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Où sont passés les missiles de Kadhafi ?

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[image:1,l]Libye. Sous un soleil de plomb, à la périphérie de Syrte, une des villes les plus ravagées par la guerre, des caisses pleines de missiles sol-air, de ceux capables d’abattre des avions de ligne

Human Right Watch engagée dans la recherche des missiles

Ces missiles sont là, seuls, sans surveillance… Personne ne réagit quand Peter Bouckaert, directeur de Human Right Watch pour les urgences, commence à les démolir.
Bouckaert avait déjà contrôlé des dizaines de ces boîtes vertes en bois, dispersées à travers les pentes sableuses du pays. Certaines étaient pleines de bombes, obus et roquettes, d’autres vides, depuis longtemps.
Ce sont des missiles sol-air, des ASSM, qui inquiètent le plus les gouvernements étrangers et les organisations humanitaires, terrifiés par la perspective de les voir tomber en de mauvaises mains ou finir aux mauvais endroits.
Il est de notoriété publique que quantité de ces armes ont déjà franchi les frontières du pays. Selon des responsables israéliens, les munitions libyennes arrivent à Gaza depuis des mois.

Les États-Unis inquiets du devenir des missiles

[image:2,s]Le département d’État américain, lui, considère comme une priorité de traquer et démanteler ces missiles dangereux. Pour cela, il a alloué 40 millions de dollars. Mais Bouckaert craint qu’il ne soit déjà trop tard.
Cette semaine, trois membres du département d’État, sous couvert d’anonymat, ont rencontré Bouckaert à Misrata afin d’obtenir des informations sur les sites d’armes autour de Syrte. « Vous auriez mieux fait d’arriver plus tôt ! » leur a lancé Bouckaert. Un des trois lui a répondu, désabusé : « Bon, bah, c’est la faute du gouvernement… »
Ils ont demandé au responsable de Human Right Watch si les brigades de Misrata, celles qui les ont conduits aux missiles, avaient répondu au ministère de la Défense. « L’autorité du ministère de la Défense ne dépasse pas le périmètre de son quartier général », a répondu Bouckaert.
« Le département d’État a agi avec beaucoup de sincérité », a affirmé Bouckaert au GlobalPost. « Mais ils arrivent toujours en retard pour mettre ces armes en sécurité : ils étaient à Benghazi lorsque les armes étaient à Tripoli, et à Tripoli lorsqu’ils auraient dû être à Syrte. Maintenant, ça va leur coûter beaucoup plus cher de retrouver leurs traces. »

Une prolifération dix fois plus importante qu’après la guerre en Irak

De plus, en Libye, ces armes sont beaucoup plus disséminées. Selon des estimations, près de 20 000 missiles sol-air se trouvaient en Libye avant le début de la révolution.
Deux jours après la prise de Syrte et la mort de Mouammar Kadhafi, les forces rebelles de Misrata quittaient les ruines de ce qui était, il y a peu, une des villes les plus riches de Libye. Syrte est désormais une ville fantôme, sans eau, ni électricité, ni résidents.
[image:3,]La brigade des martyrs de Sdada a garé ses camions noirs devant les conteneurs dans lesquels ils ont dormi pendant plus d’un mois. Ils transportent leurs matelas, leurs théières, leurs générateurs et même un réservoir. Ils ont rempli un camion avec les munitions des anciens soldats loyalistes… parmi lesquelles, sept SAMS. Des missiles verts SA-24 étaient entassés à l’arrière du camion, comme s’il s’agissait de clubs de golf.
« La prolifération d’armes en Libye est dix fois plus importante qu’après la guerre en Irak », prévient Bouckaert, tout en prenant des photos afin de relever les numéros d’identification des missiles et déterminer leur provenance.

Un risque pour les avions civils ?

Ces missiles ont la capacité de frapper un avion qui vole à 10 000 pieds du sol, plus de 3 000 mètres, grâce à une tête chercheuse thermique. En 2003, un SA-7 a frappé un Airbus de DHL à Bagdad, provoquant une défaillance du système hydraulique et le forçant à atterrir.
Bouckaert avoue que les risques de dissémination des missiles sol-air ont été une de ses plus grandes préoccupations depuis le début de la révolution en février. « À Tripoli en août, nous avons trouvé des entrepôts de mines, des mines anti-chars, et de nombreux missiles sol-air », raconte-t-il. « Ce qui disparaît plus rapidement, ce sont les missiles sol-air et les armes de poing ».
[image:4,s]L’éventualité que de tels missiles puissent abattre un avion de ligne est une cause d’inquiétude grave pour les États-Unis, comme pour tous les autres gouvernements. Nicholas Marsh, chercheur à l’Institut de recherches pour la paix d’Oslo, exprime ses doutes sur cette menace. Selon lui,les missiles sol-air existent depuis des décennies et jamais une compagnie aérienne civile n’en a été la cible : « L’entretien et le lancement réussi d’un missile exigent des compétences et des équipements dont ne disposent pas les groupes susceptibles de tenter d’abattre des avions civils. »
March doute aussi que les missiles soient encore en état de marche. « Je ne suis pas convaincu de la bonne qualité des SA-7s trouvés en Libye. J’ai l’impression que le régime de Kadhafi a laissé d’énormes quantités de matériels prendre la poussière dans des dépôts pendant des décennies. »
Pourtant, les missiles trouvés par Bouckaert étaient encore enveloppés dans du plastique et avaient encore leurs batteries bien fixées.

Les principaux suspects : Hamas, Hezbollah, Soudan et Iran

[image:5,]La menace la plus immédiate pourrait venir des groupes militants et terroristes actifs au Moyen-Orient et en Afrique. On pense au Hamas et au Hezbollah, qui sont les mieux entraînés et disposent de financements considérables.
Marsh estime qu’un autre risque serait de voir ces missiles tomber dans les mains d’un gouvernement, notamment de ceux qui sont sous embargo. L’intérêt qu’ils trouveraient à se fournir en armes en Libye est évident : puisqu’il leur est interdit d’acheter, de manière légale, ce type de missiles sur le marché international, ils pourraient tenter de les obtenir clandestinement, au marché noir. On pense alors, en particulier, au Soudan et à l’Iran. »
Bouckaert reconnaît que ces missiles sol-air seraient plus dangereux s’ils parvenaient dans des zones comme Gaza ou le Tchad. Mais, pour lui, ce n’est pas le seul risque : les munitions d’anciens chars, comme ceux trouvés dans un faux plafond à Hoshu Milhey, un complexe non surveillé de 70 entrepôts à 100 km au sud de Syrte, ont tué des centaines de soldats en Irak et en Afghanistan. Ces armements peuvent facilement être transformés en engins explosifs improvisés. « Nous aurions pu amener un camion ici et prendre autant d’armes que nous voulions. C’eût été aussi facile que ce le fut pour les rebelles qui ont récupéré les armes de poing et tout ce qu’ils pouvaient entasser sur leurs camions. » 

Dans le dépôt d’armes de Syrte, Bouckaert a retracé la provenance de 389 boîtes de missiles sol-air en utilisant le numéro marqué sur les caisses et les manuels d’utilisation. Dans le site de Hoshi Milhey, il a recensé plus de 10 000 tonnes de bombes et de missiles. Autant de raisons d’inquiétudes que ne semblent pas prendre en compte comme il conviendrait les autorités internationales.

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