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Les militaires, faux-alliés de la révolution égyptienne

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Pendant la « révolution du 25 janvier », quand les manifestants de la place Tahrir saluaient le départ du Moubarak, après 18 jours de manifestations, ils le faisaient en entonnant « Le peuple. L’armée. Une seule main. »


Le lendemain, pendant les célébrations marquant la fin du régime, de nombreux civils grimpaient sur les chars de l’armée en brandissant le drapeau égyptien et en se prenant en photo avec les soldats, considérés comme les héros de leur révolution.


Mais que s’est-il passé depuis ? Comment est-il possible que, seulement neuf mois plus tard, les manifestants se confrontent à l’armée dans de violents affrontements qui ont déjà fait 30 victimes et 2 000 blessés ? Et comment expliquer qu’autant d’Égyptiens, au sein même de la majorité dite silencieuse, loin des lacrymogènes et du chaos, craignent que le soulèvement qui a renversé Moubarak ne soit pas une révolution mais plutôt un coup d’État militaire soutenu par la population ?


La nomination d’un Premier ministre ne calme pas les manifestations


[image:2,s]vendredi 25 novembre, l’armée a nommé un nouveau Premier ministre issu de la société civile, en espérant mettre un terme aux manifestations. Mais la nomination de Kamal el- Ganzouri, déjà Premier ministre sous Moubarak, est loin de satisfaire les manifestants qui réclament un gouvernement démocratiquement élu.
Pour le mouvement de protestation – des Frères musulmans, les Islamistes dotés d’une forte base populaire, jusqu’aux élites laïques et leurs cyberactivistes -, les manifestations violentes de la semaine dernière, à la veille des élections de lundi 28 novembre, sont l’expression manifeste de l’opposition au pouvoir croissant et brutal de l’armée. Elles sont aussi une réaction à la crainte de voir l’armée demeurer au pouvoir et que l’Égypte se retrouve, de fait, avec le même ancien régime.


L’exemple le plus flagrant a été, ce mois-ci, la tentative par le Conseil Suprême des Forces Armées de faire passer une disposition constitutionnelle qui aurait permis à l’armée de se soustraire à la surveillance civile, notamment en matière de budget. Cet acte explique, à lui seul, la reprise des manifestations.


Des élections sous tension


Les manifestants sont alors retournés, sans hésiter, place Tahrir pour demander aux généraux de respecter leur promesse d’abandonner le pouvoir qui ne leur a été confié le temps d’organiser des élections libres et équitables.


À la veille de l’élection du 28 novembre, première étape d’un processus en trois phases visant à élire un nouveau parlement, les manifestants ont haussé le ton. Ils ont voulu faire comprendre aux militaires que le pays ne tolérerait plus une armée qui agit comme un État dans l’État et qui ne répondrait pas de ses actions devant un gouvernement civil élu par le peuple. Pour le mouvement, les manifestations violentes de la semaine dernière constituent la deuxième phase de la révolution.


« Pour que la révolution réussisse, il faut tenir tête à l’armée »


Le 10 février, lorsque Moubarak a démissionné, Mohammed Abbas, 25 ans, qui a grandi dans le soutien aux thèses des Frères musulmans et qui est devenu membre de la Jeunesse du Conseil révolutionnaire, avait pris la parole sur la scène de la place Tahrir et avait entonné avec la foule de 200 000 personnes son chant « Un peuple. Une armée. Une seule main. »


Aujourd’hui, Abbas, qui a quitté les Frères musulmans et rejoint un petit parti centriste cherchant à combiner les croyances religieuses islamiques avec les idéaux d’un gouvernement plus laïc, est retourné dans la rue pour protester contre les militaires. « L’armée nous a trahis » avait dénoncé Abbas dans une interview au GlobalPost en octobre.


Lorsqu’il préparait sa candidature au Parlement, Abbas affirmait : « Si nous voulons que cette révolution réussisse, nous devons tenir tête à l’armée. Sinon, nous n’aurons rien fait et les choses vont continuer à fonctionner comme sous l’ancien régime. »


[image:3,s]Les crimes de l’armée


Ce sentiment d’être en train de laisser s’échapper la révolution a été omniprésent au Caire cet automne. Je l’ai perçu quand j’ai supervisé pour GlobalPost un groupe de 16 jeunes journalistes, égyptiens et américains, dans le cadre d’un projet qui avait pour but d’analyser l’état de la révolution. Les reporters ont découvert les excès de l’armée, notamment une pratique répandue consistant à juger les civils devant des tribunaux militaires, où dans les neufs derniers mois, on a refusé un procès régulier à près de 12 000 accusés. Ils ont constaté aussi que la pratique militaire médiévale des « tests de virginité » à l’occasion du procès de manifestantes – comme l’a dénoncé l’une d’entre elles, ces tests sont assimilables à un viol. Ou encore la répression brutale de la part de l’armée d’une manifestation de la minorité copte le mois dernier, qui s’est terminée avec l’assassinat de 27 chrétiens qui s’étaient rassemblés pour dénoncer l’incendie d’une église.


L’armée égyptienne : un pouvoir brutal mais réconfortant pour la population


Mais, malgré les outrages des militaires, avoir l’armée à la tête du pays est la seule réalité que le pays connaisse depuis 60 ans. Pour beaucoup d’Égyptiens, l’armée constitue une expression de leadership patriarcale réconfortante, même si celle-ci est souvent brutale. Tout le monde n’est pas prêt à se débarrasser si rapidement des généraux, notamment dans les régions agricoles de la Haute-Égypte ou dans les cités anonymes à la périphérie du Caire. Dimanche dernier, une manifestation rivale de celle de la place Tahrir a été organisée par ceux qui supportent publiquement les militaires.


On peut entendre ce sentiment pro-militaire exprimé avec une réelle conviction dans les clubs d’officiers, où se rassemblent les généraux à la retraite. Dans ces endroits, bien sûr, de tels sentiments sont aussi prévisibles que vides de sens, surtout parce que beaucoup de ces officiers ont mené une vie confortable grâce aux richesses – largement financées par les États-Unis – que l’armée distribuait parmi ses membres.


Des anciens généraux passent du côté des manifestants


Toutefois, il est intéressant de noter que certains de ces généraux à la retraite passent maintenant du côté des manifestants et que cela constitue peut-être un des meilleurs baromètres pour comprendre la direction vers laquelle se dirige actuellement l’Égypte.


Un après-midi du mois d’octobre, j’ai parlé avec Mohammed Okasha, un ancien général de l’armée de l’air.


Okacha était à la tête d’un escadron de bombardiers pendant la guerre des Six Jours contre Israël en 1967 et la guerre du 6 octobre en 1973, toujours contre Israël. Pendant la « révolution du 25 janvier » de la place Tahrir, il est venu avec une banderole où l’on pouvait lire : « Les combattants du 6 octobre soutiennent les combattants du 25 janvier. »
« Il y avait une confiance du peuple envers l’armée, c’est pourquoi la révolution s’est arrêtée si rapidement et que nous n’avons pas assisté à un bain de sang », a déclaré Okacha.
Dans son appartement où il expose ses médailles de la valeur militaire, Okacha a ajouté : « Les gens ont beaucoup d’attentes et je pense que nous sommes en droit d’exercer plus de pression pour être sûrs que l’armée tienne ses promesses. C’est un droit fondamental des Égyptiens que l’armée doit respecter. »


GlobalPost/Adaptation Melania Perciballi pour JOL Press

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