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Taïwan légalise la prostitution – sous condition

Vendredi 4 novembre, le gouvernement de Taïwan a adopté une loi qui légalise la prostitution, mais uniquement dans des « quartiers rouges » officiellement désignés comme tels. Le projet de loi est clair : en dehors de ces quartiers, les forces de l’ordre peuvent sanctionner les prostituées et leurs clients.

Une industrie du sexe illégale, mais très florissante

Depuis que la prostitution est devenue illégale en 1991 – après des décennies de tolérance tacite, une attitude typique de l’est de l’Asie -, les autorités ont commencé à cibler les travailleurs du sexe, pour l’essentiel des femmes, en leur infligeant des amendes, en les menaçant de détention et en les soumettant à des campagnes de rééducation.
En 2009, réprimer les prostituées sans punir leurs souteneurs a été déclaré inconstitutionnel. Cette loi a expiré le 6 novembre.
Depuis 2009, alors que les parlementaires débattaient de l’avenir de la prostitution, le puissant lobby des travailleurs du sexe faisait pression pour la légalisation de cette activité et la suspension de la pénalisation tant pour les patrons que pour leurs employés, en particulier ces femmes qui attendent le client aux coins de rues, cibles privilégiées de la police.
La décision adoptée par le gouvernement, vendredi 4 novembre, a été présentée comme une victoire pour l’industrie du sexe, si florissante sur l’île.

Une loi très controversée

Pourtant, à Taiwan, les travailleurs du sexe ne sont pas bien vus. Comme dans beaucoup de pays d’Asie, ce commerce avait pour cadre, jusqu’à présent, des chambres d’hôtel louées à l’heure ou des centres de massage et des karaokés.
Les travailleurs du sexe craignent que cette nouvelle loi ne porte un coup fatal à ces pratiques, et  fasse disparaître la filière. De plus, elle va à créer des quartiers rouges, là où il n’y en aurait pas besoin.
Ses détracteurs affirment que l’adoption de ce projet de loi ne constitue qu’un moyen pour le gouvernement de se déresponsabiliser de la question et de renvoyer la balle aux autorités locales.  
Le gouvernement admet qu’il ne s’agit pas d’une solution idéale, mais que c’est la moins mauvaise. Le ministre de l’Intérieur de Taïwan a déclaré dans un communiqué : « Le projet de loi qui vient d’être adopté, bien qu’il ne soit pas parfait, est celui qui a fait l’objet du plus large consensus entre toutes les parties concernées. »
Compte tenu de la puissance du lobby des travailleurs du sexe, le ministre a ajouté que le statu quo ne pouvait pas être une solution, car il aurait généré de « graves troubles sociaux ».

Une destination de plus pour le tourisme sexuel

L’ouverture de quartiers rouges à Taïwan va en faire une destination supplémentaire parmi les pays du monde où sont en vigueur des législations permissives en matière de prostitution.
En Nouvelle Zélande, les « maisons closes » peuvent opérer librement depuis 2003 et la remise en cause par le parlement de lois centenaires sur le commerce du sexe.
Au Bangladesh, un tribunal a dépénalisé ce même commerce en 2010, mais seulement pour les prostituées femmes. Hong Kong a autorisé l’ouverture de « bordels individuels ».

Les quartiers rouges, garantie d’un meilleur contrôle de la prostitution…

À Taïwan, le gouvernement justifie l’ouverture des quartiers rouges parce que « faciles à gérer ». C’est ce qu’a déclaré le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Chien Tai-lang. La loi prévoit que les villes et les administrations des comtés peuvent instituer les « districts rouges » dans des quartiers « convenables », notamment loin des écoles publiques.
Un canton périphérique de l’île a annoncé son intention d’ouvrir un quartier rouge, selon les déclarations de Chung Chun-chu, directeur du Collectif des travailleurs du sexe et de leurs supporters, fort de 71 membres. Mais, bien d’autres responsables locaux ont rejeté catégoriquement cette hypothèse.
« La question principale est : qui est prêt à créer un quartier rouge ? Qui osera assumer cette responsabilité ? » se demande Chung. « Si les gouvernements locaux refusent de s’en charger, les travailleurs du sexe et leurs clients pourront être punis. » Une loi à double tranchant.

Le groupe de pression de Chung, basé à Taipei, recense environ 100 000 travailleurs du sexe à Taïwan. Il estime que ces travailleurs pourraient vivre paisiblement si seulement la police arrêtait de les harceler aux coins des rues et de leur infliger des amendes jusqu’à 1 000 dollars américains. D’après lui, les autorités arrêtent environ 1 000 travailleurs du sexe par an.

… ou une façon pour le gouvernement de se déresponsabiliser ?

Stephen Lakkis, directeur du Centre de théologie publique au Collège théologique de Taïwan, a étudié le commerce du sexe dans l’île au cours de ces derniers 18 mois. Pour lui, cette nouvelle législation permet au gouvernement central de s’affranchir de toute responsabilité sur la question. « Les politiques que nous avons vus jusqu’à présent suggèrent de manière évidente que le gouvernement entend faire le strict minimum possible. Ce qui signifie que dans le monde réel, les ONG, celles en faveur de la législation comme celles qui y sont opposées, devront prendre le relais. Elles se rendront compte qu’elles devront continuer à faire l’essentiel du travail, à prendre soin du bien-être des femmes et des enfants impliqués dans le commerce sexuel. »
Des groupes de femmes et les Églises chrétiennes, qui ne constituent pas une force politique majeure à Taïwan, sont d’accord sur le principe de sanctionner les prostituées et leurs patrons en dehors des quartiers rouges officiellement désignés.
« Les prostituées sont coincées par le système, dénonce Chi Hui-jung, directrice générale du groupe de soutien aux femmes de la Fondation du jardin de l’espoir de Taipei. Nous pensons que le gouvernement devrait poursuivre les clients. Si Taïwan légalise la prostitution, alors le statut des femmes va se dégrader », pense-t-elle.
Ceux qui s’opposent au projet de loi craignent également que le commerce du sexe n’attire les habitants trop pauvres pour s’y soustraire, tout en générant une traite illégale d’immigrés, y compris de mineurs, à partir des régions pauvres de la Chine et du Sud-Est asiatique.
Environ 10 500 personnes en provenance de la Chine sont arrivés à Taïwan pour faire commerce de leurs charmes entre 2001 et 2007, selon les statistiques des agences d’immigration. Près de 2 200 sont arrivées illégalement

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