La nomination de Mario Monti à la tête d’un nouveau gouvernement rassure les marchés et l’Europe, mais elle est loin de faire l’unanimité parmi les Italiens. Parmi les plus farouches opposants à Berlusconi, certains regretteraient presque le remplacement d’Il Cavaliere par Il Cardinale… Pour eux, il n’y a rien à fêter tant l’Italie s’apprête à traverser des jours difficiles.
[image:1,l] La classe politique italienne a accepté, à la quasi unanimité, la nomination de Mario Monti à la présidence du Conseil. Seules fausses notes, le refus de la très populiste Ligue du Nord d’Umberto Bossi et le soutien, avec réserve, de la formation Italia dei Valori, de l’ancien juge Antonio Di Pietro. Mais, du côté de la presse et de l’opinion publique, il en va tout autrement et le ton est bien différent : assisterions-nous à la fin du politique et de la souveraineté populaire ? Sceptiques et opposants mettent en avant ce qu’ils qualifient d’absence de toute légitimation populaire du gouvernement Monti, alors même que celui-ci sera amené à prendre une série de mesures d’austérité pour répondre aux demandes de la BCE.
Une fois de plus, comme en Grèce, la semaine dernière, renait le sempiternel débat entre démocratie représentative et démocratie directe. Après tout, le gouvernement Monti ne sera investi que s’il obtient une majorité au Parlement. Or, c’est bien le peuple qui a élu, en 2008, ses représentants pour 5 ans…
Un gouvernement Monti en mission
La lettre envoyée par la BCE au gouvernement italien en août dernier est claire dans la définition des objectifs à atteindre : réduction des salaires publiques, baisse du déficit publique à 1% du PIB d’ici à 2012, augmentation de l’âge de retraite, plus de flexibilité sur le marché de l’emploi et moins d’entraves aux licenciements pour les entreprises, libéralisation du travail dans les collectivités locales et privatisation à grande échelle.
Dans une intervention, le 4 novembre dernier, Mario Monti avait annoncé la couleur en se déclarant favorable « à un gouvernement d’unité nationale pour faire des choix impopulaires”.
Tant que ce nouveau gouvernement, appelé à prendre ces mesures impopulaires, jouira de l’appui parlementaire, que lui accordent à sa formation tous les grands partis politiques, gauche en tête, il sera en mesure de poursuivre sa tâche.
Et c’est bien la question : avec des élections au printemps 2013, jusqu’à quand les partis seront-ils disposés à « laisser faire » Monti et son équipe ? Comment réagiront-ils face à une mobilisation de la rue ? C’est tout l’enjeu, un enjeu qui fait courir à chaque formation des risques considérables.
Les principaux quotidiens saluent la nomination du nouveau sénateur à vie
Les quotidiens les plus importants, du Corriere della Sera à La Repubblica, saluent l’ascension au pouvoir de l’ancien commissaire européen. Pour le directeur du Corriere, Ferruccio De Bortoli, le choix de Monti est un tournant sensationnel mais indispensable pour relancer l’économie et restaurer l’image du pays.
La Repubblica, le principal quotidien national, s’engageait sans états d’âme aux côtés d’Il Cardinale. Son fondateur Eugenio Scalfari exprimait dimanche sa confiance inconditionnelle en Mario Monti et son espoir de le voir sortir l’Italie « du désastre » en cours.
L’Unita s’interroge : le Parti démocrate va-t-il se suicider ?
[image:2,s]Alors que le leader démocrate Pier Luigi Bersani fêtait la démission de Berlusconi et se déclarait prêt à soutenir le nouveau gouvernement, le leader de SEL (Gauche et Liberté) Nichi Vendola alertait la gauche italienne. Dans une interview au quotidien L’Unità, il affirme : « Si le gouvernement de Monti met en œuvre des mesures de droite, il provoquera la mort du Parti démocrate ». Une mort qui ferait les affaires de la gauche de la gauche et donc celles de Vendola…
Le risque évoqué par Vendola n’est pas le moindre : le soutien de la gauche aux réformes impopulaires annoncées pourrait lui nuire lors des prochaines élections, alors qu’à droite la Ligue du Nord se sera fait une virginité dans l’opposition et que le parti de Berlusconi, le PdL, pourra toujours prétendre qu’il n’est en rien dans le changement de gouvernement. Pour le leader de SEL, le recours à une solution technocratique pour sortir de la crise s’apparente à un « suicide de la politique ».
