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Guerre froide en eaux chaudes

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La rivalité entre les États-Unis et la Chine ne cesse de croître. En Asie du Sud, elle revêt des contours des plus dangereux où une course à l’armement est engagée. En témoigne l’annonce mercredi 16 novembre par Barack Obama d’utiliser Darwin (Australie) comme nouveau centre d’opérations militaires, et la chaîne de réactions qui s’en suivirent.

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L’Indonésie circonspecte, la Chine encerclée

L’accord entre les États-Unis et l’Australie pourrait « provoquer une réaction puis une contre-réaction créant un cercle vicieux de tensions et de défiance ». Cette déclaration du ministre des Affaires étrangères indonésien, Marty Natalegawa, dans le Jakarta Post du mercredi 23 novembre, illustre à merveille l’état de stress en Asie du Sud. Elle fait suite à la perspective annoncée de la construction dès le premier semestre 2012 d’une base militaire américaine à Darwin, à la pointe nord de l’Australie, à moins de 900 km des côtes indonésiennes. Près de 2 500 marines y seront ensuite déployés.

Par cet accord, les États-Unis semblent signifier qu’ils ne lâcheront pas un pouce de terrain dans la région, au risque de se lancer dans une escalade sans fin avec la Chine. Un Empire du milieu qui au fur et à mesure de sa croissance affiche une volonté d’expansion correspondante. Or celle-ci se heurte, d’ores et déjà, à une présence américaine des plus étendue. Militairement en poste dans de nombreux pays en Asie, particulièrement au Japon, en Corée du Sud, à Guam (E.U), aux Philippines, en Afghanistan ou en Australie, les États-Unis « encerclent » et « contiennent » au propre comme au figuré les ambitions de Pékin. Cette stratégie n’est pas sans rappeler la doctrine Truman ou politique de containment (endiguement) orchestré en son temps contre le bloc communiste durant la guerre froide. Situation jugée, on le devine, inacceptable et illégitime par le gouvernement chinois.

L’imbroglio des revendications en mer de Chine méridionale

La mer de Chine méridionale (qui s’étend en gros du nord de l’Indonésie jusqu’à la Chine) est un point de contention central et complexe entre bien des parties en présence dans la zone. Les îles Spratley et les îles Paracel en particulier recèlent des zones de pêches importantes, et semble-t-il pour les premières, des gisements de pétrole et de gaz naturel considérables. En outre, cette mer est l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Elle est donc l’objet de toutes les convoitises. Le Vietnam, Les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, le sultanat de Brunei et Taïwan en revendiquent chacun une partie, tandis que la Chine, bien sûr, en revendique l’entièreté.

Or, dans ce contexte, l’établissement d’une base militaire américaine à Darwin est vécu par Pékin comme une nouvelle intrusion insupportable. Le 18 novembre dernier, d’après le Jakarta Post, le Premier ministre chinois Wen Jiabao a déclaré que « des forces extérieures ne devraient sous aucun prétexte interférer » dans le conflit régional sur le contrôle de la mer de Chine méridionale. L’identité des « forces extérieures » en question ne faisant aucun doute…

La Chine fait-elle trop peur ?

[image:2,l]John Mearsheimer, professeur de science-politique à l’Université de Chicago, a parfaitement décrit à GlobalPost, l’escalade militaire dans la région: « La plupart des voisins de la Chine sont inquiets des implications induites par une Chine puissante, ceci les amène à rechercher l’aide de Washington. Évidemment, ces gestes apparaissent menaçants pour la Chine, et celle-ci augmente alors la taille de son arsenal, ce qui suscite encore plus de crainte de la part de ses voisins et des États-Unis, et les conduisent à leur tour à se renforcer militairement (…). Ce qui se joue sous nos yeux est le dilemme de sécurité classique et il est susceptible de mal finir ». Ce cercle vicieux fait parfaitement écho aux déclarations du ministre des Affaires étrangères Indonésien précitées.

Le gouvernement chinois tente donc de dissuader voire d’intimider ses voisins afin qu’il cesse de se lier militairement à Washington. C’est d’ailleurs très exactement le sens du message adressé à Canberra suite à l’annonce de l’accord. Le 17 novembre, People’s Daily, journal d’État chinois en langue anglaise, avertit : « Si l’Australie utilise ses bases militaires pour aider les États-Unis à nuire aux intérêts chinois, alors l’Australie se retrouvera d’elle-même au cœur d’un tir croisé ».

Mais ces mises en garde ne semblent pas avoir l’effet escompté, car dans la région, la Chine peut compter ses alliées sur les doigts d’une main. Pire encore, ceux-ci sont à la fois mineurs et contre-productifs : la Corée du Nord, le Myanmar (Birmanie) ou le Laos, sont des régimes dictatoriaux aux abois, voire exsangues. Leur image est profondément dégradée et/ou leur poids économique dramatiquement faible. Au surplus, ils représentent un obstacle au cas où la deuxième puissance mondiale souhaiterait un jour renverser certaines alliances, par exemple avec la Corée du Sud.

Mais Pékin, une nouvelle fois, semble sûr de sa force et compte avant tout sur la patience, comme le montre son goût prononcé pour la stratégie dite « des petits pas ». Ne jamais cesser de revendiquer, avancer petit à petit, et un jour, lorsqu’elle sera devenue suffisamment puissante, imposer ses vues sans qu’elles ne puissent plus être contrecarrées. Or sur ce plan, le temps et la géographie sont ses alliés objectifs. Et ils sont d’importance. Si sa croissance économique continue sur le même rythme, elle aura surpassé les États-Unis d’ici à 2025. Quant à la mer de Chine méridionale, malgré les vicissitudes du monde, elle n’aura sans doute pas traversé le Pacifique d’ici là…

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