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Rached Ghannouchi, le chef des islamistes tunisiens

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[image:1,l]Ancien émir (président) fondateur d’Ennahda, Rached Ghannouchi est militant historique de tous les combats islamistes depuis près de 50 ans.L’annonce de son retour d’exil en Angleterre a suscité des inquiétudes en Tunisie, et au-delà. Ce devait être le signe de l’appétit des Islamistes, de leur intention de profiter du soulèvement populaire et du départ forcé de Ben Ali pour prendre le pouvoir et instaurer, dans les meilleurs délais, un régime à l’iranienne.

Un jeune homme « assoiffé de connaissances » découvre l’islamisme

Rached Ghannouchi, de son vrai nom Kherizi, est né en 1941 à El Hamma. Éduqué dans une école coranique de sa province natale, il obtient un diplôme de théologie à Tunis à un peu plus de 20 ans. Il aurait pu entamer une carrière d’instituteur dans son village natal.
« Assoiffé de connaissances » et « fasciné » par le nationalisme arabe selon son entourage, il part poursuivre ses études au Caire, où le Nassérisme triomphe, puis à Damas où il se lie aux Islamistes et commence à forger sa propre pensée. Enfin, à Paris, il débute son activisme parmi les étudiants arabes et musulmans et rejoint la Jamaat Tabligh, association pour la prédication, activisme qu’il exerce auprès de la population immigrée.

Le retour en Tunisie et l’engagement en politique

[image:4,s]De retour à Tunis, il découvre avec effroi une société lancée sur la voie de la laïcité et où les femmes ont obtenu l’interdiction de la polygamie et de la répudiation. Tout au long des années 70, il prêche dans les écoles secondaires et les mosquées et s’engage toujours plus ouvertement en politique. Il est perçu comme un radical proche des Frères musulmans égyptiens.
Au début des années 1980, il est devenu le président du Mouvement pour la tendance islamiste (MTI). Le régime de Bourguiba s’inquiète et la répression s’intensifie. Les condamnations pleuvent : 11 ans de prison d’abord – il en fera deux – puis, en septembre 1987, les travaux forcés à perpétuité. Le vieux président Bourguiba exigeait la mort, il voulait le voir « pendu au bout d’une corde ».

Vingt ans d’exil à Londres sous Ben Ali

[image:5,s]Arrivé au pouvoir, Ben Ali gracie Ghannouchi, en 1988, et celui-ci, en retour, fait allégeance au nouveau pouvoir. Le MTI est devenu Ennahda. « Il rejette la violence et reconnaît le statut de la femme. Mais cela ne suffit pas. Aux législatives de 1989, on a remporté plus de 17 % des voix et on a commencé à être matraqués », raconte Ali Larayedh, un des responsables du mouvement à Tunis arrêté en 1990 et qui a passé quatorze ans en prison.
À son tour, Ben Ali, inquiet de la situation de l’Algérie où le FIS a le vent en poupe, cible les Islamistes. En 1989, la légalisation de leur parti est refusée et les leaders sont accusés d’avoir fomenté un coup d’État contre Bourguiba en novembre 1987. Ghannouchi est contraint à l’exil : Alger d’abord, puis Londres à partir de 1991. Il y restera vingt ans.<!–jolstore–>

Un retour triomphal en pleine « révolution du Jasmin »

[image:3,s]À son retour, le 30 janvier 2011, il est acclamé à sa descente d’avion par une foule nombreuse. Silhouette fragile, visage allongé cerclé d’une barbe poivre et sel soignée, cet homme de 70 ans a l’air d’un inoffensif homme de lettres. Difficile d’imaginer qu’il a fait trembler le pouvoir tunisien. Prudent, il annonce qu’il ne vise pas la présidence de la République et précise qu’il n’acceptera aucune fonction officielle. Aujourd’hui, son prestige parmi les Islamistes reste intact, même s’il laisse en première ligne la figure bien moins compromise d’Hamadi Jebali, chef de file du parti aux élections législatives. Rached Ghannouchi, une sorte de guide spirituel ?

 

Octobre 2011 : la victoire d’Ennahda aux premières élections démocratiques de l’Histoire

[image:2,s]Dimanche 23 octobre, les électeurs tunisiens élisent pour la première fois, démocratiquement, leurs représentants, les membres d’une assemblée constituante chargée de mettre en place les institutions démocratiques stables du pays. 11 000 candidats s’affrontent pour les 217 sièges à pourvoir. La participation approche les 90 %. Aucun parti n’obtient une majorité absolue mais Ennahda, avec 41,47 % des suffrages et 91 élus, sort incontestablement vainqueur.
Durant la campagne – une campagne qui s’est déroulée dans l’ordre -, les partis laïques ont agité la crainte d’une islamisation « à l’iranienne » du pays en cas de victoire d’Ennahda. En Occident, et en France, en particulier, les analyses les plus inquiétantes circulent : la révolution démocratique serait sur le point de faire le lit d’une autre dictature, confessionnelle cette fois.
Le message de Rached Ghannouchi, au lendemain de la victoire, se veut rassurant. Message cardinal : rien ne sera plus comme avant, au niveau des personnes et des politiques notamment, mais Ennahdha ne compte aucunement changer le mode de vie des Tunisiens. « Les citoyens auront à exercer totalement leurs libertés dans la manière de manger, de boire, de s’habiller et de croire… tout cela n’est pas l’affaire de l’État », affirme-t-il. À l’intention de ceux qui n’ont pas voté pour son mouvement, il se lance dans une opération séduction : « Je leur dis, apprenez à nous connaître de plus près. Pendant 30 ans, ils n’ont fait que tendre une seule oreille à ceux qui agitaient la peur d’Ennahdha, qu’ils nous tendent leur seconde oreille ».

