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Les effets pervers des normes comptables Bâle III sur les dettes souveraines

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Depuis la crise grecque, le tabou de la défaillance d’un État européen est tombé. La crainte d’une contagion à effet domino nourrit le souci d’une exégèse financière, dont le risque est qu’il aboutisse à l’effet inverse à celui recherché. L’application des nouvelles normes comptables Bâle III ne risquent-elles pas d’accroître la crise des dettes ? Quelles solutions aujourd’hui pour éviter d’entamer une nouvelle spirale destructrice pour la stabilité financière des États ?


Depuis la crise grecque, le tabou de la défaillance d’un État européen est tombé. En conséquence, les investisseurs traditionnels sont devenus beaucoup plus sensibles aux risques liés aux différentes économies européennes.


Les nouvelles règles contribuent à la volatilité des titres des dettes souveraines


Deux contraintes réglementaires sont venues, par ailleurs, accroître la défiance de la clientèle bancaire sur le marché des dettes publiques :


1) Tout d’abord les normes dites Bâle III et CRD IV.
Afin d’éviter les crises bancaires futures en limitant les excès de transformation, cause des principales faillites de 2008 et 2009, Bâle III et sa déclinaison européenne, la CRD IV a introduit deux ratios :


– le LCR, ratio à 1 mois, 


– le NSFR, ratio à 1 an.


Si le NSFR nest pas encore défini, le LCR est lui déjà calculé et fourni mensuellement au régulateur, avant dêtre publié début 2013.


Il oblige les banques à disposer à tout moment dune réserve de liquidité supérieure aux flux que la banque devra décaisser le mois suivant, nette des flux reçus, mais avec une pondération conservatrice des actifs garantissant cette réserve de liquidités.


La CRD IV stipule que les seuls titres dans lesquels les banques peuvent investir cette réserve sont les dettes souveraines européennes, et au maximum 40 % des titres émis par des entreprises non bancaires ou des titres du secteur public, pour autant quils soient liquides et notés au moins AA-.


Les emprunts bancaires sécurisés (covered bonds) comme les Obligations foncières sont toutefois également possibles. Comme les pondérations applicables aux dettes souveraines sont toujours très bien traitées, les banques, en vue de lentrée en vigueur de ce ratio, ont fortement investi dans des titres de dettes souveraines européennes.


2) Ensuite, le calcul des titres de dettes souveraines à leur valeur de marché.
En effet, l’European Banking Authority, lors de son test d’octobre, a exigé que les calculs de besoins de fonds propres intègrent ces titres de dettes souveraines, non pas à leur valeur comptable, mais à leur valeur de marché, bien que ce type de comptabilisation ne soit pas conforme aux normes applicables, entre autres, en HTM ou en L&R.


Dans ce cadre, les titres italiens, par exemple, ont dû être décotés de 50 %, alors que ceux-ci apparaissaient en valeur nominale dans les comptes.


Les effets ciseaux sur les fonds propres


[image:2,l]La conséquence de l’application de ces deux contraintes a entraîné un effet ciseaux sur les fonds propres des établissements financiers, liés à l’accroissement des spreads de dettes souveraines, y compris celui de la France depuis le mois d’août dernier. À titre d’exemple, depuis cette période, les valeurs des titres français ont perdu plus de 5 %, les titres italiens plus de 20 %, etc., à l’exception notable des bunds qui ont fait gagner à leurs porteurs près de 5 %.


Les banques européennes ont donc depuis l’été massivement vendu leurs portefeuilles de dettes souveraines, afin de diminuer leur sensibilité aux conséquences liées aux tensions sur les taux et ce, dans le cadre des inquiétudes concomitantes aux conséquences de la crise grecque. Par cette démarche, les établissements financiers ont très sensiblement amplifié le phénomène. Par exemple, sur la seule dette italienne, les banques françaises auraient vendu plus de 20 MdE, chiffre à comparer aux 15 à 20 MdE d’émission mensuelle du Trésor italien.


La montée des taux, conséquence directe des cessions massives de dettes souveraines


Ces cessions, qui s’accompagnent d’un refus de nouvel investissement, entraînent la montée des taux et donc, l’obligation de nouvelles provisions entraînant des ventes, générant des pertes complémentaires, tout ceci contribuant à un climat particulièrement négatif dont les conséquences sont aujourd’hui considérables.


Lorsqu’on arrive à un niveau insoutenable du taux de la dette souveraine, le mécanisme devient auto-réalisateur et la spirale s’aggrave, comme en témoigne le taux de 7 % atteint sur les BTP italiens qui, même si l’économie transalpine est en excèdent primaire, ne peut être contrôlé, ceci entraînant la dégradation de la note de l’État italien.


L’hyper-polarisation des banques sur le Bund allemand 


Que font les banques des liquidités qu’elles perçoivent des cessions concernées de ces titres souverains ?


D’une part, elles le placent à la BCE dont les dépôts approchent les 300 MdE, chiffre à comparer aux 400 MdE recueillis au cœur de la crise de 2008.


D’autres part, comme elles doivent préparer l’arrivée du ratio LCR, elles investissent dans des titres dont les taux semblent stables, raison pour laquelle il existe aujourd’hui un rallye sur les bunds allemands, phénomène générant directement un gain pour les établissements financiers puisque ce surcroît de demandes fait chuter le taux et donc, accroît la valeur des titres détenus.


Ainsi, le mécanisme Bâle III, couplé avec le traitement imposé par l’EBA, pousse toutes les banques européennes à solder leurs portefeuilles de dettes souveraines et à le concentrer sur le seul Bund allemand.


Quelles solutions pour juguler cette spirale nocive ?


Une telle situation est non seulement en train de fragiliser les États et leurs économies, mais aussi reconstitue une situation de mono-choix qui est en elle-même dangereuse. Cependant, des solutions pour éviter cette spirale existent.


En premier lieu, il est essentiel d’avoir un acheteur de dernier ressort crédible, la BCE, permettant ainsi de réguler ce marché d’offre et de demande totalement anarchique.


En deuxième lieu, il est urgent d’imposer une norme comptable, selon laquelle la valeur bilantielle d’un titre de dette souveraine ne subirait aucune variation de sa valeur,  comptabilisée à son coût d’acquisition.


Ces solutions permettraient d’éviter une détérioration sensible de la situation de notre dette publique.


Bien évidemment, le sursis ainsi obtenu doit être mis au profit des réformes structurelles nécessaires au rétablissement de nos grands équilibres. 

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