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Inde: la colère d’un pays humilié par la communauté internationale

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Un journal indien (Hindustan Times) a révélé la semaine dernière l’existence d’un incident diplomatique mineur intervenu entre les Etats-Unis et l’Inde fin septembre. Il est le symbole d’une Inde qui n’est pas à sa « juste place » dans le concert des nations.

Fouilles présidentielles

Le 29 septembre dernier, l’ancien président de l’Union Indienne (2002-2007), A.P.J. Abdul Kalam, en voyage aux Etat-Unis, a été fouillé par deux fois à l’aéroport JFK de New-York. La seconde inspection a été effectuée à l’intérieur même de l’avion d’Air India, la compagnie ayant été contrainte d’ouvrir les portes de l’appareil aux officiels américains. Ces derniers ont alors enjoint l’ex-Président à retirer ses chaussures et sa veste pour vérification, et ce malgré les nombreuses objections de l’équipage. Ces fouilles contreviennent clairement aux us du protocole diplomatique.

Cette information, révélée le 13 novembre par l’Hindustan Times, a fait l’effet d’une petite bombe en Inde et a été vécue comme l’humiliation de trop. Suite à l’incident, une « forte protestation » a été émise par les autorités indiennes contre ce qui y est considéré comme une véritable insulte. Abdul Kalam, quatre-vingt ans, ingénieur reconnu, docteur honoris causa de plusieurs universités de son pays, et accessoirement, « père de la bombe atomique indienne », est l’une des figures politiques les plus estimées et respectées de son pays.

 Le gouvernement américain a eu beau exprimer ses « profonds regrets », promettre de prendre toutes les dispositions pour que « ce genre d’incident ne se renouvelle plus à l’avenir », et licencier les deux officiels en cause le 17 novembre dernier suite à la publication des faits dans la presse, « too bad and too late », le mal était fait. D’autant que ce n’était pas la première fois : le 21 avril 2009 déjà, avant d’embarquer sur un vol Continental cette fois à l’aéroport de New Dehli, l’ex-Président Indien fut là aussi fouillé par les autorités américaines, son nom musulman semblant être à l’origine de leur excès de zèle.

Depuis lors, la presse et les internautes se déchaînent et exigent en chœur que le même traitement soit infligé à tout dignitaire américain en visite en Inde. Selon une méthode désormais en vogue dans les relations internationales : « la réciprocité » (reciprocity), mot qui semble avoir remplacer « représailles » (retaliation), plus guerrier et moins politiquement correct.

Le géant-nain

[image:2,l]Cette affaire peut sembler anecdotique. Elle révèle pourtant tout le paradoxe de la place de l’Inde dans le concert des nations. Le « pays-continent », deuxième population mondiale avec près d’1,2 milliards d’habitants*, onzième en PIB* et bientôt dans le « top 10 » des puissances économiques (son taux de  croissance dépasse les 10%/an), est un nain des relations internationales et un nain médiatique au niveau mondial. Qui connaît le nom de son Premier Ministre ou de son Président en exercice* ? Ses positions sur la crise des dettes souveraines en Europe ? Sur le dossier Iranien ou le conflit Israélo-palestinien ?

Car malgré des chiffres vertigineux, l’Inde est encore très loin d’acquérir la considération et la reconnaissance correspondantes au niveau mondial et reste terriblement absente des écrans d’informations. Engoncée entre un ennemi héréditaire agressif* et instable, le Pakistan, et une Chine toujours plus puissante avec qui elle entretient des rapports très difficiles*. L’Inde est en matière de politique extérieure avant tout concentrée sur des questions régionales. Et dans le même temps, sur le plan intérieur, la plus grande démocratie au monde fait face à des défis gigantesques (corruption, persistances des castes, conflits inter-religieux, problèmes d’infrastructures et de transports, analphabétisme etc.). Malgré tout, elle multiplie les efforts depuis quelques années pour obtenir un statut supérieur sur la scène internationale. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas encore au bout de ses peines, comme le prouve l’épisode conté ci-dessus.

Mais il y a pire encore, car l’Inde tend l’autre joue : alors que son grand rival régional, la Chine, a célébré et signifié symboliquement sa place de grande puissance mondiale à travers les jeux olympiques de Pékin en 2008, l’Inde, elle, organisait l’année dernière… les jeux du Commonwealth. Cet évènement est passé complètement inaperçu en France, mais fut une nouvelle fois le théâtre des humiliations indiennes. Les préparatifs de l’évènement en particulier furent émaillés de nombreux incidents : accidents sur les chantiers, effondrement partiel du toit d’un stade, scandales de corruption au sein du comité d’organisation, problèmes de sécurité. Et pour égayer le tout, à leur arrivée, des dizaines d’athlètes contractèrent des « problèmes intestinaux » et plusieurs pays participants émirent des réclamations concernant les conditions d’hygiène et sanitaire du village des athlètes. N’en jetez plus…

Le « soft power » indien en question

Le choix stratégique du « soft power » (puissance douce), c’est-à-dire d’une influence internationale basée sur la culture et la construction d’une « bonne image », atteint ici une certaine limite. L’ « hyper-démocratie », berceau de Gandhi et de la non-violence, ou des blockbusters mielleux made-in Bollywood,  a effectivement réussi son entreprise de communication d’une « nation vertueuse ». Et cache d’ailleurs assez bien la réalité d’un pays sur-armé et plus ou moins en conflits avec tous ses voisins.

La Chine, encore elle, montre un tout autre exemple. Evidemment, ses performances économiques sont plus de deux fois supérieures à celle de l’Inde, mais l’autre géant asiatique rencontre des problèmes similaires (corruption, nombreuses situations conflictuelles internes et externes). Or, avec elle, pas d’influence douce. Sa mauvaise image : c’est le cadet de ses soucis ! Seul le rapport de force compte. Afficher sa puissance quitte à faire peur. Dominer plus faible que soi et louvoyer avec plus fort. L’ « art de la guerre » selon Sun Tzu, en somme.

A l’inverse, Mohandas Gandhi disait qu’on pouvait juger la grandeur d’une nation « par la façon dont les animaux y sont traités ». N’en déplaise à celui qui fut sans doute « le plus grand homme du XXème siècle », ce critère ne semble pas être retenu par le reste du monde.

Les humiliations répétées faites à l’Inde ne sont pas simplement dues à la stricte énumération de ses faiblesses. Elles paraissent aussi découler d’une stratégie indienne à l’internationale qui manque pour le moins d’ « affirmation ». Une stratégie plus en adéquation avec ce qu’elle était, qu’avec ce qu’elle sera. 

*et bientôt premier compte tenu des évolutions démographiques respectives de l’Inde et de la Chine

*plus de 1 400 Mds de dollars en 2010

*Manmohan Singh et Pratibha Patil

*Le Pakistan est soupçonné par l’Inde d’être lié de près ou de loin aux attentats de Mumbai (Bombay) en 2008, de New Dehli en 2005, et contre le Parlement indien en 2001 notamment.

*Deux litiges frontaliers important à l’est et à l’ouest de l’Himalaya, sans compter que l’Inde accueille le Gouvernement Tibétain en exil dont le Dalaï Lama

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