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Vers un « printemps pakistanais » ?

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Une forte progression du taux de suicides

La police d’Islamabad a déclaré que Raja Khan avait laissé une lettre expliquant qu’il ne pouvait plus vivre plus longtemps dans de telles conditions. Le jour de son enterrement, sa femme, âgée de vingt ans, donnait naissance à leur troisième enfant.

« Il a dit “Je vais prendre de l’essence et aller m’immoler. Je lui ai répondu : “s’il te plaît, ne fais pas ça, pense à tes enfants.” Je l’ai supplié, “ne fais pas ça, pour l’amour de Dieu. Pense à moi. Qui prendra soin de moi si tu n’es plus là ?” Mais il n’écoutait pas », raconte Najma, assise devant sa maison, entourée de ses frères.

Pauvreté et chômage

[image:1,s]Le nombre de Pakistanais qui se suicident à cause de la pauvreté est en forte progression selon I.A. Rehman, directeur de la Commission des droits de l’homme au Pakistan, même si aucun chiffre n’est disponible.

Rehman a reçu 1 580 rapports de suicides pendant les neuf premiers mois de cette année. En 2009, sur l’année entière, il en a enregistré 1 668. Les activistes des droits de l’homme affirment que les Pakistanais évitent souvent de déclarer les cas de suicides, car, selon la loi pakistanaise, les survivants peuvent être condamnés à une peine de prison et une amende. Le suicide est également considéré comme un péché dans la religion musulmane.

« Il y a cette augmentation parce que de plus en plus de personnes tombent en dessous du seuil de pauvreté. Ensuite, il y a le chômage qui progresse aussi très fortement. »

De la pauvreté aux talibans

La pauvreté alimente également l’extrémisme, explique Feriha Peracha, directeur de Sabaoon, une sorte de pensionnat qui tente de « dé-radicaliser » d’anciens talibans.

« Leurs besoins ne sont pas satisfaits. Ils ne peuvent pas aller à l’école parce qu’ils doivent gagner leur vie. Sinon, comment voulez-vous qu’ils se nourrissent ? Alors ils abandonnent, et c’est là qu’ils sont récupérés par les talibans. »

[image:3,s]Rehman reste néanmoins prudent face au lien régulièrement exagéré entre pauvreté et extrémisme.

« Ce n’est pas seulement la pauvreté. Une étude menée en 2009 sur 6 000 Pakistanais montre que les pauvres sont deux fois plus antipathiques aux extrémistes que les classes moyennes. »

Les Pakistanais se retrouvent tous en dessous du seuil de pauvreté

Selon les chiffres du gouvernement, le chômage en juillet de cette année était de 6 %, l’année dernière il était de 5,6 %. Mais cette étude prend en compte toutes les personnes qui ont travaillé au moins une heure dans la semaine précédant l’enquête ; donc beaucoup pensent que ce chiffre devrait être revu à la hausse.

Il en est de même pour le seuil de pauvreté. Officiellement, un tiers de la population serait dans ce cas, mais, en réalité, la proportion est bien supérieure, selon Zaffar Moeen Nasir, chef de recherche à l’Institut pakistanais de développement économique.

Crise de l’énergie

[image:5,s]Le Pakistan souffre de l’inflation et les investisseurs étrangers ne s’aventurent pas dans ce pays à cause de l’instabilité politique, l’insécurité et l’environnement infrastructurel. La crise de l’énergie est l’exemple le plus frappant. Au moins trois jours par semaine dans le secteur du textile, l’industrie principale du Pakistan, les entreprises ne peuvent pas fonctionner, car les usines ne sont pas alimentées en énergie, selon des responsables de l’industrie.

« Les gens ne peuvent plus travailler à plein-temps ou sont licenciés. Donc, il y a une baisse de la production, ce qui induit une baisse du salaire des travailleurs », ajoute Rehman.

Même avec un temps de travail normal, de nombreux Pakistanais ne sont pas capables de gagner assez pour faire vivre leur famille, et le suicide est une des conséquences de cette situation, explique Khalid Mehmood, directeur de la Fondation pour l’éducation au travail.

L’arrivée du Parti du peuple pakistanais n’a rien changé

Raja Khan a cherché désespérément du travail pendant des années selon les témoignages de ses proches. Il a quitté l’école quand il avait quinze ans. Puisqu’il était fils aîné, il est devenu responsable de sa famille. Son père ne travaillait plus, un de ses frères était malade et un autre au chômage. Quand il s’est marié avec Najma et a eu ses deux fils, aujourd’hui âgés de cinq et trois ans, la pression pour leur offrir un niveau de vie convenable a augmenté. Le seul travail qu’il pouvait trouver, lorsqu’il y en avait, était un emploi d’ouvrier agricole dans une exploitation, rémunéré vingt centimes à la journée.

Lorsque les élections nationales de 2008 ont amené au pouvoir le Parti du peuple pakistanais (PPP), Raja Khan, dont la famille a toujours supporté le parti, était convaincu qu’il trouverait enfin un emploi. Il est allé demander un travail au député de la province et aux responsables du parti à Islamabad, il a même entamé une grève de la faim. En février, un responsable du PPP lui a donné une lettre demandant au ministre de la province d’introduire la femme de Raja Khan dans la police. Aucune de ces démarches n’a abouti.

De son village à Islamabad

[image:2,s]Puis, fin octobre, Raja Khan s’est rendu au Parlement national du Pakistan, le seul endroit où il pouvait trouver des gens plus influents que ceux qu’il avait déjà contactés. Avant de partir, il a demandé conseil à Ali Jan, un de ses cousins de 24 ans.

« Je lui ai dit “Ne va pas à Islamabad, ça ne servira à rien”. Mais il a répondu : “Non, je suis pauvre, je suis inquiet et je dois y aller.” » « Raja Khan n’a vu aucun député, explique Ali Jan. Il a seulement rencontré les responsables de la sécurité à la porte du Parlement. »

Raja Khan est originaire d’un village poussiéreux à sept heures de route de la capitale financière du Pakistan, Karachi. Les villageois savent pour la plupart lire et écrire, mais ils travaillent dans les champs des propriétaires terriens. De nombreux cousins de Raja Khan ont fini, au moins, leurs études secondaires.

Sa mère, son père, ses frères ainsi que sa femme et ses enfants vivent dans la pièce d’une maison partagée avec des proches. Dans la cour, des chèvres et des buffles sont loués contre la moitié du lait qu’ils produisent. Les pompes à eau dans la maison apportent de l’eau potable que la famille de Raja Khan appelle « le seul don de Dieu ». Il y a une télévision, une machine à laver le linge et des ventilateurs au plafond. Certains des résidents ont un téléphone portable. L’électricité fonctionne douze heures par jour.

« La pauvreté, c’est aussi une question de sentiment »

[image:6,s]Au Pakistan, la famille de Raja Khan est considérée appartenir à la classe moyenne inférieure. Et c’est parmi cette classe de population qu’on constate le plus de suicides, affirme Rehman.

« La pauvreté, c’est aussi une question de sentiment. Quelqu’un peut être pauvre et conscient de l’être. Cette conscience vient d’un certain niveau d’éducation et d’exposition à la vie urbaine. Raja Khan connaissait le Parlement. Un villageois ordinaire n’aurait même pas connu Islamabad et n’aurait pas eu les moyens de s’y rendre. Pour ce villageois, l’État c’est la police locale et le bienfaiteur économique, c’est le propriétaire. »

Najma Khan réalise qu’un emploi aurait pu sauver son mari. « Si le gouvernement lui avait donné un travail, même le plus ingrat, je ne serais pas veuve. »

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

 

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