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Les eurosceptiques jubilent au Royaume-Uni

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[image:1,l]L’opposition des Britanniques au projet européen a souvent été caricaturée. Il est faux de prétendre que tous les Britanniques rejettent, par principe, le projet d’intégration continentale. Pourtant, avec la crise économique, financière et politique que traverse actuellement l’Union européenne, ses plus farouches adversaires voient certains de leurs arguments validés et leur audience croître. État des lieux avec Peter Whittle, journaliste anglais conservateur.

Les médias britanniques face à la crise grecque

JOL Press : Comment les médias britanniques font-ils état de la crise grecque ?

Peter Whittle : Il y a deux courants dans les médias, ici, au Royaume-Uni, divisés entre pro- et anti- Union européenne. The Guardian, le quotidien de centre gauche, traditionnellement pro-européen, tend à parler du projet européen comme de quelque chose qu’il convient de sauver à tout prix. Ses éditorialistes dénoncent, indignés, la montée de l’euroscepticisme. Pour eux, ce sentiment est le propre des conservateurs.
C’est faux, puisque les sondages tendent à démontrer qu’une majorité croissante de Britanniques sont eurosceptiques. Les eurosceptiques ne constituent pas un camp homogène : les irréductibles sont partisans d’une sortie de l’Europe, tandis que d’autres, plus modérés, se satisferaient d’une renégociation des conditions de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. À eux tous, ils dépassent largement le seul camp conservateur.
Du côté de la presse conservatrice, des tabloïds comme le Daily Mail jusqu’au très sérieux Daily Telegraph, on observe une certaine forme de jubilation.

JOL Press : et pour ce qui concerne la presse audiovisuelle ?

Peter Whittle : La BBC est tenue, de par ses statuts, à la neutralité. La BBC a, de longue date, soutenu tacitement le projet européen. Mais, soyons justes, dans les circonstances actuelles, ses journalistes semblent faire preuve de davantage d’objectivité, ils ne cachent pas la gravité de la situation.

D’une manière générale, on pourrait dire que les classes politiques et médiatiques se réveillent et réalisent l’étendue de l’hostilité et l’inquiétude que suscite chez les gens ordinaires l’Europe en général. Le Britannique lambda, dans la rue, ne comprend pas forcément ce qui est en train de se passer et pourquoi c’est en train de se passer mais, pour la plupart, les gens sont soulagés que nous ne soyons pas engagés dans l’aventure de l’euro.

Des Britanniques soulagés mais exposés

JOL Press : les Britanniques se sentent à l’abri parce que le Royaume-Uni ne fait pas partie de la zone euro ?

[image:8,s]Peter Whittle : Le Chancelier de l’Échiquier, George Osborne, nous a prévenus : quoi qu’il advienne, quelle que soit la manière dont se termine le drame grec, il aura potentiellement d’énormes répercussions au Royaume-Uni. Mais, ça ne fait pas débat. Pour les Britanniques, le risque de contagion est cantonné aux pays du sud de l’Europe. Les hommes politiques, les journalistes discutent en détail des enjeux de ce qui est en train de se passer. Ici, le débat sur l’euro a toujours été très ennuyeux – peut-être parce que ceux qui ont voulu le porter, Tony Blair, par exemple, manquaient d’arguments imparables. Pour la majorité de la population, c’est le projet européen dans son ensemble qui compte, et c’est ce projet qui est en train de montrer ses limites. Les événements actuels ne sont que des catalyseurs d’un sentiment bien plus profond, une méfiance de nous autres, insulaires, à l’égard du continent, de l’Europe.

Des eurosceptiques confortés dans leur argumentation

JOL Press : Nous assistons donc au triomphe des eurosceptiques ?

