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Entretien avec Bernard Sabella, député du Fatah

Député du Fatah, représentant de Jérusalem au Conseil national législatif, le docteur Bernard Sabella est un proche de Mahmoud Abbas. Professeur de sociologie à l’université de Bethléem, c’est un intellectuel. Chrétien et fier de l’être, il défend farouchement l’appartenance des Chrétiens de Palestine à la nation palestinienne. Vendredi 25 novembre dans la matinée, au lendemain de la rencontre entre les deux leaders du Fatah et du Hamas, Mahmoud Abbas et Khaled Mechaal, au Caire, Bernard Sabella a répondu à nos questions par téléphone depuis Jérusalem. Il nous a fait part de ses réactions à ces avancées quelque peu inattendue de la réconciliation nationale palestinienne et a partagé sa vision de l’avenir du processus de paix entre Israël et les Palestiniens.


Le partenariat Hamas-Fatah, un réel espoir


JOL Press : Le partenariat conclu jeudi 24 novembre au Caire entre le Fatah et le Hamas établit-il les conditions d’une réconciliation nationale palestinienne ?

Dr Bernard Sabella, membre du Conseil législatif palestinien : Cela crée un réel espoir même s’il reste de nombreuses questions en suspens, bien des problèmes pratiques à résoudre.
Par exemple, quel gouvernement pour Gaza ? Le Hamas compte-t-il continuer à diriger Gaza ? Y aura-t-il toujours deux gouvernements, un à Gaza et un autre à Ramallah, ou un seul ?
Le partenariat, tel qu’il est présenté, ne précise pas sur quelle vision les partenaires entendent se mettre d’accord pour mettre un terme au conflit avec Israël et en finir avec l’occupation.
Au-delà du rapprochement politique, ce sont les esprits qu’il faut unifier, il faut recréer un sentiment national partagé par la très grande majorité des Palestiniens. Sans cela, nous n’avancerons pas dans la recherche de solutions durables tant sur les questions intérieures que dans nos rapports avec Israël.


Gouverner à Gaza a fait évoluer le Hamas


JOL Press : Comment expliquez-vous l’annonce par le Hamas de sa décision d’abandonner la lutte armée et de se convertir à l’idée d’une résistance passive ? C’est un véritable aggiornamento idéologique…

Dr Bernard Sabella : C’était assez prévisible, parce que le Hamas se devait, à terme, de tirer les conséquences de son expérience de gouvernement à Gaza, depuis 2007. Ses chefs ont dû réaliser que l’idée d’en « finir avec l’occupation » n’a pas seulement des motivations d’ordre idéologique. La majorité des Palestiniens estime que le prix à payer en raison du conflit avec Israël est bien trop élevé. Ils ont des revendications auxquelles ils continuent de croire mais ils ne veulent plus affronter directement la formidable machine militaire israélienne.


JOL Press : Vous y croyez vraiment à cet abandon de la lutte armée ?

Dr Bernard Sabella : Sur le principe, oui. C’est ce que le Hamas a déclaré, suivant ainsi le souhait de l’essentiel des Palestiniens. Mais, l’option de reprendre la lutte armée, si nécessaire et inévitable, demeure.


Jérusalem-Est, partie intégrante de la Palestine


JOL Press : Qu’est-ce qui pourrait justifier une reprise de cette lutte armée ?

Dr Bernard Sabella : Un certain nombre de questions ne peuvent pas être laissées de côté et constituent des lignes rouges. Parmi celles-ci, la question des frontières de 1967, comme celle des colonies juives. Le sujet des réfugiés, même chose. Je représente Jérusalem au Conseil législatif palestinien. Jérusalem-Est est partie intégrante d’un État palestinien, c’est un symbole sur lequel nous ne pouvons tergiverser.
D’ailleurs, que ferons-nous si Israël s’oppose à l’organisation des scrutins électoraux de mai 2012 à Jérusalem-Est ? Faudra-t-il maintenir les élections, ou pas ?


Un changement de mentalité au sein de la population palestinienne


JOL Press : Restons sur la réaction d’Israël. Considérez-vous que l’évolution des mentalités chez les Palestiniens, telle que vous la décriviez, soit comprise, prise en compte par les Israéliens ?

