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Vers une nouvelle « Route de la soie » ?

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[image:1,l] À Istanbul, mercredi 2 novembre, le président afghan, Hamid Karzaï, a demandé à la communauté internationale plus de solidarité et de coopération en faveur de son pays ravagé par la guerre. Pour lui, « la paix demeurera illusoire » tant que le terrorisme ne sera pas éradiqué en Afghanistan.


Cette conférence sur l’Afghanistan s’est ouverte par un appel de la Turquie à la « solidarité régionale ». Dans son discours, le président turc Abdullah Gül a déclaré que « pour restaurer la sécurité en Afghanistan, une solidarité régionale sincère est indispensable. »


Au cœur de l’Asie, du Bosphore à l’Himalaya, on assiste à une prise de conscience, apparemment réelle et assurément inédite : les pays de la région semblent commencer à se reconnaître une certaine communauté de destin. Depuis des décennies, pour ne pas dire depuis toujours, cette immensité géographique a constitué une sorte de zone grise en géopolitique, terrain de conflits successifs rendant absolument impossible toute forme de coopération durable, en dehors d’alliances militaires de circonstances. Si tout n’est pas réglé, loin de là, il semble qu’à l’exemple d’autres espaces régionaux, une volonté existe, ici aussi, de mieux coopérer.


« Sécurité et coopération au cœur de l’Asie »


[image:2,s]Sécurité, d’abord, et coopération pour l’établissement des conditions d’une sécurité durable. Cette conférence se tient alors que l’insurrection afghane multiplie ses attaques sur le terrain et risque de remettre en cause le calendrier de retrait des forces internationales, prévu d’ici à la fin de 2014.


Le président afghan Hamid Karzaï n’a pas dévoilé à Istanbul, comme prévu, la liste des districts et provinces afghans qui figureront dans la deuxième tranche du processus de transition, dans le cadre duquel les forces de l’Otan (Isaf) transmettent la responsabilité de la sécurité aux forces de sécurité afghanes. La première tranche de sept zones a été lancée en juillet. Le processus doit se terminer fin 2014, échéance à laquelle la coalition prévoit d’avoir retiré l’ensemble de ses troupes de combat.


Un préalable : l’entente afghano-pakistanaise


[image:3,s]Mardi, avant cette conférence, Karzaï et son homologue pakistanais Asif Ali Zardari se sont rencontrés à Istanbul, sous l’égide de la Turquie, qui s’est efforcée d’apaiser les tensions et différends entre les deux pays frontaliers. Leurs deux présidents ont décidé d’entamer une coopération pour élucider l’assassinat de l’ex-président afghan et négociateur de paix, Burhanuddin Rabbani, en septembre, qui a contribué à envenimer des relations bilatérales déjà tendues.
En dépit de ces points d’accord, le dialogue a buté sur d’autres. Le président Karzaï a posé l’invitation des talibans au dialogue, ainsi que l’arrêt du terrorisme dont ils sont responsables, comme deux conditions essentielles au maintien de la paix en Afghanistan. Le Pakistan, pour sa part, a nié la présence des talibans sur son territoire, et le président pakistanais a exprimé l’importance qu’il accordait à ce sommet pour parvenir à la paix.


Un processus d’Istanbul pour l’Afghanistan


« Aujourd’hui, nous annonçons le processus d’Istanbul, qui comprend un paquet global de mesures de confiance » vers une coopération multilatérale, a déclaré le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, accompagné de son homologue afghan Zalmai Rassoul, au terme de la conférence. Il s’agit d’aider l’Afghanistan dans plusieurs domaines, dont la sécurité, la reconstruction, la santé ou la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et les trafics, selon M. Davutoglu.


Treize pays participent à cette initiative inédite : Afghanistan, Chine, Inde, Iran, Kazakhstan, Kirghizistan, Pakistan, Russie, Arabie Saoudite, Tadjikistan, Turquie, Émirats arabes unis et Turkménistan.
Cette liste est impressionnante pour plusieurs raisons : au-delà de l’étendue géographique et du poids démographique de cet ensemble, il balaie, potentiellement, tous les équilibres géostratégiques du passé, ou presque. C’est une des premières fois que les trois grandes puissances asiatiques, Chine, Inde et Russie se retrouvent impliquées conjointement dans une initiative de ce type. L’Asie centrale est réunie par-delà l’ancienne frontière soviétique. Les considérations d’ordre religieuses sont dépassées.


