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Faut-il réformer l’Europe ?

[image:1,l]Mêmes causes, mêmes conséquences… À chaque crise, ou soubresaut de crise, économique, financière, diplomatique, humanitaire, se rouvre le procès de la construction européenne. Que Paris, Rome, Londres, Athènes et les autres toussent et, depuis 50 ans, c’est la faute de Bruxelles ! Que cette crise soit sans précédent connu, autre que celle de 1929 et la Grande Dépression qui s’en suivit, et on imagine déjà le bouc émissaire tout trouvé et, cette fois, sa tragique fin annoncée…
Depuis l’approfondissement de la crise de la dette, en Grèce d’abord puis à travers toute la zone euro, les Cassandre ne manquent pas qui prédisent la fin du « fleuron » de la construction européenne – « Une chance sur deux pour que l’euro n’existe plus à Noël », prévient, sûr de lui, Jacques Attali. Et de la fin de l’euro, il n’y a qu’un pas à imaginer que les jours de l’Europe, telle qu’on la connaît, s’en trouvent comptés…


Le niveau national, un recours face à la crise


[image:5,s]Les résultats du sondage « Les Français face à la crise de la dette en Europe », commandé par JOL Press à l’institut de sondage Harris Interactive, montrent que le niveau national conserve toute sa légitimité.
En réponse à une première question, 64 % des Français interrogés estiment que chacun des États de l’Union européenne doit pouvoir prendre des initiatives individuelles pour lutter contre sa dette publique, sans nécessairement avoir l’accord des autres pays européens. À première vue, les tenants de la souveraineté des nations y verront, sans doute, un motif de satisfaction. De la même manière, les succès rencontrés, compte tenu des circonstances, par des initiatives, isolées ou plutôt indépendantes – comme le lancement, jeudi dernier, par la Belgique d’un emprunt national et, ce lundi, le succès de la « Journée des bons du Trésor » en Italie, lors de laquelle les petits porteurs pouvaient participer au financement de la dette – attestent de la pertinence persistante du niveau national – au-delà même de la manifestation d’un sentiment patriotique -, là où parfois on aurait pu finir par en douter.
Face à la crise, il semblerait donc que le réflexe, spontané et dominant, reste bien de se tourner vers l’échelon national. Cette constatation, si elle se confirmait ailleurs, pourrait conforter, à travers l’Europe, les tenants du « moins d’Europe », mais aussi nourrir les argumentaires de « populistes », tant à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, prêts à transformer cette crise en succès électoral. Ce serait réducteur.


Le niveau européen est critiqué mais pas, pour autant, disqualifié


Dans la même étude, 78 % des sondés estiment que les institutions européennes ont plutôt pas ou pas du tout été efficaces pour limiter les effets de la crise financière et les dangers pesant sur la zone euro.
Pour autant, cela ne disqualifie pas le niveau européen puisque 45 % des Français se déclarent, dans le même temps, favorables à plus de contrôle des budgets des pays membres par la Commission européenne et une moindre autonomie de chacun des pays membres.
Les critiques relatives à l’efficacité des institutions européennes ne remettent pas en cause, par principe, l’échelon européen ou la construction européenne. Sont visées les institutions européennes telles qu’elles existent et ont fonctionné, et non pas le principe même de leur existence et, encore moins, la coopération supranationale.
Ces observations plaident, en revanche, pour une définition plus rigoureuse des rôles entre les différents niveaux de pouvoir et la recherche d’une toujours plus grande efficacité dans leur coordination. La crise remet au goût du jour un principe fondamental de la construction européenne, quelque peu délaissé au profit de concepts plus manichéens : le principe de subsidiarité.


Rappel : le principe de subsidiarité, principe fondateur de la construction européenne


[image:2,s]Contrairement aux caricatures qu’il en est parfois fait – caricatures nourries tant par des positions de principe anti-européennes, voire nationalistes, que par certaines tentations faustiennes de « l’eurocratie bruxelloise » -, la construction européenne, dans l’esprit de ses Pères fondateurs comme dans celui de leurs successeurs, n’a jamais consisté en une course folle, et irrémédiable, vers le transfert de toujours plus de pouvoir à une entité supranationale. Au cœur du débat, inscrit dans chacun des textes fondamentaux, du Traité de Rome à celui de Lisbonne, un principe intangible, le principe de subsidiarité.
Inspiré de la doctrine sociale de l’Église catholique, celui-ci a pour objectif que les décisions prises au sein de l’Union européenne le soient au niveau le plus proche possible des citoyens, mais surtout au niveau le plus pertinent. Au-delà, l’objectif théorique est de permettre la meilleure efficacité possible dans la mise en œuvre des politiques communes, mais aussi de contenir l’expansion du champ de l’action bureaucratique au sein de l’Union.