Les Islamistes aux marches du pouvoir

Un mois après les élections, les négociations en vue de la formation d’une coalition n’ont toujours pas abouti. Elles avancent… L’ensemble des partis laïques n’ayant pas véritablement cherché à constituer une alternative aux Islamistes, Ennahda, première force du politique du pays, s’efforce de former un gouvernement avec la deuxième force politique du pays, l’Ettakatol ou Forum démocratique pour le travail et les libertés. Le chef de ce parti, Mustapha Ben Jaafar, occuperait la présidence de l’Assemblée constituante, et Hamadi Jebali deviendrait, lui, Premier ministre. Quant à Rached Ghannouchi, il remettra en jeu son poste à la tête du mouvement lors du congrès, prévu fin novembre.

L’ambiguïté doctrinale de Rached Ghannouchi demeure

La campagne électorale et ses lendemains n’ont pas permis de lever les doutes et les inquiétudes que suscite le discours d’Ennahda et de Rached Ghannouchi, en particulier. Sa doctrine est « ambiguë », juge ainsi Hamadi Rédissi, politologue et président de l’Observatoire tunisien de la transition démocratique : « Il navigue entre le califat et l’état civil, entre le modernisme et la rigueur idéologique, entre l’électoralisme et l’agitation permanente. Il est capable de dire tout et son contraire. Je pense qu’il est sincèrement et profondément divisé intérieurement. » Ghannouchi se réclame de l’islamisme modéré des Turcs de l’AKP. Mais, dans les ouvrages qu’il a écrits, « les sources intellectuelles sont toujours les mêmes : Hassan el-Banna, le fondateur des Frères musulmans, ainsi que d’autres islamistes radicaux », dit Rédissi.

Que dit-il lui-même ? Interrogé par le quotidien français Le Monde, Rached Ghannouchi a promis que le parti islamiste ne touchera pas au statut des femmes et a affirmé vouloir « voir la Tunisie développer une démocratie qui marie l’islam et la modernité ».
Sur le code du statut personnel en Tunisie, plus favorable aux femmes que dans tout autre pays du monde arabo-musulman et dont la réforme éventuelle est la principale inquiétude des Tunisiennes, il affirme : « nous n’y toucherons pas ».
Interrogé par ailleurs sur le courant salafiste, et sur le fait de savoir si la base d’Ennahdha n’est pas plus extrémiste que ses dirigeants, Rached Ghannouchi a déclaré: « Nous, nous pensons qu’il n’y a aucune contradiction entre l’islam et la démocratie, l’islam et la modernité, l’islam et l’égalité des sexesLes salafistes ont le droit d’avoir leur opinion. Même si elle n’est pas bonne, l’État n’a pas à s’en mêler, sauf s’ils commettent des violences ».

Sa vision de la place de l’Islam en Tunisie

La Tunisie est déjà, en vertu de la Constitution en vigueur, « un état musulman dont la religion est l’islam »: « Cet article fait aujourd’hui consensus dans tous les partis, nous ne voulons rien ajouter, rien retrancher », ajoute Rached Ghannouchi. Et de souligner que « tous les Tunisiens s’accordent sur leur identité arabo-musulmane ».
En Occident, le terme « charia » effraie. Pour Ghannouchi, la charia est déjà, de fait, appliquée en Tunisie. Quant à la charia, il juge que « celle-ci n’a jamais quitté la Tunisie : la loi tunisienne en est en grande partie inspirée ». Et d’affirmer vouloir baser la gouvernance par Ennahda sur « les valeurs islamiques basées sur l’égalité, la fraternité, la confiance et l’honnêteté », qui selon lui « sont l’essence de la charia ».

Ghannouchi-Khomeini, certains, à son retour d’exil, osaient le parallèle… Dix mois plus tard, Rached Ghannouchi a avancé ses pions, a conduit ses troupes au pouvoir mais il a pris soin aussi de rassurer, au point d’être reconnu comme interlocuteur respectable par les chancelleries étrangères, occidentales en particulier. Interrogé sur le succès de son parti aux élections, il a estimé que c’était la preuve que « Ben Ali avait échoué à détruire la mémoire des Tunisiens. »
Rached Ghannouchi, et la Tunisie avec lui, auraient tout à gagner, à ne pas oublier que les Tunisiens ont de la mémoire.

Un entretien accordé par Rached Ghannouchi, le 25 janvier 2011, à la veille de son retour en Tunisie :

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