Site icon La Revue Internationale

La presse égyptienne n’est pas encore libre

benbrodi.jpgbenbrodi.jpg

[image:1,l]


Ziad Akl, un analyste du Centre Al-Ahram pour les Études Politiques et Stratégiques, un think thank financé par le gouvernement, déclare que bien que les dirigeants militaires soient un peu plus permissifs que l’ancien président Hosni Mubarak, les médias et les chercheurs comme lui sont encore « très liés et contrôlés par l’État. »


Dans une cage plus grande, mais toujours en cage


« Nous sommes encore dans la même cage, confie Akl. C’est juste une cage plus grande. »
Sous la loi du poing de fer du régime de Moubarak, la critique ouverte contre l’institution présidentielle n’était pas tolérée. Aujourd’hui, les éditoriaux cinglants, ciblant Moubarak et son Parti national démocratique désormais dissous, apparaissent régulièrement dans les journaux. 
Mais les experts des médias et les journalistes locaux disent que l’aura d’impénétrabilité qui entourait jadis l’institution présidentielle est simplement passée aux chefs militaires du pays, qui ont remplacé Moubarak quand il a été chassé en février.
Et, il y a des signaux qui montrent que l’armée a l’intention de maintenir la situation telle qu’elle est.


Par exemple, elle a récemment élargi la « loi d’urgence » du pays afin d’inclure une norme générale en vertu de laquelle les agences d’informations pourraient être poursuivies pour la « propagation de fausses nouvelles. »


  


Les journalistes : cible préférée des militaires


Les forces de sécurité ont attaqué un affilié d’Al Jazeera au Caire, en disant que la station n’avait pas de licence et que les voisins se plaignaient du bruit. Quelques jours avant, le ministre de l’Information Oussama Heikal avait publiquement menacé de « prendre des mesures juridiques contre les chaînes de télévision satellitaires qui mettent en péril la stabilité et la sécurité », selon Reporters sans frontières.
L’organisation affirme qu’une grande partie des 12 000 civils qui ont été jugés par des tribunaux militaires dans le cadre d’une répression post-insurrection sont les journalistes et les bloggeurs.
Déjà, au mois de mars, le Général de l’État major Ismail Mohammed Etman avait envoyé une lettre dans laquelle il conseillait aux médias de consulter les services de renseignements ou des affaires morales de l’armée avant de traiter de toute question impliquant l’armée. 
« Il s’agit des autorités prédisposées à l’examen de ce genre de question, afin d’assurer la sûreté et la sécurité de la patrie », pouvait-on lire dans la lettre.
Le ministère de l’Information a décliné toutes les demandes d’interviews envoyées par le GlobalPost. Installé dans un bâtiment aux allures de forteresse sur le Nil, entouré de barbelés et de dizaines de soldats dans des véhicules blindés, le ministre est dans un état d’agitation depuis le soulèvement et il est réticent à parler publiquement.


 


L’armée : un sujet sensible qu’il vaut mieux éviter


Youssef Sidhom, rédacteur en chef du petit hebdomadaire chrétien Al-Watani, affirme qu’il évite tout simplement toutes les histoires concernant les militaires pour rester « loin du danger. »


« Tout ce qui touche aux militaires est considéré comme un sujet très sensible ou une question de sécurité nationale » explique-t-il. « Nous ne posons pas de questions aux militaires. Et nous ne rigolons pas sur eux. »  


Bien qu’il y ait du désaccord entre les journalistes sur la façon dont ils peuvent – et jusqu’où – inquiéter les militaires, il y a un consensus selon lequel il s’agit d’un sujet à traiter prudemment.
Fathy Abou Hatab, rédacteur en chef de Al-Masry Al-Youm, un quotidien en ligne populaire appartenant à un riche homme d’affaires, déclare que le site publie souvent des articles critiques sur le nouveau rôle politique de l’armée dans le gouvernement égyptien. Les histoires sur le budget militaire ou sur le fonctionnement ​​des institutions restent, cependant, strictement interdites.


[image:2,s]La liberté court sur le web


Alors que l’État contrôle largement la presse écrite, les médias en ligne comme le site web Al-Masry Al-Youm sont généralement soumis à un examen moins approfondi. C’est plus difficile pour l’État de réglementer la libre circulation des contenus en ligne, et cela ne constitue pas une priorité dans un pays où seulement environ un quart des 80 millions d’habitants a accès à Internet.


