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L’emprunt national : solution citoyenne face aux marchés?

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[image:1,l]Verrons-nous bientôt les « petits porteurs » français faire la queue devant les agences bancaires, attirés par des affiches publicitaires montrant Marianne en semeuse et les invitant à souscrire à un emprunt national ?
Jeudi 24 novembre, la Belgique a montré la voie. Lancé à grand renfort de publicité, l’emprunt d’État décidé par le gouvernement belge a été bien accueilli par les particuliers. En deux jours, près de 400 millions d’euros ont été levés, soit le double de l’objectif initial.
Lundi 28 novembre et lundi 12 décembre sont, en Italie, les BTP days, journées des Bons du Trésor. Le nouveau président du Conseil Mario Monti a décidé de faire appel à l’épargne des Italiens et de réserver aux particuliers une partie des prochaines adjudications du Trésor transalpin. Et ensuite, à qui le tour ? La France peut-être…
En quoi un emprunt national peut-il constituer une initiative opportune dans le contexte de crise de la dette et de crise de l’euro que traverse l’Europe ?


Rappel : qu’est-ce qu’un emprunt national ?


[image:2,s]L’emprunt national est une initiative lancée par un État, lorsque ses finances sont mises à mal. Le qualificatif de national renvoie au fait que c’est auprès des citoyens que ce genre d’emprunt est engagé. Il s’agit pour l’État concerné de compenser ce qu’il ne peut contracter dans les circuits classiques d’emprunt d’État, sur les marchés financiers.
Concrètement, l’État met en place des titres de créances négociables ou bien des obligations. Les particuliers qui le souhaitent, souscrivent alors à ces obligations. Si une telle initiative a de nombreux avantages, elle comporte de nombreux enjeux pour l’État. Initiative économique, c’est aussi une démarche hautement politique.


Se dégager de l’emprise des marchés et de l’influence des agences de notation


C’est à partir du milieu des années 1980 et des grandes réformes libérales des systèmes financiers, tant en France qu’à travers le monde, que s’est accentuée la « financiarisation » de l’économie. Jusque-là, les Français prenaient une part très active au financement de l’État par des emprunts nationaux ou lancés par des grandes entreprises publiques. Par la suite, pour des raisons de commodité et de rapidité, le Trésor français a préféré s’adresser aux marchés plutôt que d’avoir recours aux procédures d’appel public à l’épargne.


[image:3,s]Les agences de notation ont vu, en l’espace de quelques mois, leurs pouvoirs décuplés. Désormais, ce sont elles qui déterminent la capacité d’emprunter et le coût de l’emprunt des États. Pas un jour sans que ne tombent leurs verdicts, sous la forme de notes et avis, pas un jour sans que, en conséquence de mauvais échos, ne grimpent sur les marchés financiers les taux d’intérêt sur les obligations d’État des pays membres de la zone euro. Vendredi 25 novembre, la Belgique se voyait imposer un taux à 10 ans de 5,7 %. À son tour, après la Grèce, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal au cours des dernières années, l’Italie passait au-delà de la barre des 7 % – considéré comme le seuil à partir duquel le recours à un plan de refinancement européen s’impose – 7,2 % à 10 ans et même 7,8 % à 2 ans. Si la France n’a pas encore atteint de tels niveaux, le taux d’intérêt des obligations d’État est passé de 2,4 % à 3,7 % en moins d’un an. Et, jeudi 24 novembre, l’Allemagne qui comptait lever 6 milliards d’euros n’a pu en obtenir que 3,6. Une première.
Un emprunt national permet de se libérer, au moins partiellement, de l’emprise des marchés, mais aussi d’alléger notre dépendance extérieure – puisque l’essentiel de nos créanciers sur les marchés financiers est étranger.


De leur côté, les particuliers ne sont pas aussi sensibles que les marchés aux jugements des agences de notation, et de leurs apprentis sorciers. Pour autant, un emprunt national n’est pas sans risque car l’État doit convaincre les citoyens de lui confier leur épargne.


Pour capter l’épargne de précaution des ménages, il faut des conditions attractives…


