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Référendum en Grèce : Papandréou perd-il la tête?

« La volonté du peuple grec s’imposera à nous », a lancé Georges Papandréou au groupe parlementaire socialiste. Dans les semaines à venir, un référendum sera organisé à travers le pays mais, sans attendre, il demandera dès vendredi 4 novembre la confiance du Conseil des Grecs, le Parlement, sur l’accord conclu, jeudi 27 octobre, au sommet de Bruxelles pour effacer une partie de la dette publique grecque. Les Grecs « veulent-ils l’adoption du nouvel accord ou le rejettent-ils ? Si les Grecs ne le veulent, il ne sera pas adopté », a ajouté le Premier ministre.


Une décision totalement inattendue


Le choc à travers la zone euro


C’est le choc à travers la zone euro et l’Union européenne. Mardi 1er novembre, en fin d’après-midi, le président français, Nicolas Sarkozy sort sur le perron de l’Élysée pour une déclaration solennelle : « La France tient à rappeler que le plan adopté jeudi dernier à l’unanimité des 17 États membres de la zone euro est la seule voie possible pour résoudre le problème de la dette grecque, dit-il. Donner la parole au peuple est toujours légitime, mais la solidarité de tous les pays de la zone euro ne saurait s’exercer sans que chacun ne consente aux efforts nécessaires. C’est pourquoi la France et l’Allemagne ont pris l’initiative de réunir demain, avant l’ouverture du sommet du G20, l’ensemble des institutions européennes ainsi que le Fonds monétaire international pour examiner avec le Premier ministre grec les conditions dans lesquelles les engagements pris seront tenus. »


Les Bourses dégringolent


Mardi 1er novembre, les Bourses européennes et Wall Street ont connu une journée noire, valeurs bancaires en tête, au lendemain de l’annonce surprise du référendum qui a relancé les craintes sur l’avenir de la zone euro.
La Bourse d’Athènes a chuté de 6,92 %, tirée à la baisse par les titres bancaires. Francfort (-5 %), Paris (-5,38 %), Madrid (-4,19 %), Milan (-6,80 %), Londres (-2,21 %), Zurich (-2,49 %), Lisbonne (-3,68 %) ont suivi la même tendance.
Les actions qui ont le plus souffert sur la place parisienne ont été celles des banques, la Société Générale (-16,23 %), BNP Paribas (-13,06 %) ou encore Crédit Agricole (-12,53 %).
Deux heures après l’ouverture, New York lâche aussi du terrain, le Dow Jones à – 2,23 % et le Nasdaq 2,66 % .


Un Premier ministre dans l’impasse


Avec l’accord de Bruxelles, la perspective d’une faillite paraissait s’estomper


L’Europe, les marchés financiers, Georges Papandréou lui-même – imagine-t-on – avaient poussé un « ouf ! » de soulagement la semaine dernière. Deux sommets des chefs d’État et de gouvernement de la zone et deux autres de l’Union européenne au complet, dans la nuit de mercredi à jeudi et le dimanche précédent : au terme d’un marathon de négociations sans précédent, une fumée blanche s’est élevée dans le ciel bruxellois. Un accord a, enfin, été trouvé, un accord satisfaisant, nous disait-on, en tout cas suffisant, à défaut d’être parfait : les créanciers privés – des banques pour l’essentiel – renoncent à 50 % de leurs créances, soit cent milliards d’euros sur un total d’endettement public du pays de 350 milliards d’euros. Athènes doit recevoir en outre à de nouveaux prêts internationaux de 100 milliards d’euros également d’ici à la fin 2014, dans le cadre d’un programme qui se substitue à celui de 109 milliards d’euros décidé en juillet par l’UE et le FMI. En plus, dans le cadre de cet accord, 30 milliards d’euros sont réservés aux banques grecques, qui vont énormément souffrir de l’opération d’échange de dettes à 50 % de leur valeur, puisque plus grosses détentrices d’obligations souveraines grecques.


Papandréou accepte un renforcement des contrôles sur sa politique budgétaire


La dette de la Grèce représente, aujourd’hui, environ 160 % de son PIB. Aux termes de l’accord, elle devrait, d’ici à 2020, être ramenée à 120 % du PIB. Jusqu’à présent, la politique budgétaire grecque est contrôlée tous les trois mois par une « troïka » où sont représentés les trois principaux créanciers du pays : l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. À l’issue de l’accord, le gouvernement a indiqué que des membres de la troïka seraient désormais présents en permanence à Athènes. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une mise sous tutelle, mais d’une surveillance accrue et non négociable sans remise en question des engagements pris de part et d’autre.


De nouvelles manifestations le jour de la fête nationale


Vendredi 28 octobre, la Grèce célébrait sa fête nationale. À cette occasion, des manifestations se sont déroulées dans de nombreuses villes à travers le pays. Dans la ligne de mire des mécontents, le contrôle accru donné aux créanciers sur la politique budgétaire du pays, perte totale de souveraineté en ligne de mire, et l’indispensable politique d’austérité qu’impose l’accord au gouvernement socialiste.


