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Ce que veut vraiment la population iranienne

[image:1,l]La mise à sac de l’ambassade britannique, une mise en scène grossière


À la différence de la prise d’otages de l’Ambassade américaine, conduite par des étudiants il y a maintenant plus de trente ans, en 1979, cette attaque de l’ambassade britannique apparaissait, de toute évidence, orchestrée de toutes pièces et elle a échoué en n’ayant pas eu le retentissement qu’elle était, sans aucun doute, censée avoir.
En toute évidence, elle a été l’œuvre de voyous recrutés pour tenir un rôle, jouer une pièce, sorte de reconstitution rituelle du martyre d’Hussein, remplie d’un symbolisme qui a perdu sa signification au fil du temps et ne suscite une certaine forme de nostalgie que dans certains cercles restreints, très musulmans. Personne, parmi cette foule, ne ressemblait à un étudiant, ne pouvait se faire passer pour un étudiant. Pas un seul de mes contacts en Iran ne m’a affirmé croire qu’il s’agissait effectivement d’étudiants. Selon tous les témoignages, ces individus étaient du même genre que ceux qui ont attaqué les vrais étudiants durant la contestation qui a suivi l’élection présidentielle en juin 2009.


Un épisode sans comparaison avec la prise otage à l’ambassade américaine en 1979


[image:3,s]L’image de cette foule, saccageant et pillant l’ambassade britannique, sous le regard d’une police impassible, a mis en lumière l’hypocrisie du régime. Malgré tout le symbolisme qu’elle s’efforçait de mobiliser, elle n’a réussi à susciter aucunes formes de sentiments nationalistes ou anti-impérialistes, comparables à ceux ressentis en 1979. Cette année-là, nous avons renversé le Shah soutenu par les États-Unis, pris par surprise l’Ambassade et retenu des Américains en otage.
À l’époque, nous étions maîtres de notre propre pays depuis plus de trente ans.


La tyrannie « maison » est bien pire que « l’influence étrangère »


Aujourd’hui, les Islamistes qui nous gouvernent nous soumettent à un tel régime de fer, où népotisme et brigandage sont la règle et leur arrogance est telle que « le pantin américain », que nous étions si déterminés à rejeter, apparaît désormais comme une bien meilleure option. De mon point de vue, une large portion de l’opposition, si ce n’est la majorité des Iraniens, partage cet état d’esprit post-islamiste. Nous avons essayé le régime islamiste et nous avons appris à le mépriser. Même si nous avons été trompés par l’Occident – comme, par exemple, lors du coup d’État, soutenu par la CIA, contre le Premier ministre Mohammad Mosaddegh en 1953 -, nous avons avalé notre rancune. Les trente dernières années nous ont sans doute appris que, parfois, la tyrannie « maison » est bien pire que « l’influence étrangère ».


Pour la nouvelle génération d’Iraniens, l’Occident n’est plus l’ennemi


Pour comprendre la nouvelle génération d’Iraniens et ce nouveau sentiment à l’égard de l’Ouest, il faut avoir recours à la grille de lecture de la gauche traditionnelle, une perspective bien-pensante que beaucoup d’entre nous, ceux ayant participé à la Révolution de 1979, trouvent difficile à tolérer. Mais les Iraniens post-islamistes ne considèrent plus l’Ouest ou les Américains comme leurs ennemis. Forcés de « sur-jouer » leur anti-américanisme et leur antisionisme pendant si longtemps, ils se sont mis à aimer Israël et les États-Unis.


En nous débarrassant des impérialistes il y a trente ans, nous avons perdu notre liberté.


Voyez-vous, lorsque nous nous sommes débarrassés des impérialistes et de leurs marionnettes, nous avons, par la même occasion, perdu l’essentiel de nos libertés. Notre libération de « l’impérialisme » s’est accompagnée de la perte de notre pleine citoyenneté. Nous pouvions toujours voter et occuper des postes officiels, mais nous avons dû couvrir nos têtes en vertu de la charia, ou loi islamique. Nous nous sommes débarrassés des « impérialistes », mais nous n’étions plus autorisés à chanter, boire une bière, ou avoir un petit ami. La moindre transgression nous valait une punition, littéralement.