Peter Whittle : Non, ce n’est pas le triomphe des eurosceptiques. Un des plus célèbres éditorialistes du Daily Telegraph, Peter Oborne, a écrit ce matin un article dans lequel il parle des « souvenirs coupables », explique pourquoi le projet de la monnaie unique était une mauvaise idée et demande à ses partisans de présenter des excuses publiques.
[image:4,s]Ce n’est pas un triomphe pour les opposants de l’adoption de l’euro par le Royaume-Uni, c’est la justification a posteriori et de facto de la justesse de leur argumentation. De la reconnaissance, au plus, voilà peut-être ce que peuvent attendre des responsables comme William Hague, ministre des Affaires étrangères aujourd’hui et leader du Tory Party à la grande époque du débat sur l’euro entre 1997 et 2002, ou encore, même si elle n’était déjà plus aux affaires, Margaret Thatcher… et une bonne moitié du parti conservateur.
Rares sont ceux dans le camp des partisans de l’euro qui, d’ores et déjà, ont accompli leur autocritique, ou simplement admis leur erreur. Parmi l’élite médiatique, on en recense deux : Max Hastings et Matthew Parry. C’est peu…

L’euroscepticisme, comme un malentendu

JOL Press : Quelles sont les racines de cet euroscepticisme britannique ?

[image:5,s]Peter Whittle : À l’origine, l’euroscepticisme, au sens populaire du terme, reposait sur une peur de voir l’identité et la souveraineté britanniques laminées par Bruxelles. Et puis, aussi, il y avait un autre sentiment beaucoup plus prégnant : le sentiment que les électeurs avaient été trompés. Parmi les eurosceptiques d’aujourd’hui, on trouve beaucoup de gens qui, autrefois, étaient partisans de la Communauté européenne économique, la CEE des débuts. Un référendum a été organisé en 1975, deux ans après l’entrée du Royaume-Uni dans cette CEE, et le « oui » l’a emporté largement. Mais le projet que nous avons soutenu à l’époque n’était pas censé nous conduire vers l’union politique. C’était une zone de libre-échange un peu améliorée. Le sentiment d’avoir été trompés ou, en tout cas, mal informés, vient grossir les rangs des eurosceptiques.

JOL Press : C’est bien connu, les Anglais n’aiment pas l’Europe…

Peter Whittle : Contrairement à ce que prétend l’élite libérale [de gauche, ndlr], l’euroscepticisme n’est pas un rejet de l’Europe en termes culturels. On a dépeint les sceptiques en xénophobes, réactionnaires, Little Englanders – des « petits Anglais » à l’esprit étroit… Ils ont longtemps été considérés comme des fous, au sens strict du terme.

David Cameron pris en étau

JOL Press : Le Premier ministre David Cameron ne se retrouve-t-il pas pris au piège dans une coalition avec les libéraux démocrates, les plus fervents pro-européens de l’échiquier politique britannique, alors que sa propre base électorale est plutôt hostile au projet européen ?

[image:3,s]Peter Whittle : Qu’il se retrouve dans une coalition avec les libéraux démocrates pro-européens pose effectivement un trouble à David Cameron, mais c’est surtout le manque de confiance dans sa capacité à organiser un référendum sur une sortie de l’Union européenne qui pose problème. Souvenez-vous, David Cameron avait promis avant la campagne électorale qu’il organiserait un référendum sur le traité de Lisbonne, tout comme Blair l’avait promis, aucun des deux n’a tenu parole. Cameron ne tiendrait pas davantage parole s’il n’était pas dans une coalition.

JOL Press : Pourquoi refuse-t-il un référendum ?

Peter Whittle : Ce n’est pas le moment, dit-il. Il y a quelques semaines, il a été confronté sur ce sujet à la plus grosse rébellion des députés conservateurs depuis le début du mandat, en mai 2010. Sans aucun effet, et pas seulement parce que le débat a été pollué par des histoires de procédures parlementaires. Il faut savoir que la nouvelle génération de membres du Parlement, élus pour la première fois lors des dernières élections, est jeune et plutôt eurosceptique. L’euroscepticisme auquel est confronté David Cameron n’est pas celui de la vieille garde. Ce ne sont pas les rescapés des années 1990 qui s’offrent un baroud d’honneur. C’est un euroscepticisme urbain, éduqué, sophistiqué.

