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Contesté, Poutine change de stratégie

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Les Russes s’attaquent à Poutine l’invulnérable

Ce n’était pas prévu ainsi. Jusqu’à récemment, Vladimir Poutine avançait, confiant, triomphant dans les sondages du scrutin présidentiel, organisé le 4 mars prochain.

[image:5,s] Puis soudain, le week-end dernier, tout a basculé. Des millions de votants se sont soulevés contre le parti de Poutine et Medvedev, Russie Unie, lors des législatives organisées le 4 décembre. Des rumeurs de fraudes électorales ont circulé et les autorités russes, paniquées, ont du mal à contenir les vagues de manifestations qui persistent dans les rues de Moscou et de plusieurs autres villes.

Les ambitions de l’invincible homme fort de la Russie sont désormais moins naïves.

« En quelques jours seulement, la situation a radicalement changé » déclare Mikhail Kasyanov, codirigeant du Parti de la Liberté du Peuple. « Les arrestations et violences contre les manifestants pacifiques, qui protestent contre une évidente fraude électorale, illustrent qu’il n’en tire pas de leçon. Cela ne va qu’enflammer la rancœur des Russes. Nous sommes les témoins de la première faille dans le mur, le début de la fin pour le régime de Poutine. » Mikhail Kazyanov a été le Premier ministre de Vladimir Poutine lors de son premier mandat présidentiel, il y a dix ans.

Large mobilisation de la population contre la fraude électorale

[image:3,s]Lors des élections pour la Douma, Russie Unie a perdu son ancienne majorité de deux tiers. Le soir même, les réseaux sociaux se sont activés autour des fraudes électorales, alimentées par des centaines de récits de témoins oculaires, de vidéos et de photos prises avec des téléphones portables.

Lors d’une conférence de presse à Moscou, un groupe de partis d’opposition révélait leur propre enquête sur plus d’une centaine de bureaux de vote, déclarant que le parti de Poutine n’aurait dû recueillir qu’un tiers de voix. Russie Unie aurait même pu être distancé par le Parti Communiste, que les résultats officiels n’ont crédité que de 19,2 %.

Le soir des élections, environ 10 000 Moscovites, convoqués via les réseaux sociaux, ont soudain convergé vers une station de métro du centre-ville, scandant des slogans anti-Poutine et dénonçant la « sale victoire » de Russie Unie. Les troupes anti-émeutes, lourdement armées, ont bloqué l’accès du Kremlin et 300 manifestants ont été arrêtés.

Dans les jours qui ont suivi, plusieurs flash mobs se sont déroulés dans les centres-ville de Moscou, Saint-Pétersbourg, Samara et Rostov sur le Don, manifestants contre la fraude électorale présumée. Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées. Le gouvernement ne semble d’ailleurs pas avoir d’autre plan pour arrêter le mouvement.

Poutine doit changer de tactique

« Poutine considère que cette situation est vraiment dangereuse » déclare Sergei Markov, un ancien député de Russie Unie et conseiller occasionnel pour le Kremlin. Sergei Markhov a subitement quitté Russie Unie après les élections mais il déclare qu’il soutiendra Poutine pendant sa campagne présidentielle.

Dans le cercle de Poutine « il y a de nombreux débats sur le comportement à adopter. Il est clair, pour Poutine, qu’il doit rénover ses méthodes, et attirer les gens différemment. Le travail est en cours. »

Jusqu’à présent, la réponse de Poutine a été double.

Se détacher de Russie Unie

[image:2,s]Comme Sergei Markov, il veut restaurer Russie Unie, un véhicule politique qui a été synonyme de Poutine depuis ses dix dernières années d’existence.

