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Bruxelles se convertit aux euro-obligations… trop tard ?

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[image:1,l]La Commission européenne s’apprête à proposer la mise en place d’euro-obligations. Avant de voir de quoi il s’agit et ce que cela implique tant d’un point financier, économique que politique ou institutionnel. Un rappel…


Qu’est-ce qu’une obligation ?


Une obligation est un titre de créance sur l’État, sur des entreprises privées ou encore sur un organisme public ou semi-public qui ont contracté un emprunt auprès du public, en fixant à l’avance la durée du prêt et ses modalités de rémunération. Une obligation représente ainsi une reconnaissance de dette de son émetteur. Comme pour la plupart des prêts, l’emprunteur vous versera des intérêts, appelés « coupons » et le prêt sera remboursé à l’échéance. L’emprunt est divisé en obligations de la même manière que le capital des sociétés est divisé en actions.


Pour satisfaire leurs besoins de financement, les États ont recours à des obligations dites d’État, et c’est leur incapacité à les rembourser ou, dans un premier temps, la nécessité d’en émettre d’autres, toujours davantage, à des taux toujours plus élevés, pour faire face au service de la dette et donc d’accentuer inexorablement leur endettement qui les enferme dans une spirale de crise, telle que celle à laquelle sont confrontés actuellement la plupart des États de la zone euro.
Au niveau micro-économique, le phénomène équivalent serait celui auquel serait confronté un particulier qui, se voyant refuser des prêts à taux relativement modérés par un établissement bancaire classique, serait contraint d’avoir recours aux services d’établissements financiers, beaucoup moins regardants, pratiquant des taux usuriers. Ou, mieux encore, celui d’un particulier qui, bénéficiant d’un capital, se verrait accorder des prêts dits in fine sur lesquels il ne paierait que les intérêts jusqu’au remboursement, à échéance, de l’intégralité du capital prêté et qui, entre-temps, du fait d’une mauvaise gestion ou d’un effondrement des cours de bourse, perdrait son capital de départ et se retrouverait dans l’incapacité de rembourser.


L’euro-obligation, une mutualisation inédite des risques d’emprunt


[image:3,s]Une seule monnaie mais 17 économies, 17 politiques économiques, 17 traditions budgétaires… Depuis la création de l’euro en 1999, et plus encore avec l’accentuation des disparités entre États-membres au fur et à mesure de l’intégration d’économies moins solides, de pays à traditions moins rigoureuses, les prises de risque, les engagements sont demeurés individuels, mais la menace, elle, est bien commune.
Dans le principe, l’euro-obligation, selon les modalités de sa création, devrait permettre une mutualisation des risques d’emprunt. D’une certaine manière, en se portant garant, pour tout ou partie de l’emprunt des plus fragiles, les économies les plus solides font profiter à leurs partenaires de meilleures conditions. Ces meilleures conditions consistent concrètement en des taux d’intérêt plus faibles – et donc plus facilement remboursables – que ceux qu’ils se voient réclamer sur leurs obligations d’État nationales.
Concrètement, l’Allemagne, mais aussi les pays du nord, où subsiste une tradition plus forte de rigueur budgétaire, et encore la France, permettraient à des pays plus laxistes, la Grèce, l’Italie… de taux d’intérêt plus faibles. Ces pays se porteraient garants.


Une fuite opportune sur le contenu du « Livre vert » de la Commission


Mercredi 23 novembre, la Commission rend public un « Livre vert » proposant trois scénarios visant à l’émission d’euro-obligations, encore appelées « euro-bonds » (en anglais) ou « obligations de stabilité » (dans la « novlang » chère aux instances de l’Union).
Cette initiative a été divulguée samedi 19 novembre par le quotidien italien La Stampa. Une « fuite » opportune puisque, dans le contexte de crise actuel, chaque minute compte et on peut imaginer qu’elle ait été, par exemple, dans l’intérêt du nouveau gouvernement italien de Mario Monti ou, encore, dans celui des Espagnols qui, attaqués sur les marchés financiers à la veille de leurs élections législatives, ne pouvaient que profiter de toute initiative allant dans le sens d’un approfondissement de la solidarité communautaire. On peut aussi y voir une manière de forcer la main à Berlin, jusque-là farouchement opposé au nom de la défense des intérêts nationaux de l’Allemagne, et dans une moindre mesure à Paris, quelque peu sceptique sur la capacité de mettre en œuvre à court terme un tel dispositif et plus favorable au renforcement du Fonds européen de stabilité financière.
En effet, la décision n’appartient ni à la Commission, ni à la BCE… ni aux marchés. Ce seront les États-membres, représentés par leurs chefs d’État et de gouvernement élus, qui en débattront, ou plutôt commenceront à en débattre, lors du Sommet européen du 9 décembre prochain.


