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Des « tests de virginité » sur les prisonnières de l’armée

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Une bataille juridique longue et difficile


Samira Ibrahim maintient ses accusations contre l’armée égyptienne : des soldats l’auraient forcée à subir un « test de virginité ». Elle attend avec anxiété le verdict du Conseil d’État prévu pour le 29 novembre.


Cinq organisations pour la défense des droits de l’Homme défendent son cas face à l’armée. Cette affaire a suscité l’intérêt des médias internationaux et pourrait représenter une nouvelle étape dans le droit des femmes.


Néanmoins, Samira Ibrahim sait que c’est une affaire de longue haleine. Elle a été prévenue par ses propres avocats : cette bataille sera longue et difficile.


Mais Samira n’abandonnera pas. Elle veut être sûre que plus aucune Égyptienne ne soit contrainte par l’armée à passer par ce « test de virginité ». Un examen qui, selon ses avocats, constitue une agression sexuelle dans le droit égyptien comme dans le droit international.


Dénoncer l’utilisation des « tests de virginité »


[image:5,s]Samira fait partie de ces 17 jeunes filles qui ont été faites prisonnières, le 9 mars 2011, pendant une manifestation place Tahrir. « J’ai été frappée, électrocutée et contrainte à me déshabiller devant des officiers » dit-elle en pleurant. Toutes ont été retenues en captivité pendant quatre jours dans une prison militaire.


Utilisant les deux options légales qui s’offraient à elle, Samira a déposé une plainte officielle auprès de l’armée, afin de poursuivre l’action pénale contre ses agresseurs présumés, et a enregistré un dossier auprès de la Cour administrative du Conseil d’État pour dénoncer l’utilisation des « tests de virginité » dans l’armée.


La plainte officielle devant la Cour administrative stipule que Samira « a été exposée à la plus grande forme d’humiliation, de torture et à une violation du caractère sacré de son corps. »


Lors d’une audience de la cour le 25 octobre, l’avocat du Conseil d’État a refusé cette allégation et a demandé le renvoi du dossier pour manque de preuves.


L’armée visée pour manquement aux droits de l’Homme


Malgré l’aveu par un général égyptien sur CNN de la pratique du « test de virginité » sur certaines prisonnières, le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) persiste à affirmer que l’armée n’a pas ce genre d’habitudes. Dans le même temps, ils informent l’Observatoire des Droits de l’Homme qu’ils ont « ordonné la fin de ces tests de virginité. »


Le cas de Samira dérange les militaires au pouvoir et les accusations de violations des droits de l’Homme mettent la CSFA sous le feu des projecteurs. Les forces armées égyptiennes ont été accusées de réprimer les activistes, mais aussi de retenir, torturer et tuer les manifestants.


« Nous n’aurions jamais imaginé passer autant de notre temps à rechercher des preuves pour tous ces abus de l’armée, » déclarait Heba Morayef, chercheuse à l’Observatoire des Droits de l’Homme (HRW).


Elle confie que le HRW collecte depuis des mois des informations concernant les tortures pratiquées par l’armée sur les manifestants. Elle n’a donc pas été surprise d’obtenir les preuves de mauvais traitements sur 173 personnes, dont les 17 jeunes femmes, qui ont été faites prisonnières le 9 mars. « En revanche, le test de virginité m’a surpris, explique-t-elle à Global Post. C’était sans précédent. »


Samira a également déposé un appel devant le tribunal militaire. Elle a été condamnée à un an de prison avec sursis avant d’être relâchée en mars. « Elle a été la première femme, civile, à être jugée devant une cour militaire » ajoute son avocat, Ahmed Hossam.


Selon l’Observatoire des droits de l’Homme, les militaires égyptiens ont traîné presque 12 000 civils devant leurs tribunaux depuis le mois de janvier. C’est plus que le nombre total de civils apparus devant un tribunal militaire pendant les trente ans de règne d’Hosni Moubarak.


Le « test de virginité » est un acte de torture


[image:1,s]« Je dois parler de cette histoire et me battre pour la justice » déclare Samira.


Les cinq organisations pour la défense des droits de l’Homme  qui représentent légalement Samira sont : L’Initiative Égyptienne pour les Droits Personnels, le Centre Nadim pour la Réhabilitation des Victimes de Violence et de Torture, le Centre de Droit Hisham Mubarak, la Nouvelle Fondation de la Femme, Nazra pour les Études Féministes et le Groupe Non aux Procès Militaires.


Ibitissam Hassan, avocat pour le Centre Nadim, remarque que Samira a une conception très claire de ce que signifie la violation de ses droits. « Certaines filles ne comprennent pas le concept de « violation » et on a dû leur expliquer » ajoute-t-elle à Global Post, mais Samira avait une bonne compréhension de la loi en matière de droits de l’Homme.


Un communiqué de presse commun à 17 organisations a condamné l’abus psychologique et physique des prisonniers du 9 mars.


« La torture est, en elle-même, une des pires violations des droits humains et du caractère sacré du corps humain, mais les incidents sont aussi une violation très claire des conventions nationales et internationales régissant la profession médicale. »


La société égyptienne se tait


Alors que la bataille a reçu une attention considérable dans la presse internationale, les médias locaux égyptiens n’ont absolument pas couvert le sujet. Samira ne comprend  pas : « Cela me brise le cœur de voir que la communauté internationale a mieux suivi mon histoire que mes propres frères égyptiens. »


Dans la société égyptienne modérée politiquement, mais conservatrice socialement, l’honneur d’une femme est directement lié à sa virginité. Tout ce qui pourrait mettre à mal cette virginité, même si la femme n’est pas en faute, peut devenir un handicap pour elle et sa famille. Ce sujet est très sensible, voire trop sensible pour être abordé publiquement et cela inclut les problèmes de « test de virginité », d’abus sexuels et de viols.


