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Grèce, Italie… les réformistes contre les populistes?

[image:1,l]La crise européenne a d’abord été financière et économique, elle le demeure. Mais, désormais, à cette crise s’ajoutent des crises, politiques celles-ci, qui menacent de bouleverser durablement les équilibres en place tant dans les pays membres qu’à l’échelle de l’Union.

Les enseignements d’un retrait de Papadémos

[image:2,s]Lucas Papademos paraissait l’homme de la situation en Grèce. Économiste de formation, réputé pour son expertise, c’est avant tout un technocrate, fin connaisseur de l’univers des banques centrales où il a mené, à Athènes puis à Francfort, l’essentiel de sa carrière. Alors que la « troïka » des principaux créanciers de la Grèce – Union européenne, Fonds monétaire international et Banque mondiale – a décidé d’avoir en permanence des représentants sur place, chargés de contrôler la mise en œuvre des réformes imposées au pays, l’ancien vice-gouverneur de la BCE a le profil parfait pour tenir le rôle du « tuteur », à défaut d’être le « sauveur ».

[image:3,s]Bien qu’il ait été conseiller de George Papandreou, ce haut fonctionnaire jouit d’une réputation d’indépendance sur la scène politique athénienne. Mais, s’il s’était déclaré prêt à s’élever au-dessus des partis pour conduire un gouvernement transitoire d’union nationale, il semble que les partis aient du mal à s’élever avec lui. Et d’autant plus lorsque la « perle rare » a posé des conditions, demandé des garanties, en termes de gouvernance, avant d’accepter la mission.
La Nouvelle Démocratie d’Antonis Samaras aurait refusé de s’engager par écrit à adopter au Parlement le plan de sauvetage décidé à Bruxelles le 26 octobre. L’opposition de centre-droit, la force d’alternance face au Pasok au pouvoir, peine, semble-t-il, à perdre de vue la prochaine échéance, celle des législatives anticipées qui devraient se tenir d’ici à une centaine de jours, début 2012.
Et à gauche aussi, l’enthousiasme à l’égard de cette « union nationale » paraît bien mesuré. Sans doute, débarrassé de son vieux rival Andréas Papandréou, le ministre des Finances Evangelos Venizelos veille-t-il à ne pas compromettre ses chances d’accéder un jour, aussitôt que possible, au pouvoir…

En réalité, ce serait la « jeune garde », tant à gauche qu’à droite, qui pousserait en faveur d’un gouvernement technique doté des moyens de mettre en place les réformes douloureuses mais indispensables pour éviter la faillite du pays et ses conséquences dramatiques, tant économiques, sociales… que politiques. La priorité pour eux, affronter solidairement la situation exceptionnelle à laquelle est confronté le pays, comme, par le passé, en temps de guerre. Une fois la tempête passée, il sera toujours assez tôt de remettre au goût du jour les rivalités de partis et de personnes.
Face à eux, les « vieilles gardes », frileuses à l’idée de dire la vérité au peuple sur la gravité de la situation et tentant désespérément de sauver des décombres d’un « système » qu’ils ont incarné, et dont ils ont tant profité, quelques privilèges et prébendes.

Bis repetita : Berlusconi et les siens s’accrochent au pouvoir

Avec quelques séquences de retard, on pourrait être en train d’assister au même scénario en Italie. Mardi 8 novembre, après avoir perdu, de fait, sa majorité absolue à la Chambre des députés, Silvio Berlusconi a annoncé qu’il pourrait démissionner une fois la loi de Finances pour 2012 adoptée, d’ici à la fin du mois de novembre. Il Cavaliere rejoindrait ainsi le club, en pleine expansion, des dirigeants victimes de la crise.

[image:4,s]Les scénarios avancés pour l’après-Berlusconi mettent en évidence des lignes de fracture proches de celles observées en Grèce. L’opposition de gauche, qui n’a pas encore tenu de primaires de désignation de son candidat pour les élections générales de 2013, n’est pas prête à exercer seule le pouvoir dans les circonstances actuelles. Pier Luigi Bersani, le chef du Parti démocrate, pousse à la constitution d’un gouvernement technique à la tête duquel pourrait être placé Mario Monti, ancien commissaire européen, un profil assez proche de celui de Lucas Papademos. Encore faudrait-il que celui-ci accepte…

Nul doute qu’il serait confronté au même genre de difficultés que son homologue grec. Berlusconi semble décidé à placer un de ses proches au pouvoir, idéalement son jeune « poulain » Angelino Alfano. Au-delà de l’intérêt du pays, il tente de préserver un système dont il a tant profité et qui l’a protégé – et le protège encore – de ses péripéties judiciaires, de ses frasques en tout genre. Un comble pour un homme d’affaires entré en politique, en 1993, au lendemain de « Mani pulite », une mini-révolution orchestrée par les juges contre une classe politique minée par la corruption et le favoritisme…

