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Des enfants soldats luttent contre l’insurrection islamiste

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Les adolescents armés qui patrouillent la frontière sud de la Thaïlande avec les milices d’État n’ont pas été enlevés ni ont subi de lavage du cerveau. Ils ne sont pas drogués et peu d’entre eux, voire aucun, n’a déjà tué.
Pourtant, ils opèrent aux côtés des adultes armés de pistolets contre une insurrection islamique sanglante. Et leur dissemblance avec les exemples d’enfants soldats les plus horribles au monde – on pense à la Birmanie ou au Libéria – est une des raisons pour lesquelles ils restent largement ignorés.


L’insurrection islamiste dans le sud de la Thaïlande : un conflit sanglant et ignoré


Tout comme la présence d’enfants dans les milices thaïlandaises, même le conflit dans lequel ils sont impliqués est négligé. Il s’agit d’une rébellion peu connue qui opère le long de la frontière entre Thaïlande et Malaisie, cherchant à fonder un nouvel état islamique. Depuis 2004, cette insurrection a fait environ 4 800 victimes. Les tirs quotidiens, les bombardements et les coups de couteau des rebelles ont alimenté la paranoïa parmi leurs cibles : les « infidèles », les bouddhistes thaïlandais, et leurs « chiens », les musulmans « non-séparatistes » ayant des liens avec le gouvernement.
Pour implémenter ses forces, le gouvernement thaïlandais aide à organiser et armer une mosaïque variée de milices d’autodéfense, qui compte environ 50 000 hommes et femmes qui patrouillent les villages avec leurs fusils et leurs carabines.



Les enfants ne sont pas engagés dans la lutte directe


Selon Child Soldiers International, une organisation à but non lucratif basée à Londres qui enquête sur les soldats mineurs, les adolescents aident à remplir les rangs d’une ou plusieurs milices thaïlandaises financées par l’État. Mais les jeunes recrues ne sont pas nécessairement embrigadées dans le service.
« Nous avons constaté que certains enfants sont en fait très heureux d’être impliqués », affirme Pratubjit Neelapaijit de la Fondation Justice pour la Paix, un groupe de monitorage thaïlandaise à but non lucratif. « Ils voient ça comme un service qu’ils offrent pour la sécurité de leurs familles. Quand nous nous rendons dans les villages et nous leur demandons la permission de les prendre en photos, ils sont très fiers de nous montrer leurs armes. »


La recherche conjointe sur le terrain de Child Soldiers International et de la Fondation Justice pour la Paix a confirmé la présence de garçons de 14 ans qui patrouillent avec des pistolets ou qui surveillent des check points contre les insurgés.


Sur les dix-neuf villages étudiés, dans treize ils ont observé la présence de mineurs formellement ou informellement liés au réseau de défense de l’État connu sous l’abréviation Thaïe « Chor Ror Bor ».


Néanmoins, la plupart des jeunes impliqués dans les milices thaïlandaises se limitent à espionner les étrangers suspects ou à faire le thé pour les soldats adultes.


Les enfants dans les troupes thaïlandaises sont-ils des enfants soldats ?


Il y a peu de preuves que les garçons dans leurs premières années d’adolescences rejoignent systématiquement le service actif des troupes thaïlandaises. Les enfants des milices thaïlandaises sont dans des meilleures conditions que les enfants soldats en Birmanie, qui ont été obligés de déminer à la main, ou encore d’Afrique subsaharienne, où les enfants sont enlevés dans leurs villages, nourris de narcotiques et contraints à participer à des fusillades.


Les enfants des milices thaïlandaises méritent donc l’étiquette d’« enfants soldats » ? Selon la définition des Nations unies, oui : n’importe quel mineur, qu’il soit « cuisinier, porteur, messager ou accompagnateur » d’un groupe armé, se qualifie comme un enfant soldat.


[image:2,s]La réticence de l’ONU


Cependant, l’ONU n’a pas pris le risque de défier le gouvernement thaïlandais avec une enquête sur ce sujet.


