Site icon La Revue Internationale

Hu Jintao ou le marchand de sable chinois

4generations.jpg4generations.jpg

Il a cédé le pouvoir volontairement en novembre 2012. En dix années à la tête de la Chine, Hu Jintao aura vu son statut sur la scène internationale se métamorphoser. Crise de la dette en Europe, crise nucléaire en Chine, crise syrienne ou libyenne… Pas un soubresaut sur la scène internationale sans qu’il ne soit consulté. Un pouvoir considérable sur la scène internationale à la hauteur du poids économique, et démographique, de son pays. Un pouvoir dont il n’use, semble-t-il, qu’avec parcimonie. Pur produit de l’élite communiste chinoise, il a grandi sous Mao et gravi les marches du pouvoir sous Deng Xiaoping. Une personnalité peu connue et assez indescriptible. Pour tenter de le comprendre, il faut, pour commencer, s’intéresser à son parcours…

Au nom du père…

C’est souvent dans la jeunesse d’un leader qu’il faut chercher le ressort de son ambition, la source de son énergie à franchir, une à une, les hautes marches du pouvoir. En pleine révolution culturelle, le père de Hu, propriétaire modeste d’une entreprise de commerce de thé avant l’arrivée au pouvoir des communistes, est dénoncé pour non-respect des dogmes maoïstes. Le jeune homme, né en plein milieu de la Seconde guerre mondiale, un 21 décembre, premier jour de l’hiver 1942, a alors à peine 20 ans. Il a quitté sa ville natale de Taizhou, dans le Jiangsu, et est un brillant étudiant en ingénierie hydraulique à l’université de Tsinghua de Beijing. À partir de ce moment, il n’aura de cesse que de laver l’honneur et le nom de son père.
C’est à Tsinghua qu’il a rejoint le Parti communiste, juste avant la révolution culturelle. Vite remarqué, il prend la tête de l’union des étudiants. Parmi les étudiantes, il remarque Liu Yongqing et l’épouse. Elle est toujours sa femme, ils ont un fils et une fille.
Diplômé, il rejoint les services du ministère des Ressources hydrauliques et de l’Énergie électrique. Il est envoyé en mission sur des projets décentralisés et, à chaque fois, combine ses activités d’ingénieur avec celles de responsable local du parti. Lentement mais sûrement, il progresse dans la hiérarchie de la région de Gansu.<!–jolstore–>

Le programme des « Quatre transformations », un accélérateur de carrière

[image:2,s]En 1980, Deng Xiaoping met en œuvre le programme des « Quatre transformations » qui vise à faire émerger des responsables communistes « plus révolutionnaires, plus jeunes, plus compétents et plus spécialisés ». Dans le cadre de sa recherche de jeunes membres du parti, Song Ping, le premier secrétaire du comité de Gansu du PCC, remarque Hu Jintao et le promeut de plusieurs rangs jusqu’à en faire le responsable adjoint de la commission. Un autre protégé de Song connaît la même réussite, il s’agit de Wen Jiabao, son Premier ministre aujourd’hui.
En 1982, Hu devient secrétaire de la ligue de la jeunesse communiste de Gansu et le directeur de la fédération de la jeunesse pour toute la Chine. Son mentor, Song Ping, est nommé, lui, ministre de l’Organisation du Parti communiste chinois et, à ce titre, est en charge de la promotion des cadres du parti. Assuré du soutien de Deng Xiaoping, l’avenir de Hu s’annonce brillant.
La même année, il est invité à suivre les cours de l’école centrale du parti et se voit confier des responsabilités nationales au sein de la Jeunesse communiste. Deux ans plus tard, il dirige l’organisation et accompagne Hu Yaobang, secrétaire général du parti, dans ses tournées à travers le pays.

Secrétaire du comité du parti à Guizhou

En 1985, Hu Yaobang insiste pour que Hu Jintao prenne la direction du parti à Guizhou. Sur place, tout en suivant scrupuleusement les directives de Beijing et en prenant garde de ne jamais exprimer en public ses propres opinions, il veille, tout particulièrement, à améliorer l’économie de cette province à l’amont des grands fleuves. Perçu comme un officiel intègre et honnête, il gère habilement, en 1987, les manifestations étudiantes en écho de celles de la place Tiananmen. Contrairement à Hu Yaobang, il n’est pas contraint de démissionner.

Jintao au Tibet

Le départ de son patron, Hu Yaobang, est alors considéré comme un mauvais coup pour Hu Jintao, qui s’attire les critiques de vétérans du parti : ils lui reprochent de ne pas avoir suffisamment critiqué l’ex-leader.

