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En Tunisie, l’Assemblée constituante est installée

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[image:6,s]Un mois après les élections du 23 octobre dernier, les 217 élus de l’Assemblée constituante tunisienne se sont réunis pour la première fois mardi 22 novembre. Le rendez-vous était fixé à 10 heures au Palais beylical, dans l’ancien parlement, au Bardo, dans la banlieue ouest de Tunis. Mais, c’est à 11 h 15 que les travaux ont été officiellement ouverts par le doyen d’âge.
Cette assemblée a pour objectif la rédaction d’une nouvelle constitution et l’organisation de nouvelles élections, législatives cette fois, dans un délai d’un an.


La composition de l’Assemblée constituante


COALITION MAJORITAIRE : Ennahda (Islamistes) 89 sièges, Congrès pour la République (CPR-gauche) 29 sièges, Ettakatol (gauche) 20 sièges,


OPPOSITION : Parti démocrate progressiste (PDP – gauche) 16 sièges, Pôle démocratique moderniste (PDM – gauche) 5 sièges


Les autres forces représentées à la Constituante sont l’Initiative, de Kamel Morjane, un ex-ministre de Ben Ali 5 sièges , Afek Tounes (libéraux) 4 sièges, le PCOT (communistes) 3 sièges. Les seize derniers sièges sont répartis chacun entre petits partis et indépendants.


Une inconnue subsiste sur l’attitude qu’adopteront les élus de « La Pétition populaire », une formation indépendante totalement inconnue avant les élections, qui a raflé 26 sièges et se retrouve numériquement la troisième force de l’Assemblée.


Sur 217 élus, les femmes ne sont que 58, soient 26,73 %, et 39 de ces 58 femmes sont issues des rangs d’Ennahda.


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Un mois de tractation pour la formation d’une coalition tripartite


Les trois partis vainqueurs des élections (Ennahda avec 89 sièges, CPR avec 29 élus et Ettakatol avec 20) se sont engagés dans des tractations au lendemain du scrutin.
Ces négociations ont abouti à la répartition des principaux postes – président de la République, président de l’Assemblée constituante et Premier ministre – entre les trois partis.


Selon des sources politiques, la plupart des portefeuilles ministériels ont aussi été attribués mais devront être approuvés par l’Assemblée. Le président de la République par intérim, Fouad Mebazaa, le Premier ministre par intérim, Beji Caïd Essebsi, et l’ensemble du gouvernement  établi au lendemain du départ de Ben Ali resteront en poste jusqu’aux passations de pouvoir.


Élément à noter : cet accord a été signé par Rached Ghannouchi, au nom d’Ennahda, même si celui-ci a choisi de ne pas occuper une fonction officielle.


Trois « présidents » pour une transition


Président de la République : Moncef Marzouki (CPR), l’opposant historique de Ben Ali


Sa mission : garantir l’équilibre, en arbitre, et représenter la nouvelle Tunisie

[image:2,s]Objectif atteint pour Moncef Marzouki qui, dès le 17 janvier 2011, annonçait sa candidature à une future élection présidentielle. Le poste lui a été proposé le 16 novembre dernier.


Né le 7 juillet 1945 à Grombalia, il poursuit ses études secondaires en Tunisie et au Maroc. Brillant élève, lauréat du concours général en arabe, il bénéficie d’une bourse pour aller étudier en France. Docteur en médecine de l’Université de Strasbourg en 1973, ancien interne des hôpitaux et assistant à la faculté de médecine de Strasbourg, il est spécialisé en médecine interne, neurologie et santé publique.


Comme la plupart des grandes figures de la gauche laïque tunisienne, il s’engage, initialement, en faveur des droits de l’Homme, au sein de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) en 1980. Membre du comité directeur en 1985, vice-président chargé de l’éducation du public en 1987, il est élu président de la Ligue en 1989. Le 14 juin 1992, l’organisation est dissoute et Marzouki constitue alors le Comité national pour la défense des prisonniers d’opinion, déclaré illégal. La LTDH est légalisée en mars 1993 mais il décide de ne plus briguer de mandat en son sein. Il s’investit activement dans la section tunisienne d’Amnesty International.
Candidat à l’élection présidentielle du 20 mars 1994, il ne parvient pas à obtenir le nombre de signatures requises. Dans la foulée, il est même emprisonné et se voit confisquer son passeport. Il devient tout de même président, mais de l’Organisation arabe des droits de l’Homme. Et puis président encore, le 25 juillet 2001, après la création de son parti, le Congrès pour la République (CPR). Opposant historique de Ben Ali, son mouvement ne sera jamais reconnu jusqu’à la « révolution de Jasmin ». Licencié de son poste à la Faculté de médecine de Sousse, il sera contraint de passer dix ans en exil en France.