La tentation de courir après les populistes

L’histoire nous l’a appris et, plus que jamais, il serait de bon ton de ne rien oublier. Face à une crise de l’ampleur que nous traversons, la tentation populiste est plus forte que jamais. Les temps sont propices à l’aventure. À Cannes, lors du sommet du G20, Silvio Berlusconi n’a-t-il pas prétendu que la crise ne devait pas être si grave puisque, à Rome, les restaurants sont pleins ? À Athènes, Antonis Samaras n’a-t-il pas été tenté de laisser croire qu’une fois arrivé au pouvoir, il serait en mesure, lui, d’obtenir un meilleur « plan de sauvetage » que celui négocié par George Papandréou auprès des responsables de l’eurozone ? N’a-t-il pas, discrètement, continué à jouer de l’argument alors même que, depuis Cannes, là encore, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, fortement remontés, ont rejeté toute renégociation et menacé de sursoir aux versements prévus si l’incertitude politique se poursuivait ? Le manque de réalisme se révèle contre-productif pour ses auteurs, qui ne parviennent qu’à se discréditer davantage auprès d’électeurs qui les tiennent pour collectivement responsables des difficultés qu’ils traversent jusque dans leurs vies quotidiennes.

[image:5,s]Le risque est de laisser la voie libre aux véritables populistes qui, extrémistes de droite, de gauche… ou du centre, prétendent déjà détenir des solutions miracles, au caractère miraculeux, le plus souvent, discutable. Une telle tentation est ainsi observable, par exemple, aux États-Unis. Ce n’est pas un hasard si, à droite, les primaires républicaines apparaissent phagocytées par le populisme du Tea Party et si, à gauche, certains, au sein du Parti démocrate, s’interrogent sur les manières d’appréhender – et de tirer profit – du mouvement des « Indignés » d’Occupy. En Italie, Umberto Bossi, le chef de la Ligue du Nord, pourtant allié à Berlusconi, agite à nouveau le spectre d’une scission de sa Padanie, lasse de payer pour Rome et le sud de la péninsule. En Espagne, la Catalogne se sent de nouveau pousser les ailes de l’indépendance, comme la Flandre en Belgique… Et en France, à l’approche de la campagne présidentielle, l’incertitude est grande quant à l’audience réelle des candidats « anti-système », Front de gauche ou national…  

Réformistes ou réalistes ?

Pour certains, à l’opposition entre conservateurs et progressistes, se substituerait un affrontement entre « réformistes » et « populistes ». Le terme de « réformiste » paraît, d’ores et déjà, dépassé tant il semble désormais impossible de ne pas être réformiste, de prôner la continuité, sans changement. Seul véritable consensus aujourd’hui, en Grèce, en Italie et dans le reste de l’Europe, la nécessité d’agir et de réformer.
La véritable question est de savoir comment réformer, dans quel sens, pour quoi faire ? Là se situe la véritable ligne de front. D’un côté, les populistes qui, faisant fi des contraintes imposées par les cadres existants, européen mais aussi mondial, promettent à nouveau des « lendemains qui chantent » à partir de recettes frisant parfois – souvent – le charlatanisme. De l’autre, les réalistes, ceux qui, lentement, intègrent l’extraordinaire complexité de la situation actuelle et sauront convaincre le peuple d’une certaine bienveillance dans la mise en œuvre de thérapies douloureuses.

[image:6,s]N’est pas Churchill qui veut… « Du sang, de la sueur et des larmes » n’est pas plus qu’autrefois un slogan porteur aisé à « vendre » aux électeurs. Peut-être l’est-il même encore moins dans une société de la jouissance permanente, de moins en moins encline aux sacrifices et à l’effort. Pourtant, comment feindre d’ignorer plus longtemps la dure réalité à laquelle nous nous trouvons confrontés, comment ne pas admettre que les défis, auxquels l’Europe, dans son ensemble, doit faire face, imposent des mesures d’un courage exceptionnel et, sans doute, des pratiques renouvelées ?
Se prendre pour Churchill, c’est aussi ne pas oublier qu’à peine la bataille gagnée, celui-ci fut, sans ménagement, remercié par des électeurs britanniques qui, aux élections de 1945, ont estimé avoir bien mérité le droit de se remettre à rêver… Il quitta 10 Downing Street et les rênes du pouvoir mais, déjà, il était entré dans l’Histoire.

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