En 1988, il prend la direction du Tibet pour y devenir le secrétaire du Parti communiste. Une mission périlleuse. Depuis 1987, des incidents réguliers opposent des Tibétains à la police populaire. En 1989, il déploie 1 700 policiers, à la veille du 30e anniversaire du soulèvement tibétain de mars 1959. Les manifestants sont maîtrisés par la force, la police tire et Hu demande à Beijing de déclarer la loi martiale le 8 mars.

Les circonstances de cet épisode n’ont jamais été éclaircies. Il a très probablement dû approuver l’usage de la force. En a-t-il donné l’ordre ? C’est l’objet d’un débat. La gestion du désordre au Tibet a-t-elle servi d’exemple à la répression des manifestations place Tiananmen ? Rien n’est prouvé. Hu a été parmi les premiers secrétaires régionaux à soutenir les autorités centrales lors de l’envoi de chars face aux étudiants de la place Tiananmen…
Une chose est sûre : son action au Tibet lui a valu l’attention des plus hauts dirigeants du parti, y compris Deng Xiaoping. En 1990, il souffre du mal de l’altitude et rentre à Beijing. Ainsi, il se rapproche encore des hautes sphères du parti. Et là, l’altitude ne l’importune pas.

Le représentant des générations futures au bureau politique

[image:3,s]Avant l’ouverture du XIVe congrès du PCC, les plus hauts responsables du parti s’évertuent à sélectionner des candidats au bureau politique de sorte à permettre une passation de pouvoir paisible entre la deuxième génération de leader – Deng Xiaoping – et la troisième génération – Jiang Zemin, Li Peng. Deng Xiaoping suggère que soit inclus un autre candidat, de moins de 50 ans, incarnant la génération suivante, la quatrième. Song Ping propose Hu Jintao qui, juste avant son 50e anniversaire, devient le plus jeune des sept membres du bureau politique – le deuxième plus jeune depuis 1949.

En 1993, il devient secrétaire du comité central du PCC, supervisant, au jour le jour, les opérations de cet organe de décision. Parallèlement, il est en charge des réflexions idéologiques du parti. Durant le reste des années 1990, considéré comme l’héritier naturel de Jiang Zemin, il veille à ce que celui-ci soit au centre de toutes les attentions.
En 1998, Hu devient vice-président de Chine et Jiang lui demande de jouer un plus grand rôle sur la scène internationale – ainsi, lorsque l’Otan bombarde l’ambassade de Chine à Belgrade en 1999, est-il la voix de la Chine, chargé de dénoncer l’incident.

Enfin le sommet… La succession de Jiang Zemin

Le 15 novembre 2002, au XVIe congrès du PCC, Hu Jintao est élu secrétaire général et, quelques mois plus tard, en mars 2003, président de Chine. Il est le premier dirigeant de la Chine populaire à ne pas avoir, de par son âge, de passé révolutionnaire.
Jiang Zemin, 76 ans, quitte le secrétariat général et le bureau politique pour laisser la place à une « Quatrième génération » de leaders. Pourtant, les spéculations vont bon train quant au maintien de l’influence des proches du dirigeant démissionnaire, sa « clique de Shanghai ».

Les observateurs occidentaux ont imputé la réussite de Hu Jintao à la prudence dont il a su faire preuve, conscient du sort subi précédemment par d’autres héritiers rapidement écartés. Si Deng Xiaoping l’a choisi comme figure de la « Quatrième génération », Hu a su démontrer un réel sens politique pendant la décennie 1992-2002. Il a également profité de l’institutionnalisation progressive du processus de succession à la tête du parti et de l’État, en rupture avec l’autoritarisme maoïste. Jiang Zemin est le premier dirigeant chinois à quitter le pouvoir volontairement, et la transition avec Hu Jintao s’est déroulée de manière ordonnée.

Hu Jintao ou le changement dans la continuité

[image:4,s]Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao héritent d’une Chine secouée par des défis sociaux, politiques et environnementaux dans un monde en bouleversement. Le plus grand de tous est sans doute aucun l’écart faramineux de richesse entre les plus pauvres et les plus riches. Ensemble, ils proposent de créer les conditions d’une « société harmonieuse ». S’éloignant quelque peu de la théorie dominante précédente – « PIB d’abord, bien-être ensuite » –, ils prêtent tout particulièrement attention aux bataillons de Chinois laissés de côté par les réformes économiques à marche forcée. Ils veulent réduire les inégalités et se rendent régulièrement dans les zones les plus pauvres du pays. Hu et Wen s’efforcent de promouvoir une approche plus équilibrée de la croissance économique, ils prennent en compte les inégalités sociales et les dommages environnementaux. Le favoritisme et la corruption minent le pays de l’intérieur et ils lancent le projet « 8 honneurs et 8 disgrâces » – 8, le chiffre porte-bonheur chinois – un programme qui vise à encourager une approche plus morale et moins individualiste de la société.