Un processus parallèle à la conférence des donateurs


Si seuls des pays asiatiques y participent formellement, le processus a fait l’objet d’un large consensus parmi les 29 participants de la Conférence d’Istanbul. Treize autres pays, dont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne notamment, ainsi que plusieurs organisations internationales comme les Nations unies, l’Otan et l’Union européenne, soutiennent cette nouvelle initiative régionale.
Les absences de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, en raison du décès de sa mère, et du ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, retenu à Paris par les développements intervenus dans la crise de la dette de la zone euro, n’altèrent en rien le soutien des principaux membres de la coalition, principaux donateurs pour l’Afghanistan. Ceux-ci se retrouveront début décembre à Bonn, en Allemagne, l’occasion de célébrer les dix ans d’une autre conférence de Bonn lors de laquelle Hamid Karzaï avait été choisi comme président intérimaire, puis à Denver au printemps 2012. À leur tour, ils discuteront de l’avenir de l’Afghanistan, particulièrement après 2014.


Vers la réouverture de la mythique « Route de la soie » ?


Les enjeux du processus d’Istanbul pourraient largement dépasser le seul avenir de l’Afghanistan. Les ambitions pourraient s’étendre à l’ensemble du continent asiatique et aboutir à la constitution, à petits pas, d’un nouvel espace économique, d’un marché commun, voire, à terme d’une union sur le modèle de ce qui existe déjà en Europe bien évidemment mais aussi, à d’autres stades d’avancement, en Afrique ou sur le continent américain. Vaste programme pour doux rêveurs aujourd’hui encore… En revanche, il existe bien un projet, à la portée mondiale, dont la réalisation paraît bien moins utopique : rouvrir la « Route de la soie »


La « Route de la soie », un espace d’échanges historiques


Cette « Route de la soie » était un réseau de routes commerciales entre l’Asie et l’Europe, depuis Xi’an en Chine jusqu’à Antioche, en Syrie médiévale. Elle tient son nom de la plus précieuse marchandise transportée, la soie, dont seuls les Chinois connaissaient le secret de fabrication.
Cette expression est l’invention d’un géographe allemand du XIXe siècle, Ferdinand von Richthofen, mais elle décrit une réalité bien plus ancienne.


[image:4,s]Dès le paléolithique, il semblerait que la vaste zone qu’elle emprunte constituait un espace d’échanges. Les Grecs puis les Romains parlent, dès le IVe siècle avant Jésus-Christ du « pays des Seres » pour désigner la Chine. À Rome, au début de l’ère chrétienne, cette matière est très prisée. De nombreux autres produits voyageaient sur les mêmes routes : pierres, porcelaine, ambre, laque… et armes dans le sens ouest-est. Les marchandises s’échangeaient dans des oasis d’Asie centrale. Cette route, particulièrement périlleuse en raison de sa topographie, de son climat et de la présence – déjà – de peuples belliqueux, fut aussi la voie de diffusion des inventions chinoises : boussole, poudre à canon, papier-monnaie, imprimerie… Elle permit aussi la pénétration en Chine de religions étrangères comme le bouddhisme, le christianisme, le judaïsme et l’islam.
L’apogée de la « Route de la soie » correspond à l’époque de l’Empire byzantin à l’ouest, et celle des Trois royaumes de la dynastie Yuan en Chine.


C’est un des exemples les plus précoces d’intégration politique et culturelle, en dehors d’une structure impériale.


La nouvelle « Route de la soie », une ambition chinoise


La Chine, dont on connaît les moyens financiers et les ambitions de développement, est particulièrement active dans la réouverture de la « Route de la soie », ensemble de voies de transports terrestres reliant ses régions occidentales à l’Europe orientale, à travers le cœur de l’Asie.
[image:5,s]De nombreux tronçons, ou projets de tronçons, sont en cours de réalisation ou de définition.
Parmi ceux-ci, l’autoroute de 213 kilomètres entre Kashgar, dans le Xinjiang chinois, et Erkeshtam, au Kirghizistan, qui devrait entrer en service en septembre 2013. Pour un coût d’environ 500 millions, ce sera la première voie express à traverse le plateau du Pamir. Cette route pourrait alors rejoindre l’Europe en passant par le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Turkmenistan, l’Iran et la Turquie, voie de transit pour des convois de poids lourds. D’autres tracés sont envisagés en complément.


L’Afghanistan, le chemin le plus court


Un coup d’œil sur une carte le montre aisément : l’Afghanistan occupe une position stratégique dans cet espace. Une fois la paix et la sécurité garanties, le développement d’infrastructures modernes pourrait en faire un carrefour majeur au cœur du « cœur de l’Asie », tant sur l’axe est-ouest que sur l’axe nord-sud – de l’Asie centrale vers l’océan indien. Parmi les projets envisagés, une liaison ferroviaire – consacrée essentiellement au fret – allant de la région autonome Ouighour en Chine jusqu’à l’Iran.


Les entraves à la réalisation de cette ambition colossale demeurent considérables : la paix en Afghanistan, les tensions au Pakistan, le désordre au Kurdistan, les menaces de crise – voire de guerre – autour de l’Iran… Mais, puisque l’argent est là, la raison pourrait finir, lentement mais sûrement, par l’emporter. Le processus d’Istanbul devrait y contribuer.


 

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