La république islamique : trente ans de calvaire pour les femmes iraniennes


Peut-être faut-il être une femme pour pleinement ressentir cela. Vous devez véritablement être forcée de couvrir vos cheveux, tous les jours avant de sortir, pour comprendre à quel point cela peut être humiliant et dégradant. Mais, ce ne fut pas tout : il nous a aussi fallu regarder nos enfants se faire assassiner, d’abord dans une guerre contre l’Irak qui aurait pu être interrompue bien plus tôt, puis lors des exécutions de masse des militants de gauche dans les années quatre-vingt, et après les élections de juin 2009.


Ils nous ont privés de liberté : nos extrémistes sont diaboliques


[image:4,s]Où est la souveraineté que nous devions gagner ? Et à quel prix ? Et pour qui ? Certainement pas pour nous les femmes, ni pour les minorités, ni pour les homosexuels, ni pour les athées. Au cours d’une agonie de trois décennies, nous avons réalisé que le pire de tous les diables n’était pas l’Ouest, mais nos propres extrémistes, et en particulier nos hommes islamistes.


Notre engouement pour l’Occident n’a rien d’angélique


Maintenant, nous trouvons des universitaires iraniens américains, prétendant incarner l’intelligentsia de l’opposition et se considérant de gauche, qui prétendent, en voulant nous faire la leçon, que « les préoccupations humanitaires » des États-Unis et de l’Occident ne sont pas seulement motivées par des préoccupations humanitaires. Comme si nous ne le savions pas…


Nous sommes lucides quant aux velléités d’intervention et aux tentations impérialistes des Occidentaux, mais, franchement, nous préférons cela à nos dirigeants islamistes. Appelez-moi ce que vous voulez – ou pire, traitez-moi de néo-conservatrice – mais j’exprime la colère croissante de nombreux Iraniens, qui en ont assez de la rhétorique vide de cette gauche bien-pensante qui refuse de produire une nouvelle grille de lecture pour le monde post-impérialiste et n’a aucune idée quant à la manière de répondre à notre engouement post-islamiste pour l’Occident.


Assez de promesses : la liberté !


Nous, les Iraniens, endurcis par la révolution et la guerre, nous voulons des emplois, de nouvelles opportunités, et la plus essentielle des libertés, celle de faire ce que nous voulons de notre existence. Les promesses utopiques des Islamistes, comme celle des anti-impérialistes nous ont laissé exsangues. Aucune posture idéologique ne satisfera notre besoin de respirer l’air frais de la liberté au jour le jour, cette liberté que respire Tarantino.


Je sais que ce point de vue me vaudra d’être attaquée, et je souhaiterais donc être bien claire : je n’ai aucun moyen de réaliser des sondages en Iran. Mais, vous non plus. C’est mon sentiment, mon analyse de l’émergence d’une nouvelle sensibilité au sein de la société iranienne, un nouvel « éthos ». Ce sentiment se fonde sur le suivi attentif et permanent des événements depuis plus de trente ans, sur mon expérience de vie là-bas, tant dans la République islamique que dans l’Iran du Shah. Jusqu’à ce que quelqu’un ne dispose d’un moyen pour collecter des données précises en Iran, alors mon opinion demeure mon opinion.


Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur


[image:2,s]Née à Téhéran et éduquée à Boston, Setareh Sabety est une auteure iranienne-américaine. Ses poèmes et ses essais ont été largement publiés sur Internet et dans différentes collections chez Haughton Mifflin et Double Day Press. Elle écrit notamment pour le Huffington Post et tient une chronique régulière, Kobra Khanoon, sur Iranian.com.


Cet article a été publié en anglais par le Tehran Bureau sur le site de PBS.

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