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La démocratie est-elle en danger ?

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Le projet de loi qui a été adopté par la chambre basse du Parlement sud-africain mardi dernier n’a pas tué la démocratie en Afrique du Sud. Pas encore.

Mais cette nouvelle législation visant à étouffer l’information sur la corruption est un cancer malin et pourrait finalement être fatale à la Constitution et à la démocratie sud-africaines.

Jusqu’à 25 ans de détention pour la révélation de secrets d’État 

Le controversé « Projet de loi pour la Protection de l’Information d’État » a été poussé à travers la législature par le parti au pouvoir, l’African National Congress (ANC), et adopté avec 229 voix contre 107, malgré les fortes objections de l’archevêque Desmond Tutu, des partis d’opposition, des journalistes et au sein du même ANC.

Le projet de loi devra maintenant être approuvé par le Sénat et promulgué par le président Jacob Zuma, très probablement avant la fin de l’année.

Selon la nouvelle loi, exposer des secrets d’État sera puni avec une peine allant jusqu’à 25 ans de détention.

Le passage de la loi a constitué « un jour sombre pour notre démocratie » affirme Lindiwe Mazibuko, qui dirige le groupe parlementaire de l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition de l’Afrique du Sud. « L’ANC a abandonné les valeurs de ses fondateurs » ajoute-t-il.

[image:2,s] Les prix Nobel pour la paix critiquent le projet de loi

Parmi les opposants du projet de loi, on compte le lauréat du prix Nobel de la Paix Desmond Tutu, qui a défini « insultant pour tous les Sud-Africains qu’on leur demande de supporter une nouvelle loi qui pourrait être utilisée pour interdire le journalisme d’investigation et de dénonciation… et qui rend l’État responsable seulement devant l’État. »

Nelson Mandela, membre fidèle de l’ANC, premier président post-apartheid de l’Afrique du Sud et lauréat du prix Nobel pour la paix, a également exprimé des réserves sur le projet de loi.

Les opposants : la loi vise la liberté d’information

Selon ses détracteurs, la nouvelle loi permettra d’interdire à la presse de publier des révélations sur la corruption du gouvernement et minera la démocratie et la constitution libérale de l’Afrique du Sud, qui ont 17 ans.
Il existe déjà des projets de contestations de la nouvelle loi devant la Cour constitutionnelle.

Les opposants au projet de loi, habillés en noir, ont organisé une manifestation devant le siège de l’ANC à Johannesburg mardi matin, et une en face du parlement à Cape Town.
Une des principales critiques faites au projet de loi concerne l’absence d’une clause qui précise que les journalistes puissent éviter la prison, dans le cas où ils agissent dans l’intérêt général.

[image:3,s]Les militants craignent que l’adoption de cette nouvelle loi en Afrique du Sud – connue pour avoir l’une des constitutions les plus libres et les plus ouvertes du continent – puisse inspirer d’autres gouvernements dans la région.

Si adopté, le projet de loi « entachera inévitablement à la fois le droit d’accès à l’information et la liberté d’expression, qui représentent le fondement d’une société démocratique », dénonce Daniel Bekele, directeur pour l’Afrique de Human Rights Watch. « La manière avec laquelle le gouvernement a poussé cette loi à travers les chambres – au lieu de procéder à des consultations comme il avait promis – ainsi que le secret qui pèse sur cette législation, envoient des signaux très inquiétants sur l’engagement du gouvernement pour la transparence. »

Des membres éminents de l’ANC se sont également opposés au projet. Parmi eux, l’ancien ministre de la sécurité d’État Ronnie Kasrils.
Le projet de loi fait de la divulgation des secrets d’État un crime. Il rend criminel un fonctionnaire qui ne divulgue pas des renseignements, en vue de dissimuler un acte répréhensible ou d’incompétence, ou simplement pour éviter l’embarras.

Le gouvernement : loi nécessaire pour se protéger des espions étrangers

De son côté, l’ANC déclare que l’Afrique du Sud nécessite de mettre à jour la législation de l’époque de l’apartheid dans sa partie qui définit les secrets et les peines prévues pour les divulguer. Le parti déclare aussi ne pas avoir l’intention de piétiner la liberté d’expression et les scandales médiatiques.

Le ministre sud-africain de la sécurité d’État, Siyabonga Cwele, affirme que l’objectif de ce projet de loi n’est pas celui de réglementer les médias ou de dissimuler la corruption, mais seulement de protéger les Sud-Africains contre des ennemis extérieurs. Il soutient que l’Afrique du Sud est sous « une menace croissante d’espionnage », puisque la précédente loi de 1982 n’offre pas assez de moyens de dissuasion pour les contrevenants.
« Les espions étrangers continuent de voler nos informations sensibles, au profit de leurs nations et au détriment de l’avancement de l’Afrique du Sud et de son peuple », a déclaré Cwele dans un communiqué publié sur le site Web de l’ANC.

[image:4,s] La presse et le parti au pouvoir : un conflit de longue date

Pendant des années, l’ANC a eu des relations conflictuelles avec la presse animée du pays qui a découvert de nombreux scandales de corruption.
Le mois dernier, le Président Zuma a été obligé de limoger deux ministres et de suspendre le chef de la police suite à des enquêtes pour des voyages extravagants et des transactions immobilières douteuses. Ces allégations ont été avancées pour la première fois  dans les journaux locaux.
Le parti au pouvoir est maintenant en lutte contre la presse, vécue comme une opposition contrôlée par les Blancs pour entraver leur maintien du pouvoir. L’ANC ne donne pas de poids aux nombreuses affaires de corruption révélées par la presse dans les dix-sept années écoulées depuis la fin de l’apartheid, ni considère les médias comme une force valable pour maintenir un gouvernement responsable.

Les risques pour la démocratie

La nouvelle loi, ainsi que la nomination récente en tant que juge en chef de la Cour suprême – le discutable mais malléable Mogoeng Mogoeng –, montre que le président Jacob Zuma travaille pour démonter, pièce par pièce, la démocratie acquise de l’Afrique du sud.  

À cela, on rajoute les appels à la nationalisation de l’industrie minière sud-africaine et des fermes appartenant aux Blancs lancés par le provocateur de l’ANC Julius Malema.
Toutes ces mesures sont mises en place pour répondre à la colère croissante des Sud-Africains noirs, dont la plupart n’ont pas connu d’amélioration de leurs conditions de vie depuis la fin de l’apartheid.

La démocratie en Afrique du Sud n’est pas encore morte. Mais elle traverse certainement des temps difficiles.

GlobalPost / Adaptation Melania Perciballi pour JOL Press

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