Dr Bernard Sabella : Ces changements du côté palestinien ne sont pas suffisamment appréciés, convenablement appréhendés par les Israéliens, ou en tout cas par leurs dirigeants politiques. La droite israélienne, au pouvoir avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu, entend contrôler, et continuer à contrôler. Son attitude est un réel danger tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens – et de plus en plus d’Israéliens le ressentent ainsi.
Les suites du « Printemps arabe » demeurent incertaines. Nul ne sait quels types de pouvoirs finiront par s’installer dans les pays de la région. Ce sont pour plusieurs raisons dans l’intérêt d’Israël de favoriser maintenant une solution politique au conflit israélo-palestinien. Son intransigeance risquerait de radicaliser une rue arabe par nature plutôt hostile à Israël et favoriser éventuellement l’arrivée d’extrémistes à la tête de ces pays. Et tout pourrait alors se compliquer. Il semblerait que nous soyons au cœur d’une fenêtre d’opportunité. C’est le temps d’une solution politique.


Le partenariat politique renouvelé entre Hamas et Fatah ne doit pas être perçu par Israël comme une menace. Au contraire, c’est une opportunité qui pourrait changer le jeu à jamais.


Aucune des 18 factions palestiniennes ne doit être exclue de la réconciliation nationale


JOL Press : Qu’attendez-vous des rencontres des 20 et 22 décembre au Caire qui vont officialiser la réconciliation nationale palestinienne ?

Dr Bernard Sabella : Jeudi 24 novembre, les principes ont été fixés par les leaders. Désormais, les équipes de toutes les parties se rencontrent. Il y a 18 factions, me semble-t-il. Il s’agit de résoudre des détails pratiques en vue de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, celui qui sera chargé de préparer les élections et de réunifier Gaza et la Cisjordanie.


JOL Press : Que pensez-vous de la présence annoncée du Jihad islamique à ces prochaines réunions ?

Dr Bernard Sabella : Il faut impérativement que toutes les factions soient représentées. Nous devons apprendre des erreurs que nous avons commises depuis 1967. D’abord, nous devons être unis. Ensuite, nous devons nous mettre d’accord sur les objectifs. Il ne s’agit pas d’affronter les Israéliens pour les affronter. Les Palestiniens n’adhèrent plus aux discours guerriers et il convient de voir comment nous pouvons mettre un terme à l’occupation par des négociations politiques.


La lutte armée a montré ses limites


JOL Press : Vous nous avez parlé à plusieurs reprises de changement de mentalités, d’approches… Qu’est-ce qui a provoqué ces changements ?

Dr Bernard Sabella : La réalité, les limites de la réalité. Nous avons misé sur la lutte armée mais elle a montré des limites, tant au niveau international que sur le plan intérieur. L’affrontement entre Palestiniens ne peut pas durer.
Pendant huit ans, Mahmoud Abbas a essayé de négocier avec Israël sous les auspices américains. Cela n’a pas fonctionné. Le président de l’Autorité palestinienne a compris que s’il ne changeait pas, lui aussi, sa stratégie, il ne serait plus soutenu, car, cela aussi, nous avons essayé sans obtenir les succès escomptés.
Une fois encore, les Palestiniens ont revu leurs priorités. Ils ont d’autres priorités. Ils aspirent à une vie normale avec leurs familles et doivent faire face à des problèmes quotidiens. Les Palestiniens ne sont pas des idéologues. Ils ont connu l’expérience d’être réfugiés, militants, combattants. Ils veulent autre chose.


Les Chrétiens de Palestine, au cœur de la nation palestinienne


JOL Press : Vous êtes chrétien, représentant de Jérusalem. Les Chrétiens de Palestine portent–ils un message spécifique ?

Dr Bernard Sabella : Sur la question de la réconciliation nationale palestinienne, les Chrétiens de Palestine ne font pas entendre un son de cloche particulier. Nous insistons sur le fait que nous nous considérons comme – et nous sommes – partie intégrante de la nation palestinienne. L’approche raisonnable de Mahmoud Abbas, et de l’OLP, est l’approche que nous privilégions.   


Propos recueilli par Franck Guillory pour JOL Press

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