À la recherche d’une traduction politique

JOL Press : Voilà qui pourrait faire le lit de partis, notamment à la droite de la droite, qui ont fait de l’euroscepticisme leur fonds de commerce ?

[image:2,s]Peter Whittle : C’est effectivement le cas d’UKIP, le « Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni ». Certains analystes imaginent déjà que ce parti, qui ne dispose pas de représentation parlementaire aujourd’hui, pourrait devenir lors des prochaines élections le troisième parti, supplantant ainsi les Lib-Dems. Ils ont toujours obtenu de bons résultats aux élections européennes, souvent des scores à deux chiffres, mais le système majoritaire uninominal à un tour [le mieux placé au premier tour est élu quel que soit son score, ndlr] les a toujours privés d’accès au Parlement de Westminster.

JOL Press : À gauche, le Labour Party n’a pas toujours été pro-européen. Il existe aussi un euroscepticisme de gauche, n’est-ce pas ?

Peter Whittle : Jusqu’aux élections de 1983, sous le leadership de Michael Foot, le Parti travailliste était farouchement anti-européen. D’autant plus qu’il n’était pas au pouvoir. À gauche, il y a deux tendances : d’une part, l’Old Labour, le travaillisme à l’ancienne, qui voyait, et pour ses survivants voit toujours, l’Europe comme un club du « big business », du monde des affaires, du grand capital. S’opposer à l’Europe participait, pour ainsi dire, de la lutte des classes.
Et puis, il y a le New Labour, le nouveau travaillisme à la Blair, notoirement, qui considère, ou considérait, que tout ce qui remettait, ou remet, en cause l’État Nation est bénéfique. Comme tout ce qui tourne le dos au patriotisme, au nationalisme. À ce titre, ils sont pro-européens.

JOL Press :  Comment Ed Miliband, le leader travailliste, gère-t-il le contexte actuel ? Est-il tenté de profiter de cette montée de l’euroscepticisme ?

[image:6,s]Peter Whittle : Il est très discret sur le sujet. D’un point de vue britannique, il a commis une gaffe, la semaine dernière, après le sommet de Bruxelles : lorsque Nicolas Sarkozy a, pour le dire ainsi, remis David Cameron à sa place, en lui rappelant que le Royaume-Uni, qui n’est pas membre de l’eurozone, devait rester en dehors de certains débats, Ed Miliband a déclaré que Sarkozy ne parlait pas seulement au nom de la France, mais aussi au nom du Royaume-Uni. Peu clair et maladroit.

Les travaillistes ont été tentés d’exploiter les divisions au sein des conservateurs, en évoquant le souvenir des divisions des années 1990, mais ça ne fonctionne pas, l’euroscepticisme a trop progressé.

Et après ?

JOL Press : Quel futur pour le Royaume-Uni en Europe ?

Peter Whittle : Le Royaume-Uni pourrait faire partie d’une Europe à deux vitesses. Les pro-européens estiment catastrophique que nous ne soyons pas au cœur, le moteur, du projet européen. Les eurosceptiques se satisferaient d’une telle situation, plus conforme aux engagements pris au moment de l’entrée dans la Communauté dans les années 1970.
Mon point de vue personnel est que l’Europe à 27, telle que nous la connaissons, va exploser. Dès lors, pas besoin d’en sortir, les choses se feront toutes seules.

 

[image:7,s]Peter Whittle est journaliste et auteur. Il collabore aux rédactions du Sunday Times, du Spectator et de Standpoint Magazine. Il intervient régulièrement sur la BBC et Sky News comme commentateur de l’actualité internationale. En 2011, il a publié Monarchy Matters, sur la place de la monarchie britannique dans la persistance d’un sentiment national britannique. En 2006, il a créé le think tank The New Culture Forum, spécialisé dans les problématiques culturelles et sociétales, et il en est aujourd’hui le directeur.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

 

 

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