Parfois, Hu est accusé de faire preuve de populisme en s’adressant directement aux couches les plus défavorisées des Chinois. La « clique » de Jiang Zemin tente, régulièrement, de freiner les réformes – comme une opposition interne ou presque. Il est loin, le maoïsme triomphant…

Une certaine habileté dans la gestion des crises

La première crise est d’ordre sanitaire, elle éclate en 2003 à la suite du déclenchement d’une épidémie de SARS ou pneumopathie atypique aiguë. Critiqué par la communauté internationale pour avoir initialement masqué la gravité de la situation, Hu Jintao révoque plusieurs responsables gouvernementaux et veille à collaborer en plus grande transparence avec les organisations sanitaires internationales.

Malgré les espoirs de voir Hu faire preuve d’un certain libéralisme, son attitude à l’égard des médias demeure sans concession. Si les journalistes sur place ont eu une certaine latitude pour couvrir certains événements, comme l’épidémie de pneumopathie, le tremblement de terre du Sichuan ou les heurts à Urumqi, le régime se méfie tout particulièrement d’Internet. Avec le développement de la Toile, s’est imposée une censure politique encore plus forte que du temps de Jiang Zemin.
Vis-à-vis de Taïwan, Hu a poursuivi la politique d’isolement du pouvoir indépendantiste de Chen Shui-bian, ainsi que la militarisation des abords de l’île – laissant craindre à plusieurs reprises une intervention imminente. Parallèlement, Beijing s’est rapproché des responsables du Kuomintang, le parti historique de la résistance au communisme. Leur victoire à l’élection présidentielle de mars 2008 a permis de relancer depuis les contacts entre l’île et la Chine continentale. Historique.

Quand la Chine s’est éveillée…

Les dix années au pouvoir de Hu Jintao resteront celles de l’émergence d’une Chine puissante, à défaut d’être déjà dominatrice, sur la scène internationale. Dix années, qui correspondent aux dix premières années d’un XXIe siècle qui, prédit-on chaque jour davantage, sera « chinois » ou qui ne sera pas…

La Chine, si longtemps recroquevillée sur elle-même, accueille le monde, et l’accueille bien, à sa façon et à ses conditions. En 2008, la famille olympique se retrouve à Beijing pour des Jeux à une échelle sans précédent. Si les questions des droits de l’homme ou du Tibet sèment le trouble, les appels au boycott échouent et plusieurs des principaux dirigeants mondiaux se rendent sur place pour assister aux cérémonies d’ouverture ou de fermeture, spectacles qui ne sont pas sans rappeler les démonstrations surannées de propagande maoïste. En 2010, Shanghai abrite une exposition universelle, manifestation qui met en évidence la rapidité et l’ampleur de la transformation physique du pays. Toujours plus haut, toujours plus vite.

À l’extérieur, la Chine, forte de moyens financiers sans égaux, tisse sa toile de continent en continent. Partout, jusqu’en Europe et aux États-Unis, les capitaux chinois sont déversés sans compter, sans limites et avec encore peu de contreparties. Si la Chine ne contrôle pas encore le monde, elle est en passe d’acquérir une « minorité de blocage » qui renforce inéluctablement sa position diplomatique. Pas de solution à une crise, aujourd’hui, sans que Beijing ne soit impliqué. Tout cela, souvent, de manière insidieuse, « à la chinoise ». C’est aussi à mettre au crédit de Hu Jintao.

Le marchand de sable chinois

Toutes les figures des trois premières générations de dirigeants chinois, de Mao Zedong à Jiang Zemin, se sont efforcées d’apporter leurs contributions personnelles aux théories marxistes en définissant des objectifs sociaux ou économiques. Pour sa part, Hu Jintao privilégie l’adoption de règles morales. Premier chef d’État de la Chine communiste à ne pas s’exprimer avec un fort accent provincial, il combine avec maestria tradition et modernité. À lui seul, il démontre la spécificité chinoise et la futilité d’imaginer l’avenir du pays en fonction de schémas observés ailleurs dans le monde. La Chine est unique, et c’est peut-être pour ça que, parfois, elle fait un peu peur…

 

Quitter la version mobile