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Crise diplomatique ouverte autour du génocide arménien

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[image:1,l]L’indignation de la Turquie n’a rien changé. Dans un hémicycle aux rangs clairsemés, les députés français ont adopté, jeudi 22 décembre, à une large majorité la proposition de loi UMP visant à pénaliser la négation des génocides, dont celui des Arméniens en 1915. Le vote s’est produit dans un contexte tendu. Les responsables français, de la majorité comme de l’opposition, ont insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une « loi contre la Turquie ».


La France transpose une directive européenne sur la pénalisation du négationnisme


[image:4,s]L’article 1er de la proposition de loi adoptée, introduit un nouvel article dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Selon celui-ci, les peines prévues pour la négation des crimes contre l’humanité « sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé de façon outrancière (…) l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide définis à l’article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française ». Ces peines sont un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
À l’ouverture des débats, le gouvernement français, par l’intermédiaire de Patrick Ollier, ministre des Relations avec le Parlement, a cherché à minimiser la portée du texte : « Il ne s’agit pas d’un texte de loi mémorielle, il s’agit d’un texte de coordination juridique qui tire les conséquences d’un vide dans notre droit », a-t-il dit. C’est la transposition d’une directive européenne.


La conséquence : la pénalisation de facto de la négation du génocide arménien


Jusqu’à présent, seule la négation du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale était punie par la loi. Pénaliser la négation du génocide revient, de fait, à pénaliser le génocide arménien, puisque, en janvier 2001, la France a voté une loi affirmant qu’elle « reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Le texte doit maintenant passer devant le Sénat.


La France n’est pas la seule à reconnaître le génocide arménien


Auparavant, le Parlement européen avait fait de même le 18 juin 1987. La Grèce, aux relations conflictuelles avec la Turquie, a toujours parlé de « génocide » décrétant en 1996, le 24 avril « Jour de la mémoire du génocide des Arméniens par le régime turc ».
Parmi les pays ou parlements ayant reconnu le génocide arménien, figurent l’Uruguay (1965), la Douma russe (1994), le sénat belge (1998), le Conseil national suisse, chambre basse du parlement (2003), la Chambre des Communes canadienne (2004), le sénat argentin (2005) et le parlement suédois (2010).
D’autre part, en mars 2010, une Commission du Congrès américain a reconnu le « génocide » des Arméniens sous l’Empire ottoman.


La Turquie nie l’extermination des Arméniens : les faits historiques


Des affrontements meurtriers avec les Turcs ont commencé à la fin du XIXe siècle, faisant 200 000 morts entre 1894 et 1909, selon des sources arméniennes.
[image:3,s]En octobre 1914, l’Empire ottoman entre dans la Première Guerre mondiale, aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Le 24 avril 1915, des milliers d’Arméniens, soupçonnés de sentiments nationaux hostiles au gouvernement central, sont arrêtés. Le 26 mai, une loi spéciale autorise les déportations « pour des raisons de sécurité intérieure ».
La population arménienne d’Anatolie et de Cilicie, appelée « l’ennemi intérieur », est contrainte à l’exil vers les déserts de Mésopotamie. Un grand nombre d’Arméniens sont tués en chemin ou dans des camps. L’Empire ottoman sera démantelé en 1920, deux ans après la création d’un État indépendant arménien en mai 1918.
 
La Turquie reconnaît aujourd’hui que jusqu’à 500 000 Arméniens sont morts pendant des combats et leur déportation forcée vers l’Irak, la Syrie et le Liban, alors provinces ottomanes, et non par une volonté d’extermination.  
Pour Ankara, ces morts sont des «victimes collatérales des aléas du premier conflit mondial» et des dizaines de milliers de Turcs ont été tués par les Arméniens.


De l’expression d’un désaccord aux menaces et à la crise diplomatique ouverte


D’abord, la Turquie s’est indignée. Samedi 17 décembre, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a invité la France à revisiter son propre passé colonial plutôt que le passé ottoman de la Turquie. « Ceux qui veulent étudier un génocide feraient mieux de se retourner sur leur passé et de se pencher sur leur propre histoire, sale et sanglante, a-t-il dit. Si l’Assemblée nationale française veut s’intéresser à l’Histoire, qu’elle prenne la peine de s’enquérir des événements en Afrique, au Rwanda et en Algérie ». Erdogan a envoyé une lettre au président français Nicolas Sarkozy, lui demandant de faire obstacle au texte, menaçant sinon de conséquences « irréparables » sur les relations bilatérales.


[image:2,s]Dimanche 18 décembre, le patron de la puissante Union des Chambres de commerce et des Bourses de Turquie (TOBB), Rifat Hisarciklioglu, a déclaré que l’adoption éventuelle du texte provoquerait des « dégâts majeurs » dans les relations commerciales franco-turques. Mercredi 21 décembre, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a reçu une délégation de parlementaires turcs. Jeudi 22 décembre, quelques heures avant le vote, plusieurs milliers de Turcs ont manifesté aux abords de l’Assemblée nationale à Paris.


 


Dès le vote acquis, la Turquie a annoncé le rappel de son ambassadeur en France. La crise diplomatique est ouverte

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