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Attentats anti-chiites : vers une violence confessionnelle?

[image:1,l]Depuis l’attentat contre l’Ambassade d’Inde à Kaboul en juillet 2008, et ses 60 morts, l’Afghanistan n’avait pas connu journée aussi sanglante.
Mardi 6 décembre, au moins 59 personnes ont péri dans deux attentats : à Kaboul, un kamikaze s’est fait exploser au passage d’une procession chiite, tuant 55 personnes, dont des enfants, et en en blessant au moins 134 ; quasi simultanément, à Mazar-i-Sharif, au nord du pays, c’est un vélo piégé qui a explosé au passage de fidèles chiites se rendant au principal sanctuaire de cette ville, faisant 4 tués et autant de blessés.

Devant la gravité des faits, le président Karzaï, attendu à Londres au lendemain de la conférence de Bonn sur l’Afghanistan, a regagné en urgence sa capitale.

Des attaques le jour de l’Achoura, une des fêtes les plus sacrées pour les Chiites

L’Achoura, dont les dix jours de célébrations culminaient mardi, commémore le martyre de l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet et troisième imam du chiisme, tué en 680 par les troupes du calife omeyyade Yazid à Kerbala, dans l’actuel Irak.

L’Afghanistan a été épargnée, jusque-là, par les violences confessionnelles.

Chaque année, le jour de la fête de l’Achoura, l’Irak connaît une recrudescence de la violence visant spécifiquement les Chiites. Ce mardi, des attaques à Bagdad, Hilla et Latifiyah auraient fait au moins 29 morts et près de 80 blessés. De même, les attaques anti-chiites sont fréquentes au Pakistan.
Mais, si l’Afghanistan est en guerre depuis trente ans, le pays semblait, jusque-là, épargné par les violences confessionnelles : « C’est la première fois, qu’à l’occasion d’une fête religieuse aussi importante en Afghanistan, un acte terroriste aussi horrible a lieu », a réagi le président Hamid Karzaï depuis l’Allemagne.
La nature confessionnelle de ces attaques n’est pas encore prouvée. En effet, à Mazar-i-Sharif, le vaste mausolée recouvert de faïence bleue, symbole de la ville et près duquel l’attentat a eu lieu, rassemble aussi bien les Chiites que les Sunnites. Toutefois, il est réputé avoir été élevé sur la tombe d’Ali, considéré par les Chiites comme le premier imam et le successeur de Mahomet.
Les coïncidences sont troublantes.

Les Talibans, qui ont longtemps persécuté les Chiites, plaident non coupables

Auteurs revendiqués de la plupart des attentats suicides en Afghanistan depuis dix ans, les insurgés talibans, Sunnites radicaux qui considèrent les Chiites comme des hérétiques et les empêchaient de facto de célébrer leurs fêtes quand ils étaient au pouvoir de 1996 à 2001, ont « condamné » les deux attentats les qualifiant de « contraire à l’islam ».
« Mort aux Talibans, mort à Al-Qaïda », scandaient les fidèles chiites sur les lieux.
Si, malgré leurs dénégations, la responsabilité des Talibans était prouvée, ce serait un développement grave, dangereux et troublant, nourrissant encore davantage les craintes d’une guerre civile, et une augmentation des violences, après le départ des troupes étrangère d’ici à la fin de 2014.

Une rivalité ancestrale entre Sunnites et Chiites nourrit toutes sortes de suspicions

La tradition sunnite est très ancrée en Afghanistan et le pays ne compte 20 % de Chiites. Ceux-ci, en grande partie issus de la minorité ethnique Hazara, ont été victimes de nombreuses exactions, méprisés, opprimés, sous le régime des Talibans.
La rivalité entre ces deux branches de l’Islam remonte à la succession du prophète Mahomet en 632. Les Chiites reconnaissent Ali comme descendant quand les sunnites ne le considèrent que comme le quatrième calife. Depuis la révolution iranienne de 1979 et l’instauration d’un régime théocratique chiite, Téhéran est accusé de chercher à s’étendre son influence à travers le développement du chiisme dans les pays de la région. L’invasion américaine de l’Irak en avril 2003 et la chute du régime baathiste de Saddam Hussein ont permis l’émergence stratégique de ce courant, majoritaire en Iran, en Irak ou au Bahreïn, minoritaire en Afghanistan, en Arabie Saoudite ou au Liban. Les Chiites sont désormais soupçonnés de faire passer les intérêts de l’Iran avant ceux des pays dans lesquels ils vivent.

Alors que, mercredi 7 décembre au matin, les Chiites afghans enterraient leurs coreligionnaires, des soupçons se portaient sur des groupes extrémistes pakistanais. Un facteur de risque supplémentaire dans la poudrière régionale.

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