force économique des pays. Actuellement, chaque pays membre a une voix. Et c’est justement là le problème : lorsque le leader allemand appelle à une plus grande puissance et influence pour l’Europe, pratiquement tout le monde interprète ses propos comme si elle parlait de puissance et d’influence allemande.


L’influence de l’Allemagne, le pays le plus riche et plus important au sein de l’Union, éclipse largement celle des eurocrates bruxellois. En effet, lorsque les gens sont mécontents de l’UE, ils ne se plaignent plus avec Bruxelles. Ils se plaignent avec Berlin.


À l’origine de l’UE : limiter la puissance allemande


Il n’était pas prévu que cela se passe comme ça. Au contraire, après la Seconde Guerre mondiale, une impulsion majeure à la base de la création de l’Union européenne était la volonté de limiter la puissance allemande. Les pays qui s’étaient fait la guerre les uns contre les autres auraient lié si étroitement leurs économies que les conflits futurs auraient été impossibles. 
 Un calcul analogue a contribué à la naissance de l’euro. Pour accepter la réunification allemande, le président français de l’époque, François Mitterrand, a exigé en contrepartie que l’Allemagne abandonne son précieux deutsche mark et s’engage pour une union monétaire. Le but était de tempérer la puissance allemande, et non pas de la soutenir.


La relation franco-allemande au cœur de l’UE


[image:3,s]Bien que tous les États, petits et grands, aient leur mot à dire, dans la pratique, la relation franco-allemande a longtemps été au cœur de l’Union. Dès le départ, l’Allemagne a fourni sa puissance économique, et la France son leadership politique. Et les Allemands préféraient que ce soit comme ça.


« Les Allemands avaient tendance à conduire, tout en restant en arrière-plan et en permettant à la France d’occuper symboliquement un rôle majeur », explique William Paterson, professeur de science politique allemande à l’Université d’Aston au Royaume-Uni.


Néanmoins, actuellement, l’économie française apparaît de plus en plus fragile, avec ses banques très exposées à la dette des pays périphériques les plus faibles. Paris essaye désespérément de s’accrocher à son rating à trois A très convoité. L’équilibre de pouvoir traditionnel a maintenant basculé en faveur de l’Allemagne


De tous les discours de « Merkozy » il émerge toujours plus clairement que la Chancelière allemande est au poste de commande.


L’Allemagne : une « hégémonie réticente » avec des désavantages…


« L’Allemagne fait tout ce qu’elle peut pour montrer une image de régularité et une relation équilibrée » avec la France, déclare Olaf Cramme, directeur du think-thank Policy Network. Toutefois, « la relation est devenue extrêmement déséquilibrée, et c’est l’Allemagne qui prend les décisions », selon ce que lui ont confié les décideurs français. Berlin semble ne pas être complètement à l’aise avec ce rôle. L’Allemagne a une « hégémonie réticente », selon M. Paterson. Les pays débiteurs « regardent vers l’Allemagne pour les sortir de la pagaille. Cela met les Allemands dans une position peu enviable. » À exacerber les tensions, les Allemands se plaignent des coûts de la zone euro. Leurs politiciens apparaissent à leurs yeux trop condescendants à l’égard des pays en difficulté, en leur donnant des cours sur la responsabilité financière.


… mais aussi des avantages


On peut affirmer ça, bien sûr, si l’on ignore les nombreux avantages que l’Allemagne a tirés non seulement de la monnaie commune, mais aussi des prodigalités de ses voisins. La zone euro a fourni à l’Allemagne un énorme marché dans lequel elle peut vendre ses produits à un prix avantageux. Et les emprunts importants des autres membres ont alimenté une demande accrue pour ses exportations, qui constituent un atout essentiel pour la croissance de l’Allemagne, qui a une consommation domestique relativement faible.


En d’autres termes, sans la zone euro, l’économie allemande n’aurait jamais atteint les mêmes résultats. « La contrepartie des Allemands de vivre avec ses propres moyens, c’est que d’autres vivent au-delà de leurs moyens » explique Philip Whyte, chercheur du Centre de réformes européennes de Londres. »


Donc, si l’Allemagne est préoccupée par le fait que d’autres pays sombrent davantage dans l’endettement, elle devrait également être préoccupée par la taille de ses excédents commerciaux, ce qui n’est pas le cas.


La crise de l’euro vue d’Allemagne


Il y a seulement quelques années, lorsque d’autres économies du continent étaient en plein essor, l’Allemagne était considérée comme la malade de l’Europe. Elle ressentait encore le coût énorme de la réunification avec l’Allemagne de l’Est. Le chômage était obstinément élevé. Il y a une décennie, l’Allemagne a entamé une restructuration difficile de son économie, qui a compris des réformes du travail et sociales impopulaires. « L’Allemagne a fait ce que la Grèce, l’Italie et la France auront désormais besoin de faire », affirme Ulrike Guerot, chef du bureau de Berlin du Conseil européen des relations extérieures. « Nous avons fait pareil il y a dix ans et maintenant nous voyons les fruits de ce que nous avons fait. »


La recette allemande : l’austérité qui prime la croissance…


Au niveau macroéconomique, l’austérité semble porter ses fruits. L’économie affiche une croissance relativement forte. Le chômage est tombé à son plus bas niveau depuis la réunification, et les exportations ont grimpé en flèche. Cependant, les récents affrontements en Allemagne montrent que son électorat voit cette question de façon tout à fait différente du reste de l’Europe. Juste après être sortis de la fange, les Allemands voient les pays dépensiers de la zone euro les faire glisser en arrière. 