La semaine dernière, le candidat Poutine a déposé sa candidature en tant que représentant du Front Civique Unifié, un large mouvement d’organisations publiques et bien connu de ses partisans, qu’il a mis en place au printemps dernier, après que des sondages ont révélé une désaffection croissante du public à Russie Unie. L’été dernier, un sondage montrait qu’un tiers des Russes déclaraient identifier Russie Unie à l’expression « parti de voyous et de voleurs », alors que 20 % seulement déclaraient qu’ils croyaient en une force « qui fonctionne pour le bénéfice de la société. »

« Ce n’est pas une coïncidence si Poutine a laissé tomber Russie Unie, réorganisé sa campagne et nommé Stanislav Govorukhin, un célèbre réalisateur de films, comme directeur de campagne » déclare Andrei Piontkovsky, un expert de l’Institut des Systèmes d’Analyses à Moscou. « Le fait est que Russie Unie traîne une image de manipulateur et de fraudeur. Poutine ne veut pas être associé à cette image. »

Jouer avec la xénophobie des Russes

La deuxième réaction de Poutine a été de fustiger les étrangers lors de la semaine d’arrestations dans les rues de Moscou et de plusieurs autres grandes villes russes. Selon certains experts, cela permettrait de jouer le jeu des instincts xénophobes d’une vaste partie de la population russe. Cela reflète aussi les peurs de Poutine de voir une « révolution colorée » similaire au mouvement anti-Moscou qui avait animé les anciens pays soviétiques tels que la Géorgie, l’Ukraine et le Kirghizistan pendant son premier mandat.

Lors d’un meeting, la semaine dernière, Vladimir Poutine déclarait que la critique des élections russes par la secrétaire d’État Hillary Clinton avait envoyé un « signal » aux agitateurs pro-américains pour aller dans la rue.

Selon lui, les chefs de la protestation opèrent « en accord avec un scénario bien connu et dans leur seul intérêt politique. […] il est inacceptable que de l’argent étranger soit injecté dans le processus électoral. Nous devrions penser à des formes de défense de notre souveraineté, la défense de toute ingérence de l’étranger » ajoutait-il.

Les dirigeants politiques de l’opposition nient, avec véhémence, toute relation avec l’étranger. Il est vrai, cependant, que certaines ONG, comme Golos, une organisation de contrôle des élections, reçoivent des fonds de fondations internationales et des agences gouvernementales.

Qui peut battre Poutine ?

[image:4,s]« Ce que nous voyons maintenant, c’est Poutine le démagogue, le populiste » déclare Yury Korguniuk, un expert de la Fondation InDem, un think-tank indépendant de Moscou. « Il comprend comme il peut être utile de blâmer l’ennemi étranger. C’est aussi un avertissement. Les manifestants s’exposent à des sanctions beaucoup plus sévères s’ils continuent à défiler dans les rues. »

Certains experts affirment que la popularité publique de Poutine reste forte et se sépare de Russie Unie en se réinventant un attrait politique, il peut toujours gagner les élections, haut la main, en mars prochain.

« Le facteur Poutine reste la caractéristique la plus importante dans la politique russe ; il a été le moteur des premiers succès électoraux de Russie Unie » déclare Alexei Pushkov, une personnalité importante de la télévision russe et président du Conseil des Priorités Stratégiques, un autre think-tank indépendant à Moscou.

« Il n’y a, actuellement, aucun membre de l’opposition qui pourrait l’affronter. Mais il doit renouveler sa base politique en plaçant de nouvelles personnes à la barre, en s’engageant contre la corruption, contre la bureaucratie et en plaidant pour une nouvelle justice sociale. C’est ce qu’attend désormais le public. »

Le troisième mandat de trop

Mais d’autres prétendent qu’à partir du moment où Poutine a décidé d’épauler le président Dmitri Medvedev afin de chercher un troisième mandat en tant que leader suprême, il s’est placé dans une position de collision avec le public.

« Beaucoup de personnes croyaient en l’altruisme et dans le désintérêt de Poutine » déclare Gleb Pavlovsky, directeur de la Fondation pour une Politique Efficace à Moscou et stratège du Kremlin lors des deux premiers mandats de Poutine.

« Mais lorsqu’il a annoncé qu’il se représentait pour un troisième mandat, il a perdu son invulnérabilité et son charisme. »

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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