« La société n’accepte pas que ces choses soit étalées en public, parce qu’elle considère que c’est un sujet trop personnel et trop privé, explique Hafsa Halawa, une avocate égyptienne. Cette histoire a été considérée comme une violation de la féminité de Samira. »


D’autres violations contre les femmes sont largement oubliées en Égypte. Un rapport daté de 2003 a démontré que 98 % des cas de viols et d’agressions sexuelles n’étaient pas déclarés au gouvernement. Ce constat ne concerne pas que l’Égypte. Les tabous sociaux et les peurs concernant la sécurité empêchent beaucoup de femmes de chercher de l’aide, et l’absence de dépôt de plainte pour abus sexuels et viols est un phénomène mondial. Dans certains pays, certaines études montrent que seules 55 % des femmes ayant subi des violations en témoignent.


Rasha Abdelrahman fait partie des victimes. Elle admet qu’elle a été réticente à l’idée de venir sur les plateaux télé parce qu’elle avait peur d’être reconnue et de « dire quelque chose qui aurait pu nuire à sa famille. »


Seules quelques femmes ont accepté de parler en public pour affirmer qu’elles avaient été arrêtées et forcées à subir un test de virginité.


Défier l’armée à tout prix


[image:3,s]Ces activistes étaient détenues pour plusieurs charges qui portaient contre elle et qu’elles remettent en cause. L’une d’entre elles était la violation du couvre-feu. Néanmoins, les avocats ont rappelé que les femmes avaient été arrêtées à 15 h, heure à laquelle il n’y avait pas de couvre-feu.


Rasha Abdelrahman a porté plainte contre l’armée pour torture et agression sexuelle. « Mais c’était il y a cinq mois, a-t-elle déclaré à Global PostMon dossier n’a pas avancé. » Elle reste néanmoins déterminée à se battre contre le système, malgré le haut niveau de corruption.


Pourtant, sa détermination à défier l’armée au pouvoir ne suffira pas. « Je ne suis pas optimiste, admettait Mostapha Shaaban, l’avocate de Rasha. Le Conseil Suprême des Forces Armées ne résoudra pas le problème puisqu’ils sont, eux-mêmes, le problème. »


Ibitissam Hassan partage ce sentiment : « Je pense que la cour va classer le dossier à cause du manque de preuves. »


Salwa El Hosseini, une autre victime, espère pouvoir porter son dossier devant la cour, mais elle ne pourra pas obtenir satisfaction de la cour dans la mesure où elle n’a pas de papiers d’identité. « Je me serais battue pour mes droits jusqu’à ce que je sois reconnue, » affirme-t-elle. Elle continue à combattre l’armée en parlant aux médias et en partageant son histoire avec le monde entier.


La pratique du « test de virginité »


Les jeunes femmes ont déclaré qu’elles avaient été séparées en deux groupes : les vierges et celles qui ne l’étaient pas. Les vierges ont été contraintes de signer des papiers autorisant les militaires à effectuer ces tests. Elles ont été forcées à se déshabiller et ensuite conduites par une femme dans une salle ouverte. Une fenêtre permettait également aux soldats de regarder la scène et de prendre des photos avec leurs téléphones.


Un médecin militaire a procédé alors à l’inspection des femmes pour vérifier la présence de leur hymen. « Ses mains ont été en moi pendant cinq minutes » se souvient Samira.


Ahmed Ragheb, directeur exécutif du Centre de Loi Hesham Moubarak est certain que ces violations ont été commises sur ces femmes afin de les troubler psychologiquement. « Elles ont été humiliées de cette manière uniquement pour les casser émotionnellement. »


« Les tests de virginité sont une forme de torture quand ils sont faits sous la contrainte, déclarait un porte-parole d’Amnesty International dans un communiqué. Contraindre une femme à faire un « test de virginité » est totalement inacceptable. Cela ne fait que dégrader la femme avec pour seule raison le fait qu’elle est une femme. »


Ces tests enfreignent la Convention de l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes, document qu’a signé l’Égypte.


Le droit des femmes n’est pas la priorité en Égypte


[image:4,s]En dépit du fait qu’elles ont joué un grand rôle dans le soulèvement du pays, les femmes doivent toujours se battre pour leurs droits dans l’Égypte post-Moubarak. Les militants pour le droit des femmes expliquent que l’égalité des sexes n’est pas le sujet du moment. Nous devons nous concentrer sur nos droits sociaux et politiques.


Even Morayef, une activiste des droits de l’Homme, semble presque résignée lorsqu’elle parle de ce très long chemin qui sépare l’Égypte d’une prise de conscience concernant le droit des femmes. « Ce que nous pouvons espérer de mieux, c’est de retenir tout ce que nous avons, aujourd’hui et ensuite, nous battre pour les prochaines générations. Les droits des femmes ne sont sur l’agenda de personne pour le moment. » Elle ajoute, « Cela veut dire que les droits des femmes sont une bataille peut-être plus grande que celle des droits de l’Homme. »


Avec la collaboration de Kristin Deasy et de Laura El-Tantawy


Global Post / Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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