Les trois scénarios du « Livre vert »


Le « Livre vert » propose trois types d’euro-obligations, trois remèdes, du plus radical au plus « timide », du plus difficile à mettre en œuvre au plus facile, avec un même principe – la mutualisation plus ou moins forte des risques d’emprunt – et des conséquences plus ou moins structurels sur le fonctionnement même de la zone euro et de l’Union européenne :


> Remplacer purement et simplement les emprunts nationaux par des euro-obligations. Tous les pays membres de la zone euro satisferaient alors leurs besoins de financements à travers des titres européens garantis solidairement par tous les pays membres de la zone. Les pays les plus en difficulté bénéficieraient, en théorie, de taux d’intérêt plus faibles mais les pays les plus vertueux se verraient soumis à taux d’intérêt plus élevés.


> Remplacer une partie des émissions nationales par des titres européens. Tous les pays ne seraient pas obligés d’y participer, tout en étant solidaires des emprunts. La zone euro apporterait solidairement des garanties aux emprunts réputés les plus risqués.


> Créer des obligations européennes communes mais pour lesquelles chaque État serait tenu d’apporter des garanties seulement à hauteur de sa part respective de dette. Les États sujets à des taux de crédit élevés bénéficieraient nettement moins des conditions plus favorables des pays les plus notés.


Seule la troisième solution n’exige pas une modification des traités communautaires


Problème : les deux premières options nécessiteraient une modification du traité de Lisbonne, car elles sont contraires à l’article 125 du dit traité où figure une clause de « non-renflouement » qui stipule que les États doivent assumer seuls leurs engagements financiers. Une telle modification devrait être adoptée à l’unanimité des 27 membres et on a du mal à imaginer qu’un tel processus puisse aboutir ou, en tout cas, qu’il puisse aboutir dans un délai raisonnable, au regard des précédentes modifications des traités.


La Commission pose des conditions drastiques à la mise en œuvre des euro-obligations


[image:2,s]Autre première pour cette initiative de la Commission, et autre élément compliquant la mise en œuvre des bonnes intentions de la Commission : l’ébauche de définition de contreparties à la mise en place d’euro-obligations.
Le recours à l’emprunt européen « ne doit conduire à aucun relâchement de la discipline budgétaire des États » de l’euro, insiste la Commission. Cela suppose, au contraire, un contrôle plus poussé des projets de budgets nationaux, non seulement pour les pays fragiles, mais pour tout État participant.
Dans un chapitre au titre clair, « Intrusion dans les politiques budgétaires nationales », les auteurs soulignent que l’Union européenne doit exercer un droit de regard avant comme après le vote du budget national par chaque Parlement. Cela inclurait l’obligation de rectifier le tir budgétaire y compris en cours d’exercice. Voire la possibilité de « placer le pays défaillant sous une forme ou sous une autre de tutelle administrative » européenne. Il est question que cela concerne tous les pays dont le déficit dépasserait les 3 % du PIB.
Que les emprunts à signature européenne voient le jour ou pas, Bruxelles proposera un renforcement du contrôle budgétaire et financier qu’elle exerce sur les pays-membres, en particulier ceux de la zone euro. Pour les pays trop laxistes, les sanctions pourraient aller jusqu’à la suspension du droit de vote au sein de l’UE ou le gel de certaines subventions.


Les euro-obligations, une solution mais pas une solution miracle


Aujourd’hui, l’heure ne semble plus être à la finasserie, à la stratégie. L’enjeu consiste à remédier à la crise à court et, concrètement, éviter une faillite d’un ou plusieurs états-membres, leur sortie forcée de l’euro, l’effondrement total et complet du système, la fin de la solidarité européenne… Dès lors, en matière d’euro-obligations, la seule option possible, à court terme, serait le troisième scénario, imparfait quant à ses effets mais ne nécessitant pas d’impossibles modifications de traité. Ce serait la position privilégiée par Paris.
Pour ce qui concerne les deux premiers scénarios, il s’agit d’un débat qu’initie la Commission tout en sachant qu’il ne pourra être réglé à court terme. Le véritable débat n’est pas financier, technique, c’est un débat politique, un débat de politique, portant, plus largement, sur le type de gouvernance que les Européens, tous ensembles ou à quelques-uns, souhaitent mettre en place et la part de souveraineté que les États-membres sont disposés à abandonner ou, plutôt, à mettre en commun.
Au-delà des étiquettes socialistes et libérales, il n’est donc pas surprenant que ce soient les fédéralistes qui poussent le plus à la création d’euro-obligations, car ils savent ce qu’ils impliquent : une fédéralisation de l’Europe à travers notamment la constitution d’un trésor européen et une incarnation de l’Union à travers des représentants élus aux pouvoirs étendus.


Le porte-parole d’Angela Merkel ne disait pas franchement autre chose lors qu’il affirmait lundi 21 novembre que les euro-obligations n’étaient pas la solution miracle. Les euro-obligations sont une solution à condition d’en tirer toutes les conséquences institutionnelles. Sur ces conséquences, les dirigeants politiques ne pourront se passer de l’avis des peuples et le temps des marchés n’est pas compatible avec le temps de la démocratie. Les euro-obligations seront peut-être la solution miracle pour… la crise suivante !

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