Un rapport publié cette année par le Conseil de sécurité de l’ONU insiste sur le fait que les chercheurs « ne sont pas en mesure de surveiller, rapporter ou confirmer ces allégations » sur la présence d’enfants soldats dans les zones intéressées par cette violente insurrection. Les responsables thaïlandais dépeignent l’insurrection comme un conflit interne et se donnent beaucoup de mal pour tenir à distance les organismes internationaux, même les États-Unis qui leur offrent de la formation et des conseils.


Charu Lata Hogg, chercheuse de Child Soldiers international, défend l’étiquetage des enfants dans les milices thaïlandaises comme enfants soldats. D’après Hogg, même un soutien minimal aux milices, qui sont fréquemment attaquées par les insurgés, expose les enfants au danger.


« La mort n’est pas jolie, » a déclaré Hogg. Et la Thaïlande a l’obligation internationale d’éviter cette situation. »
Selon Hogg, le nombre exact d’enfants qui travaillent avec les milices thaïlandaises est inconnu et, de toute façon, sous-estimé. Son enquête « n’est pas une étude totalement exhaustive » et se concentre uniquement sur l’une des nombreuses milices. « Ce n’est que la pointe de l’iceberg », explique-t-elle.


La mesure dans laquelle les groupes islamiques séparatistes comptent sur les adolescents est encore plus difficile à estimer. « Nous ne pouvons pas accéder du côté des insurgés, explique Pratubjit, mais nous pensons qu’ils entraînent aussi des enfants. »


La culture des armes dans le sud de la Thaïlande


La culture des armes est courante dans les trois principales provinces thaïlandaises ravagées par l’insurrection : Yala, Pattani et Narathiwat. Les enfants musulmans et bouddhistes fréquentent des écoles transformées en forteresses armées, le résultat des frappes des insurgés contre le système d’éducation étatique soupçonné de vouloir subvertir leur cause. Le directeur d’une école visitée par GlobalPost en juin a déclaré qu’environ 30 % des professeurs à l’école sont armés.


Yothaga Reungsanga, la femme du chef d’une milice à Pattani, a prévenu son mari de ne pas laisser des armes sans surveillance chez eux. « Je n’aime pas toutes ces armes qui circulent, explique-t-elle. Mon fils adolescent est un peu une tête chaude. S’il est impliqué dans un combat, il voudra le régler tout de suite. »


La législation interdit l’emploi de soldats mineurs, mais elle n’est pas respectée


En réponse aux allégations des enfants soldats, la Thaïlande a interdit ces dernières années aux milices de recruter les mineurs de 18 ans. Pourtant, selon la fondation Justice pour la Paix, le problème persiste dans le profond sud de la Thaïlande, un arrière-pays où les règles indisciplinées des fonctionnaires de la lointaine Bangkok peuvent être difficiles à appliquer.


La fondation fait pression pour l’adoption d’une législation encore plus stricte qui nie tout lien entre les mineurs et les milices. Cela devrait inclure l’interdiction d’utiliser les enfants pour aller chercher la nourriture pour les milices ou d’accomplir des tâches pour les militaires en service, un niveau d’implication qui répond techniquement à la définition d’enfant soldat de l’ONU.


En 2006, la Thaïlande a signé une convention de l’ONU sur « la participation des enfants dans les conflits armés » qui pourrait donner l’autorité à l’ONU d’envoyer des observateurs dans la zone d’insurrection, si la présence d’enfants est confirmée. Ces conclusions pourraient mettre la Thaïlande sur la liste des surveillés, tout comme l’Afghanistan ou la Somalie.


Mais, bien que l’ONU n’ait pas enquêté ouvertement sur les enfants soldats en Thaïlande, elle a étudié les dommages psychologiques sur les enfants dans les provinces en proie de l’insurrection. Un rapport de 2008 a établi que « les activités quotidiennes peuvent potentiellement placer les enfants en contact brutal avec des effusions de sang, la mort, les blessures, la peur et le chagrin. »


« Le pistolet, explique Pratubjit, devient un symbole de fierté masculine dans le sud profond de la Thaïlande, tant pour les bouddhistes et que pour les musulmans. Les enfants n’ont, tout simplement, pas été assez informés sur les dangers des armes à feu. »


GlobalPost/Adaptation Melania Perciballi

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