Le 17 janvier 2011, Ben Ali en fuite, Marzouki annonce donc sa candidature à la prochaine présidentielle et rentre de son exil le lendemain. Le 8 mars, la légalisation de son parti est annoncée. Lors de l’élection constituante du 23 octobre 2011, le CPR obtient la deuxième place en nombre de sièges, derrière Ennahda. Pour sa part, Moncef Marzouki est élu dans la circonscription de Nabeul 2.


Président de l’Assemblée constituante : Moustapha Ben Jaâfar (Ettakatol), l’homme qui voulait être président


Sa mission : la rédaction, avant un an, d’une nouvelle constitution en préservant les aspirations démocratiques des Tunisiens

[image:3,s]L’habit ne fait pas le moine, mais n’a-t-il pas des airs de président lorsqu’il salue la foule ou les photographes ? L’homme a une grande idée de lui-même et de son pays. Orphelin de père, ce Tunisois, né en 1940, répond très jeune à l’appel nationaliste, cause à laquelle ses cousins, militants du néo-Destour, l’ont initié. Étudiant en médecine, en Tunisie puis en France, jusqu’en 1968, il rejoint à son tour le parti, désormais au pouvoir.


En désaccord avec la ligne majoritaire, il contacte à son retour de France des dissidents du parti. À partir de ce moment-là, il mènera de nombreux combats avec les forces en opposition, incarnant une aile plus modérée, non pas tant dans sa relation au pouvoir mais dans ses convictions idéologiques, très centristes. Il participe à la fondation de l’hebdomadaire Er-Raï, du Conseil des libertés en 1976, ancêtre de la Ligue tunisienne des droits de l’homme puis du Mouvement des démocrates socialistes en 1978.
Parallèlement, marié à une Française avec laquelle il a trois garçons et une fille, il poursuit une brillante carrière professionnelle. Professeur à la faculté de médecine de Tunis, il est aussi chef du service de radiologie au CHU de La Rabta.


Notable aux principes et aux convictions fortes, sûr de lui-même et de ses compétences, il s’oppose au pouvoir comme à ses camarades au sein de l’opposition. Ainsi, il fonde en 1994 son propre parti, le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), légalisé en 2002. En 2009, il souhaite se présenter à la présidentielle. Amateur de belles formules et gaullien à ses heures, il déclare au Monde : « Ne pas se présenter, ce serait déserter. » Sa candidature est invalidée au motif qu’il n’est pas le chef élu de son parti depuis au moins deux ans.


Le 17 janvier 2011, il est nommé ministre de la Santé publique dans le gouvernement d’Union nationale. Le lendemain, il claque la porte en raison du maintien de ministres issus du gouvernement déchu, et parce que la rue s’en émeut…
À la veille des élections législatives, il rêverait plus que jamais de la présidence. À gauche, on l’accuse même d’être prêt à pactiser avec les islamistes pour y parvenir. Pourtant, Mustapha Ben Jaafar l’a bien dit, il n’a pas l’âme d’un déserteur…


Président du conseil des ministres : Hamadi Jebali (Ennahda), l’Islamiste consensuel « façon Erdogan »


Mission : gérer le pays, mettre en œuvre le programme d’Ennahda sans pour autant effrayer investissements et partenaires étrangers

[image:4,s]À 62 ans, ce journaliste, ancien directeur de l’hebdomadaire islamiste El-Fajr, a des allures de bon père de famille. Il l’est. Marié à Wahida, elle-même journaliste, ils ont trois filles. Mais ses trois filles, il ne les a, pour ainsi dire, pas vues grandir. Membre du bureau exécutif d’Ennahda avant son interdiction, il est condamné en 1991 pour diffamation en raison d’articles sur le régime d’exception que font régner les tribunaux militaires.


En 1992, la répression du régime Ben Ali s’intensifie et il est arrêté avec 1 000 autres activistes. Verdict : 16 ans fermes pour « complot visant à changer la nature de l’État ». Après dix années passées à l’isolement, il engage en 1992 une grève de la faim et finit par être hospitalisé. L’opinion internationale est alertée, Ben Ali fulmine. En 2006, il est libéré sur grâce présidentielle et retourne avec toute sa famille dans sa ville natale de Sousse.


Muet pendant ces années, il sort de sa réserve le 18 janvier 2011 et s’impose rapidement à nouveau comme acteur politique majeur. Fin stratège, conscient des contradictions entre les aspirations démocratiques et laïques des principaux acteurs de la « révolution de jasmin » et le corpus idéologique de certains caciques de sa famille politique, il entend incarner une alternative islamiste modérée s’inspirant ouvertement de Recep Tayyip Erdogan et de son AKP au pouvoir en Turquie. Excellent dans les joutes oratoires, c’est un politique aguerri qui tiendra toute sa place dans l’opposition, comme au pouvoir. 

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