Cinq mois de manifestations contre la politique d’austérité


Georges Papandréou est Premier ministre depuis la victoire du Pasok, son parti socialiste, aux élections du 4 octobre 2009. Constantin Karamanlis, son prédécesseur conservateur, lui a laissé un pays au bord de la faillite. Ne disposant d’aucunes marges de manœuvre, il mène une politique d’austérité sans précédent : diminution des investissements publics, baisse des primes des fonctionnaires et des pensions des retraités, avec un recul de cinq ans, à 65 ans, de l’âge légal de départ en retraite. Les mesures prévoient également la création de nouveaux impôts, et l’augmentation de deux points de la TVA. Les Grecs sont exsangues, les salaires chutent, le chômage augmente, le taux de pauvreté explose.
Le 15 juin 2011, une vague de protestations d’une rare violence éclate à travers le pays, et en particulier à Athènes. Papandréou propose alors à l’opposition conservatrice de démissionner et de former un gouvernement d’Union nationale. Refus. Le 17 juin, il constitue un gouvernement resserré avec son grand rival socialiste, Evangelos Venizelos, aux Finances. La contestation se poursuit depuis cinq mois maintenant. La violence, née du désespoir, s’intensifie.
C’est dans ce contexte que Papandréou tente son double coup de poker : demander la confiance du Parlement et donner le dernier mot aux Grecs par référendum.


L’improbable pari de Georges Papandréou


La peu crédible confiance du Parlement


En octobre 2009, Georges Papandréou dispose d’une majorité confortable de 160 députés sur 300 au Conseil des Grecs, face à une opposition divisée entre la Nouvelle Démocratie sortante et des groupes minoritaires de droite et d’extrême gauche. À la fin de l’été, il ne disposait plus que 153 sièges, soit seulement deux de plus que la majorité absolue. C’est maigre, alors qu’il reste deux ans avant le terme légal du mandat parlementaire.
Et d’autant plus maigre que les dissensions ne cessent de croître au sein de son propre camp. La nomination en juin de son principal rival Evangelos Venizelos au poste de ministre des Finances semblait devoir faire disparaître le principal risque de « mise à l’écart » de Papandréou. Rien n’est garanti. La gauche du Pasok est de plus en plus inquiète des effets durables sur son électorat et la solidarité gouvernementale pourrait en pâtir.
Il n’existe pas de majorité alternative possible au Parlement, et la solution serait donc des législatives anticipées. Nouvelle Démocratie l’exige, Papandréou s’y refuse, convaincu que, malgré la rhétorique électorale, tout nouveau gouvernement n’aura d’autres choix que d’appliquer l’accord européen et de se soumettre aux desiderata de la « troïka » et des banques.


Pourquoi demander la confiance du Parlement avant un référendum…


Papandréou préfère poser la question franchement aux Grecs – « pour ou contre le plan européen et l’austérité qui l’accompagne ? » –, d’où la convocation, dans les prochaines semaines, d’un référendum sur ce sujet précis. La campagne sera l’occasion, pour lui, d’un exercice de pédagogie nationale et, même si le scénario paraît fort improbable, peut-être parviendra-t-il à trouver les arguments. D’autres, ailleurs, y sont parvenus avant lui…


Mais pourquoi demander avant, dès vendredi 4 novembre, la confiance du Parlement ?
On peut comprendre la stratégie. Sans vote de confiance dudit Parlement, ou s’il venait à perdre ce vote de confiance, l’opposition lui reprocherait de ne pas convoquer d’élections anticipées, et le référendum prendrait alors, de fait, des allures de plébiscite : « Pour ou contre Papandréou ? » Rien de pire dans un pays confronté à une telle crise…
Avec la confiance du Parlement, il peut justifier de ne pas avoir recours à des législatives anticipées et engager, les mains libres vis-à-vis de son propre camp, une campagne référendaire portant exclusivement sur les termes de l’accord. S’il venait à perdre ce référendum, il pourrait se retourner vers Bruxelles, Francfort et Washington, en les suppliant de lui accorder quelques marges de manœuvre pour éviter qu’à la crise économique qui frappe la Grèce ne vienne s’ajouter un chaos politique. Un échec de la négociation de mesures moins drastiques priverait, du même coup, Nouvelle Démocratie, la droite gouvernementale, de son principal argument de bataille électorale, et la contraindrait peut-être à jouer le jeu de l’union nationale.


Et après ?


Ce sont des années d’austérité qui sont promises aux Grecs. Même avec un retour de la croissance, fût-ce une croissance forte, même avec l’argent des Chinois, il est à parier que les conséquences de la crise se feront ressentir au moins jusqu’à la fin de la décennie – au mieux.
L’union nationale pourrait apparaître comme une solution. Mais une telle stratégie risque aussi de laisser l’espace libre aux extrémistes de tout poil et ouvrir la voie à l’aventure. Bien sûr, tant que la Grèce reste dans l’euro, dans l’Union européenne, les remèdes, même s’ils apparaissent comme la cause de tant de maux, protègent contre les pires infections. Espère-t-on…


Impossible d’oublier l’histoire moderne de la Grèce : la guerre civile aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, entre 1946 et 1949, suite à une insurrection communiste, et puis la dictature des colonels de 1967 à 1974… À l’époque, face à l’instabilité politique et à l’incapacité des hommes politiques traditionnels à remettre le pays sur pied, une junte dirigée par Papadopoulos avait pris le pouvoir, un régime dictatorial meurtrier au pays à la clé. Aujourd’hui, l’armée grecque – tout comme l’église orthodoxe –, qui a largement profité des largesses budgétaires, voit son budget réduit, craint pour son avenir et, profite en outre des gesticulations de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir à Ankara pour agiter à nouveau le sempiternel danger turc.


Crise économique et nationalisme… Sans jouer les cassandres, on peut légitimement commencer à se poser la question : et si, en Grèce, les militaires finissaient par tenter le coup… d’État ?


 

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