Restons, une fois n’est pas coutume, en France… Malgré la crise financière et économique, il est un indicateur qui résiste bien : le taux d’épargne des ménages qui tourne toujours autour des 15 à 16 %. L’épargne des Français s’élèverait à 1 375 milliards d’euros en assurance-vie et 3 500 milliards d’euros en épargne financière, à la fin du mois d’octobre. Il existe donc une épargne de précaution qu’un emprunt national pourrait être en mesure de capter. Mais, pour cela, il convient d’offrir le « bon » taux d’intérêt.
Le gouvernement belge a offert aux particuliers des taux d’intérêt de 3,5 % à 4,2 % selon la durée du prêt, et cela contre – rappel – les 5,7 % qui lui imposaient les marchés financiers sur ses obligations. À la fin de la semaine dernière, la France empruntait à un taux de 3,7 %. Les particuliers jouissent d’un taux d’intérêt de 2,25 % sur le livret A, mais davantage sur les produits d’épargne moins liquides comme l’assurance-vie. Dans une conjoncture dégradée, comme elle l’est aujourd’hui, les particuliers auraient tendance à privilégier une épargne facilement mobilisable en cas de coup dur.
Ce pourrait être le sens d’un phénomène nouveau, le recul de l’assurance-vie. Pour la première fois en dix ans, deux mois consécutifs – septembre et octobre 2011 – ont été marqués par une décollecte sur ce placement, c’est-à-dire que les retraits y ont été supérieurs aux dépôts. Ce phénomène demeure limité et nous n’assistons pas encore à des retraits massifs ou généralisés, mais cela pourrait être le signe d’une défiance croissante vis-à-vis des produits trop « financiers », au moment même où la crise de la dette inquiète… et où les générations du baby-boom, arrivant à la retraite, doivent faire face à une baisse de revenus. Les « petits porteurs » pourraient être sensibles à un placement garanti, offrant un rendement supérieur au très sûr livret A. Pour autant, la marge pour un taux attractif paraît, à ce jour, faible. Le taux d’intérêt qu’offre l’État doit être assez attractif mais pas trop dispendieux pour ses caisses : entre 2,25 % et… 3,7 % ? Non, car un emprunt national a un coût de mise en œuvre, une campagne de communication et des frais de commission versés aux banques.


… et, impérativement, faire pression sur les banques pour limiter les frais de commission


[image:4,s]Un coût non négligeable est à prendre en compte dans le lancement d’un emprunt national : les commissions que perçoivent les banques et autres établissements de crédit, chargés de la commercialisation de ce produit financier.
L’emprunt annoncé par l’État français en juin 2009 devait être un emprunt national. Mais, les banques ayant exigé 1 % en frais de commission, les autorités ont renoncé. À la place, les banques ont été autorisées à rembourser l’argent prêté par l’État pour leur refinancement lors de la crise de 2008. Un rendu pour un prêté.
Alors, bien sûr, les banques pourraient faire un geste sur le montant de ces commissions, comme une contribution à l’effort de redressement national… Y seraient-elles prêtes ? Pourraient-elles se le permettre ?


Une opération politique autant qu’économique : faire vibrer la fibre patriotique


[image:5,s]Les grands emprunts nationaux, en France comme ailleurs, s’appuient sur le sentiment patriotique des citoyens-agents économiques, qu’il s’agisse d’appuyer l’effort de guerre, de reconstruire le pays ou, en temps de paix, de soutenir un projet bien spécifique dans l’intérêt national… et encore, face à la crise, d’éviter la faillite du pays, la disparition de sa monnaie nationale et d’établir les conditions de la reprise.
C’est une démarche politique qui dépasse les clivages partisans. Pour autant, ce ne saurait être une démarche totalement irrationnelle. Un tel emprunt devrait faire l’objet d’une campagne de communication – la fameuse Semeuse – et fixer des objectifs clairs et compréhensibles de tous aux fonds récoltés. Même à décréter, ou admettre, une périlleuse urgence nationale, le citoyen-prêteur s’interrogerait sur l’utilisation qui sera faite de l’argent collecté – l’emprunt de 2009 avait des objectifs précis et de long terme visant notamment à encourager une croissance durable. S’il s’agit, sous couvert, d’un plan cosmétique, de financer le fonctionnement de l’État ou le service de la dette, le sentiment patriotique, affaibli par la mondialisation galopante et la montée de l’individualisme, pourrait ne pas suffire car il ne saurait se substituer à toute rationalité économique.
Un emprunt national est un élément d’un vaste dispositif de lutte contre la crise. L’Europe peine à imposer des solutions communes, faute d’une intégration économique et budgétaire suffisante. La Banque centrale européenne n’est pas en mesure de jouer le rôle de prêteur de dernier recours et la mise en œuvre d’euro-obligations impose des modifications des traités européens par nature longues. Les États membres se retrouvent dépourvus face au péril et devraient donc recourir, chacun chez eux, à des méthodes d’autrefois… comme une renationalisation des solutions le temps de mettre en œuvre l’étape suivante d’une plus grande fédéralisation.


Au-delà des effets d’annonce et des messages de communication qui accompagneraient le lancement d’un emprunt national, sa véritable portée dépendrait de son montant, de la quantité de fonds que l’État souhaiter lever et qu’il parviendrait à lever. Au cours des sept premiers mois de 2011, l’Agence France-Trésor a emprunté 136 milliards d’euros sur les marchés financiers – c’est au regard de tels chiffres que l’ampleur et la portée d’un emprunt devraient être évaluées. Les Européens, suivant l’exemple des Belges, seraient-ils prêts à acheter de leurs dettes nationales ?

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