« Attention à vos portefeuilles ! » alerte Libero
Sur les pages du quotidien berlusconien Libero, le directeur Maurizio Belpietro alertait tous ceux qui jouissent du départ du Caïman, de faire attention à leurs portefeuilles : « Si le nouveau gouvernement met en place les mesures demandées par la BCE, on assistera à la reforme des retraites […], à la dérégulation du marché du travail et à nouvelles impôts ». Selon Belpietro, ceux qui fêtent la fin du berlusconisme ne se rendent pas compte de ce qui est en train de se passer : « L’Italie vient de perdre sa souveraineté nationale. »
Monti, l’ami des banques, pour Il Giornale
Su Il Giornale, autre quotidien proche de Berlusconi, le directeur Alessandro Sallusti attribue l’arrivée au pouvoir de Monti, « l’ami des grandes banques » à un blitz des pouvoirs forts. Le quotidien prévoit un programme fait de « larmes et de sang », qui comprendrait notamment la taxation des patrimoines.
L’Italie occupée par la BCE et Wall Street, selon Liberazione
[image:4,s]Le quotidien du Parti communiste Liberazione titrait : « Non aux gouvernements des banquiers. » Paolo Ferrero, le secrétaire de Refondation communiste, les derniers survivants du puissant Parti communiste italien (PCI), se dit farouchement opposé à un gouvernement de technocrates qui ne serait qu’un « exécuteur zélé des directives européennes et qui ne fera que plonger l’Italie dans une situation comparable à celle de la Grèce : récession, politiques anti-sociales, privatisations, laisser-faire face à la spéculation financière ».
Giorgio Cremaschi, syndicaliste de la CGIL, dans les pages intérieures du même quotidien, va encore plus loin. D’après lui, avec la nomination de Monti, l’Italie serait officiellement occupée par la BCE et par Wall Street. « Le gouvernement Monti ne sera pas un gouvernement technique, mais un gouvernement démocrate-chrétien, technocratique, étroitement lié aux choix des grands pouvoirs économiques européens et internationaux ». Le nouveau gouvernement « changera la Constitution en faveur du marché, » promet-il. Pire, selon lui, à ne pas exiger des élections anticipées, la gauche laisse à la droite aura le temps de se réorganiser, et déjà il accuse ses « camarades » du « massacre social en cours ».
Mario Monti bras armé de Goldman Sachs, selon Micromega
[image:5,s]Guglielmo Forges Davanzati, professeur d’économie politique, est du même avis. Dans Micromega, il lance, en titre : « L’Italie gouvernée par Goldman Sachs ». Il rappelle que Mario Monti a été consultant international de la plus grande banque d’affaires au monde, à l’origine de la crise des sub-primes. Il évoque les rumeurs révélées par Milano Finanza, selon lesquelles « c’est Goldman Sachs qui a amorcée la vente de titre d’Etat italiens », causant ainsi la hausse des taux d’intérêts obligataires depuis cet été. Il reprend aussi un communiqué de la banque qui affirme qu’ « un gouvernement technique en Italie aurait plus de crédibilité que tout autre exécutif. » Selon Davanzati, ce qui est en train de se réaliser en Italie n’est rien d’autre que « la mainmise de la finance sur l’économie et le politique ».
Il Fatto quotidiano évoque la fin de la souveraineté populaire
Pour Giulietto Chiesa, journaliste et homme politique, dans Il Fatto quotidiano : « C’est le gouvernement Napolitano-Monti-Goldman Sachs ». Il compare la situation italienne à celle de la Grèce, également gouvernée par un homme issu de cette banque d’affaires. Pour lui, l’arrivée au pouvoir de Monti décrète la fin de la Troisième république italienne et de la volonté populaire. La preuve ? « Tout le monde, de Monti à Napolitano, parle de mettre en place des « mesures impopulaires », ce qui veut dire « antipopulaires ». Quels démocrates ! »
Peurs sur le net : une vision sombre du futur de l’Italie
Sur le net, et notamment sur les réseaux sociaux, les rumeurs et les théories du complot ont le vent en poupe. De nombreux bloggeurs, de tous les univers, retracent le parcours du nouveau premier ministre, et son implication dans le monde de la finance et des banques. Beaucoup mettent en garde contre les risques de recruter des incendiaires en guise de pompiers, à l’instar de ce qui se passe en Grèce.
Des groupes féministes aux groupes militants de gauche et de droite, et aux medias libres, nombreux sont ceux qui s’en prennent à ceux qui ont célébré joyeusement samedi soir le départ de Berlusconi – et aujourd’hui l’arrivée de Monti – et rabâchent leurs mises en garde contre le nouveau gouvernement, en évoquant à la fois la fin de la politique, la mort de l’Etat social, et l’arrivée de la finance au pouvoir.
Un constat commun, au-delà des divergences, c’est une période bien difficile qui attend les Italiens, une période de restrictions et de sacrifices…