La subsidiarité, un principe commun à toutes les structures fédérales


À l’origine, ce sont les Länder allemands, forts de leur expérience du fédéralisme allemand, qui avaient insisté pour que ce principe soit inscrit noir sur blanc dans la loi fondamentale européenne. C’est dans le même esprit que sont définies les relations aux États-Unis, fédération par excellence, entre les États et l’administration fédérale de Washington D.C. De même, on retrouve, à mots couverts, ce principe, au sein des États centralisés dans les relations entre le centre et ses périphéries : en France, les lois de décentralisation successives organisent ainsi la répartition des missions avec pour objectif la recherche de la meilleure efficacité au meilleur niveau de compétence. L’Europe, la lente marche de la construction européenne, ce n’est, d’un point de vue juridique et institutionnel, rien de plus.


Les défaillances dans la mise en œuvre de ce principe ont miné la construction européenne


Assez d’angélisme. L’histoire de la construction européenne est celle d’une méfiance à l’égard de « Bruxelles », une méfiance qui, à défaut d’être croissante, est indéniablement chronique. Les raisons de ce phénomène sont connues et l’argumentation éprouvée. Tant éprouvée que, parfois même, les plus fervents partisans de la construction européenne, aux hasards des circonstances ou de leurs positions de pouvoir, ont pu y succomber : sus à une Europe trop lointaine, trop désincarnée, trop intrusive… Au cours des 50 dernières années, souvent, de manière injustifiée ou pas, l’Europe, Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg ou l’idée même d’Europe, ont porté le chapeau, bouc émissaire tout trouvé à la moindre difficulté… La crise de l’agriculture française, l’Europe ! L’hyper-régulation de nos sociétés, l’Europe ! Et la hausse des prix, c’est l’euro ! Un seul argument, bon an, mal an, semble, objectivement, à même de résister : l’Europe, c’est la paix ! Une histoire de ponts et de portes fermées…
[image:4,s]Et tout cela, en prétendant, à la fois, élargir à marche forcée vers l’est, au prétexte de l’Histoire, et approfondir, en la dotant d’une monnaie unique, la construction européenne
Mais, ce processus ne saurait se limiter à l’accumulation de compétences supplémentaires à un échelon supplémentaire. La crise actuelle met en évidence les limites de certains dispositifs communautaires, souffrant souvent d’avoir poussé trop loin ou, au contraire, d’avoir été interrompus trop tôt. Le syndrome d’une Europe restée, dans de trop nombreux domaines, au milieu du gué, où tant de réformes ne sont pas menées jusqu’au bout de leur logique par crainte d’en assumer pleinement les conséquences, et sans se soucier des conséquences de cette même prudence. L’exemple flagrant est omniprésent : comment se doter d’une monnaie unique tout en conservant 17 politiques économiques et avec des critères de convergence en rien impératifs.


Les appels à une nouvelle gouvernance européenne


[image:3,s]Oui, les jours de l’Europe, telle que nous la connaissons, sont sans doute comptés. Et c’est en application de l’esprit même du principe de subsidiarité que cette nouvelle gouvernance semble devoir être élaborée.
Avant le Sommet européen du 9 décembre, Paris et Berlin intensifient leurs discussions afin de renforcer le pacte de stabilité, montrant que les deux capitales sont convaincues qu’il convient d’apporter des réponses politiques à la crise. La gravité de cette crise et la nécessité d’y apporter une solution rapide rendent impossibles de passer par une réforme des traités européens, qui s’imposerait aux 27 membres de l’Union et devrait être ratifiée par les 27, un processus bien trop long et périlleux – comme l’avait prouvé l’interminable ratification du traité de Lisbonne. Preuve que les approches ont changé, sous le coup des circonstances : Français et Allemands envisageraient une autre méthode pour modifier le fonctionnement de la zone euro, celle utilisée pour la Convention de Schengen, une série de traités bilatéraux. L’Union se verrait ainsi dotée de nouvelles compétences par nécessité et non par idéologie. Cette nécessité, devenue loi, pourrait bien changer le visage de l’Europe.

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