Un autre fait essentiel est que, tandis que d’autres pays considèrent l’Allemagne comme un colosse économique avec les moyens (si ce n’est la volonté) pour aider, la réalité de ses travailleurs cloche avec cette image.


… mais pas les travailleurs


Pendant que les salaires ont augmenté de manière significative dans de nombreux autres pays au cours de la dernière décennie, en Allemagne, ils ont stagné pendant des années. Un rapport publié par l’Institut allemand de recherche économique montre que lorsqu’on tient compte de l’inflation, les salaires ont, en fait, diminué de 4,2 % au cours de la dernière décennie.


En partie, cela est dû à la multiplication des bas salaires, des emplois précaires, et à la libéralisation du droit du travail qui a contribué à stimuler la croissance. Pourtant, même dans des emplois syndiqués, les salaires n’ont pas augmenté de manière significative. « Il y a eu un passage important des revenus du travail au capital », explique Whyte, du Centre des réformes européennes. « En d’autres termes, les entreprises allemandes sont maintenant assises sur des grosses sommes d’argent, mais les travailleurs allemands n’ont pas vu augmenter leurs salaires. »


Défi numéro un : vendre le plan de sauvetage aux Allemands




[image:4,s]Le sort du travailleur allemand rend le plan de sauvetage plus difficile à vendre. Les avantages d’une zone euro forte ne sont pas clairs aux nombreuses personnes qui n’ont pas tiré profit de la richesse croissante du pays.




« De nombreux Allemands n’ont pas vu les fruits de l’euro et les avantages du marché unique, et maintenant ils pensent qu’ils vont payer pour tous les autres », explique Guerot, du Conseil européen des relations extérieures. « Il est très difficile de faire accepter aux Allemands qu’ils devraient mettre des milliards sur la table pour l’Italie ou la Grèce, pour sauver le marché unique. » 

Les sondages d’opinion soutiennent cette théorie. La majorité des Allemands n’est pas contente des plans de sauvetage. Après tout, quand ils ont rejoint la zone euro, on leur avait assuré qu’ils ne seraient jamais responsables des dettes d’autres pays membres. L’électorat a déjà montré sa colère, en punissant les partis au pouvoir dans les élections régionales de cette année. 
Un récent sondage, réalisé par Infratest Dimap pour la radio publique ARD, a montré que tandis que le soutien pour la gestion de la crise de la zone euro de Merkel est en légère croissance, 82 % des Allemands craignent que le pire soit encore à venir. 84 % affirment avoir peur que l’Allemagne finisse par devoir payer encore plus pour les sauvetages. Et, en absence d’une résolution définitive en vue, ils ont peut-être raison d’être inquiets.


Payer ? Oui, mais à nos conditions


Cela augmente la pression sur Angela Merkel pour qu’elle soumette les plans de sauvetage à plus de conditions. « S’ils doivent payer, alors les Allemands veulent avoir leur mot à dire », a déclaré Paterson, professeur à l’Université d’Aston. « Ils veulent que les conditions leur soient favorables. »


Étant donné que les Allemands ont subi des restrictions et des libéralisations pour rendre leur économie forte, pour eux il est logique que les autres fassent de même. Pourtant, contrairement à l’Allemagne, qui pouvait compter sur la zone euro en plein essor pour stimuler la croissance à un moment où les budgets étaient limités, l’Italie, la Grèce et les autres pays endettés n’ont pas de moteurs de croissance similaires auxquels s’accrocher.




La recette allemande : un mauvais médicament pour les pays endettés ?


« Les politiques qui ont été imposées aux autres pays sont des politiques erronées », a déclaré M. Whyte. « L’Allemagne veut faire de la zone euro une version plus grande d’elle. Cela est en train de pousser tout le bloc vers la dépression. »




« Cela pourrait alimenter une hostilité croissante envers l’Allemagne, a-t-il ajouté. Si vous devez avaler ce qui est perçu comme un médicament allemand, et que ce médicament est essentiellement en train de forcer les économies à se contracter de 20 %, avec une augmentation en flèche du chômage, alors il est inévitable que des sentiments anti-allemands se diffusent ».




La recette allemande vue de Grèce


Teemu Lehtinen, conseiller en politiques publiques finlandais qui vit à Athènes, explique : « L’UE semble actuellement guidée par un nombre de grands États, avec l’Allemagne en tête ». Cela n’est pas vu de bon œil par les citoyens grecs, car ça leur donne l’impression que les décisions sont prises loin de chez eux et de leurs élus.


« Ça ne veut pas dire que les Grecs fassent énormément confiance à leur gouvernement ou à leur Parlement, ajoute-t-il. Mais la question qu’ils se posent est : « Qui est en charge de notre avenir ? » Et il semble de plus en plus que les Grecs pensent que leur avenir est dans les mains de Mme Merkel. »

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