Site icon La Revue Internationale

Abdelilah Benkirane, un Islamiste modéré au pouvoir

[image:1,l]« Je prie le Tout-Puissant de m’assister pour mener à bien la noble mission qu’il m’a confiée dans l’intérêt général, et d’être à la hauteur du serment que j’ai prêté aujourd’hui devant Sa Majesté » : ce sont les premiers mots d’Abdelilah Benkirane à sa sortie du Palais de Midelt où Mohammed VI vient de lui confier la lourde tâche de former le prochain gouvernement marocain. C’est la première fois qu’un Islamiste se retrouve dans cette position. Lors des élections du vendredi 25 novembre, le Parti de la Justice et du Développement, avec 107 sièges sur 395, est devenu le premier parti de la chambre basse du Parlement. En vertu des réformes constitutionnelles adoptées par référendum en juillet dernier, le roi n’avait pas d’autres alternatives. Un tournant historique pour le royaume chérifien. À plusieurs reprises, Abdelilah Benkirane s’est déclaré « monarchiste convaincu ». Mais, avant tout, même si, en fin stratège, il s’est toujours écarté des prises de position extrémistes, il est un Islamiste. Défiance des Islamistes à l’encontre du pouvoir royal, méfiance du pouvoir royal envers les Islamistes… de sa capacité à manœuvrer dans un contexte de cohabitation inédit, dépend, très largement, l’avenir du Maroc.

Longtemps, un Islamiste sans parti fixe

Né le 2 avril 1954, à Rabat, dans le quartier populaire d’Al Akkari, Abdelilah Benkirane est issu d’une famille soufie liée à l’Istiqlal. Pourtant, étudiant en physique, il rejoint, en 1976, la Chabiba Islamiya, la principale organisation islamiste clandestine fondée par Abdelkrim Moutii. Dans ses rangs, il combat avec violence les mouvements de gauche, très bien implantés sur les campus universitaires à l’époque. Le jeune militant est témoin de la bienveillance, peut-être même du soutien actif que le pouvoir marocain apporte aux Islamistes dans une lutte jugée salutaire. Entre deux maux, le roi Hassan choisit celui qu’il juge le « moins pire »…
En 1979, Benkirane obtient une licence de l’Université Mohammed V-Agdal puis devient professeur à l’École normale supérieure de l’enseignement technique de Rabat. En 1981, il fonde Al Jamaâ Al Islamiya qui, en 1992, devient officiellement Réforme et Renouveau.
Cette même année, il tente avec quelques amis de la confrérie de créer un véritable parti politique, le Parti du renouveau national. Mais, l’autorisation leur est refusée et ils se tournent alors vers le Parti de l’Istiqlal. Le parti de l’indépendance les accepte en son sein mais ils restent cantonnés à un rôle marginal.<!–jolstore–>

Le rassemblement d’une nébuleuse d’associations islamistes

[image:2,s]Par la suite, Abdelilah Benkirane rejoint Abdelkrim Al Khatib, premier chirurgien marocain formé en France, ancien médecin de Mohammed V mais aussi ancien ministre d’État et premier président de la chambre des représentants du parlement marocain, au sein de son Mouvement populaire démocratique constitutionnel (MPDC).
Mais auparavant, échaudé par l’expérience de l’Istiqlal, il réunit autour de lui une nébuleuse associative islamiste. Une « fusée » à plusieurs étages : d’abord, trois des principales associations islamistes deviennent la Ligue de l’avenir islamique, puis cette Ligue rejoint l’association Réforme et renouveau dans le Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) regroupant plus de 200 associations. Le MUR arrimé au MPDC donne naissance au Parti de la Justice et du développement (PJD)

Le rôle des autorités dans la création du PJD

Le Parti de la Justice et du Développement (PJD) est fondé en 1998 par Abdelkrim Al Khatib. C’est important pour comprendre les liens entre ce parti et le Palais – et, dans une certaine mesure, le sentiment qu’a développé Benkirane d’être un « monarchiste convaincu ». Al Khatib avait milité pour que le roi soit reconnu par la Constitution comme le commandeur des croyants et le principal chef religieux du pays.
Dès 1996, c’est le ministre de l’Intérieur Driss Basri qui est à l’origine du rapprochement entre le MPDC et le MUR – dont tous les membres ont renoncé à la violence qui caractérisait la Chabiba Islamiya. Cette stratégie permettait de donner au MUR une façade politique légale tout en évitant, pour l’État, le précédent de la création – et l’autorisation – d’un parti islamiste de toutes pièces. L’État comptait ainsi assurer l’ancrage du parti dans la communauté nationale autour du roi.

L’ascension de Benkrane au sein du PJD

Lors des élections de 1997, neuf membres du PJD deviennent députés, malgré des fraudes massives. Abdelilah Benkirane est élu à Salé, dans la circonscription de Salé médina. Le parti décline l’offre de participer au gouvernement.
En 2004, le parti élit un nouveau secrétaire général, le docteur Saâdeddine El Othmani. Quatre ans plus tard, alors que le parti est depuis un an le deuxième parti du parlement, le premier parti d’opposition – et a même remporté en nombre de voix les élections de 2007 -, c’est au tour d’Abdelilah Benkirane d’accéder à sa tête. Au sixième congrès, il obtient un score suffisant de 684 voix sur 1 628. Il est le nouveau secrétaire général du parti chargé de conduire le PJD un peu plus près du pouvoir.

La victoire d’un vieux routier de la politique

[image:3,s]La victoire aux élections du 25 novembre est la victoire d’un parti, d’un courant de pensée, mais aussi celle d’un vieux routier de la politique marocaine. Ayant expérimenté l’action clandestine et la violence avec la Chabiba Islamiya dans les années soixante-dix, il a rapidement choisi de s’en éloigner et s’est engagé dans un lent processus éminemment politique, en assurant les conditions de la constitution d’une vaste coalition islamique.
Le référentiel islamique n’a jamais été délaissé par Abdelilah Benkirane. Sa poussée progressive a permis de ne pas effrayer le pouvoir en place. Dès le dimanche suivant les élections, avant même sa nomination par Mohammed VI, Abdelilah Benkirane s’est employé à rassurer les Européens. Souvent critiqué pour ses propos hostiles à la laïcité, à la langue berbère et aux homosexuels, il a assuré que « l’Occident » n’avait rien à craindre de son parti. « On n’a pas besoin de le rassurer, il l’est déjà, a-t-il dit. L’essentiel de notre programme et de ceux qui vont gouverner avec nous aura deux axes : la démocratie et la bonne gouvernance. Les Marocains insistent pour garder leur monarchie, mais ils veulent qu’elle évolue avec eux », a-t-il ajouté.

Les Cassandre ne résisteront sans doute pas à y voir de la stratégie politique, et lui prêteront sans doute d’autres ambitions plus radicales. La radicalité, Abdelilah Benkirane en a éprouvé les limites dans les années 70.

Quitter la version mobile