Néanmoins, il y a des limites à cette liberté. Hatab confie que les contenus jugés trop sensibles, souvent, restent en ligne juste le temps d’être partagés sur les réseaux sociaux par les jeunes égyptiens.


Depuis la rédaction moderne du site internet, Aya Abdullah surveille non-stop les tweets et les posts Facebook. La timide fille de 21 ans, enrobée dans son foulard rose, consulte les actualités qui se suivent sur les réseaux sociaux pour les passer ensuite aux journalistes pour qu’ils puissent couvrir une manifestation ou d’autres événements.
Aya Abdullah confie que l’armée est maintenant plus attentive aux médias sociaux, après les soulèvements de la Place Tahrir, mais il y a encore un espace sans restrictions pour le partage et la collecte d’informations en temps réel. 
« Quand il y a des affrontements dans la rue, quelqu’un est en train de le tweeter » raconte-t-elle.  
L’activiste révolutionnaire Gigi Ibrahim convient que les réseaux sociaux tels que Twitter et Facebook, à travers lesquels une photo ou une vidéo peut se diffuser comme un virus en quelques minutes, sont trop fluides pour être efficacement censurés par les militaires.  


« Maintenant il y a des journalistes partout, à chaque coin », a-t-elle raconté dans une réunion de discussion organisée par le GlobalPost et par l’organisation à but non-lucratif Open Hands. « Rien ne peut plus être caché. »
 
Pour Safwat El-Alem, professeur de médias politiques à l’Université du Caire, les journalistes et les réseaux sociaux militants sont allés trop loin dans leur critique de l’armée.
« Le chaos règne dans les médias depuis la révolution», critique le professeur, assis dans le salon de sa grande maison près des pyramides de Gizeh. « Il y a un flux incontrôlable d’informations durant ces temps sensibles. Les médias et les journalistes citoyens ne suivent pas les règles de la société. »


La télévision d’État reste toujours puissante


La scène des médias égyptiens est ultérieurement compliquée par la présence d’un puissant apparat médiatique d’État utilisé pour diffuser la version officielle des événements. La presse écrite et la télévision ont une large couverture et maintiennent une influence massive sur le public égyptien.
[image:3,s]Hala Fahmy est une vétérane de la télévision d’État. Ces jours-ci, cependant, cette personnalité bien connue de la télévision passe peu de temps à l’intérieur du bâtiment du gouvernement où elle a construit sa carrière. On la retrouve plus souvent en bas de l’immeuble, dans la rue, en train de manifester pour demander des réformes qui rendent l’information gérée par le gouvernement plus responsable envers le public.


Bien qu’elle soit encore officiellement une employée de la télé publique, madame Fathmy affirme qu’on lui interdit de travailler depuis le soulèvement de la place Tahrir, pendant lequel elle a critiqué le ministère dans une interview transmise en direct par les chaines satellitaires.
« Ils pensent que je vais comploter pour renverser le régime», disait-elle en plaisantant, il y a quelques jours, pendant une manifestation en bas du bâtiment de la télévision publique.
Habillée de façon décontractée, avec un jean et un top de couleurs arc-en-ciel, Fathmy semblait imperturbable face aux dizaines de soldats et de policiers qui surveillent de près la manifestation. À un moment, elle se tourna pour châtier un dirigeant qui lisait la phrase sur sa pancarte à quelqu’un, à l’autre bout du téléphone.
La pancarte jaune vive disait en arabe: « Pourquoi êtes-vous confus? Pourquoi êtes-vous toujours en train d’y réfléchir? Une révolution se termine toujours par un régime militaire. »
Akl, analyste du Centre Al-Ahram, affirme qu’il croit que les médias gouvernementaux, y compris la publication située dans le bâtiment où il travaille, vont lentement perdre leur influence en faveur des publications indépendantes qui tentent de raconter la vérité dans un moment critique de l’histoire égyptienne.
« Je connais beaucoup de personnes qui ont changé radicalement leurs habitudes culturelles de lire Al-Ahram tous les jours, et commencent à lire Al-Masry Al-Youm ou d’autres journaux indépendants », explique-t-il.
« Pour ma part, je n’ai jamais lu Al-Ahram, rigole Akl à un momen. Oui, je travaille pour eux, mais je n’aime pas ça, je n’aime vraiment pas. »


Mais selon Akl, l’armée n’abandonnera pas le contrôle sur l’information publique sans se battre : « Plus les militaires resteront au pouvoir, plus ils séviront les médias. »


GlobalPost / Adaptation Melania Perciballi pour JOLPress

Quitter la version mobile