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Faut-il avoir peur des Salafistes ?

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[image:1,l]Alors que, devant les caméras du monde entier, quelques milliers de manifestants, pour l’essentiel laïques et libéraux, continuaient à arpenter le pavé de la place Tahrir du Caire, symbole de la chute du régime d’Hosni Moubarak, les Égyptiens commençaient à voter lundi 28 novembre. Si le processus électoral doit se poursuivre jusqu’au début du mois de janvier, les premiers résultats, ceux du premier tour dans un tiers des gouvernorats, dont Le Caire et Alexandrie, ont été rendus publics dimanche 4 décembre. Des résultats pas vraiment conformes avec les slogans entendus du côté de la place de la libération. Des résultats inquiétants qui, plus que jamais, font craindre qu’au « printemps de la liberté » ne succède un « automne islamiste »

Les premiers résultats officiels de la première phase du scrutin

Le mode de scrutin en Égypte est particulièrement compliqué. Certains députés sont élus à la proportionnelle, sur des listes, et d’autres au scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Ces résultats, fournis par la Haute commission électorale (HCE), concernent le premier tour dans 9 des 27 gouvernorats, soit 17 millions d’électeurs.

Parti de la Liberté et de la Justice (Frères musulmans – Islamistes) : 36,62 %
Al-Nour (Salafistes – Islamistes) : 24,36 %
Wassat (Islamistes) : 4,27 %

Bloc Égyptien (Libéraux) : 13,30 %

Les résultats en sièges ne seront connus que le 13 janvier 2012.

Sans surprise, les Frères musulmans sont en tête

Les Frères musulmans ont incarné l’opposition au régime d’Hosni Moubarak, ils s’en trouvent récompensés. Pendant des années, ils ont été arrêtés, emprisonnés, condamnés par la justice à la main du pouvoir militaire. Par ailleurs, ils se sont posés en défenseurs des plus défavorisés et ont mis en place des structures d’aide sociale particulièrement efficaces – suppléant souvent l’absence totale de service public.
Pendant la campagne, les candidats de leur parti, le Parti de la Liberté et de la Justice, n’ont cessé de se proclamer « modérés ». Si leur victoire était attendue, l’ampleur de celle-ci, a fortiori dans les grands centres urbains du Caire et d’Alexandrie, dépasse les estimations pré-électorales.

Une percée inattendue des fondamentalistes salafistes

[image:2,s]La véritable surprise de ce scrutin est la percée inattendue des Salafistes, les Islamistes fondamentalistes, dont le parti Al-Nour – la lumière, en arabe – n’a été fondé qu’après le soulèvement populaire de janvier-février, à Alexandrie. Crédités dans les sondages de 5 à 10 %, leurs candidats déjouent tous les pronostics et frôlent les 25 %.

Un résultat d’autant plus surprenant que les Salafistes n’ont pas d’antériorité politique. Contrairement aux Frères musulmans, qui représentent la plus ancienne organisation panislamiste sunnite, les Salafistes ne constituaient pas une force d’opposition politique sous Hosni Moubarak. Leur champ d’action était strictement religieux.

Qui sont les Salafistes ?

« Salafisme » vient du mot arabe salaf, « prédécesseur » ou « ancêtre », qui désigne les compagnons du prophète de l’Islam Mahomet et les deux générations qui leur succèdent.
Le Salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l’Islam des origines, fondé sur le Coran et la Sunna. Toutes ses mouvances affirment constituer la continuation sans changement de l’Islam des premiers siècles. Ils rejettent tout ce qu’ils perçoivent comme des interprétations humaines postérieures à la révélation de Mahomet.
Le principal théoricien du mouvement est Mohammed ibn Abdel-Wahhab, dont la doctrine a également donné naissance au wahhabisme, un courant légèrement différent, qui est aujourd’hui en vigueur dans le royaume ultraconservateur d’Arabie saoudite.
Les Salafistes souhaitent une application stricte de la charia, veulent renforcer l’éducation religieuse et réclament le port d’une longue barbe et de l’habit traditionnel pour les hommes, celui du niqab pour les femmes. Ils s’opposent par ailleurs à la mixité, à l’accès des femmes à l’espace politique ou professionnel ainsi qu’à la consommation d’alcool.
Les Salafistes refusent, de plus, toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité, accusées de corrompre la foi musulmane.

Frères musulmans + Salafistes = 60 % : vers une alliance ou une confrontation ?

Les Frères musulmans incarnaient, jusqu’à ces élections, l’opposition officielle et les Salafistes, l’opposition informelle.
Les Frères musulmans prônent une fusion du politique et du religieux tandis que, jusque-là, les Salafistes rejetaient certaines des conceptions politiques occidentales islamisées par les Frères : la formation de partis ou de structures organisationnelles, la participation aux élections, l’accès des femmes à l’espace politique ou professionnel.
En participant à ces élections, les Salafistes y ont renoncé : par opportunisme dans le but de peser sur le pouvoir, voire de le conquérir, ou par conviction ?

Dant tous les cas, si les bons scores du parti salafiste se confirment, il occupera une place non-négligeable à l’Assemblée. Ces derniers devront donc entamer des négociations avec différentes forces politiques. Les Frères musulmans ont déjà fait savoir qu’une alliance avec les Salafistes était « prématurée et le fruit d’une spéculation des médias ». Pour un parti qui compte accéder au pouvoir, faire le choix de la seule alliance avec les fondamentalistes pourrait se révéler suicidaire et ils ont donc tout intérêt à chercher un accord avec les libéraux et laïcs du Bloc égyptien.
Les Frères musulmans se méfient des Salafistes et cela d’autant plus que de nombreuses circonscriptions au scrutin majoritaire, Frères musulmans et Salafistes se retrouvent face à face au 2e tour.

Vers un automne islamiste ?

Les trois partis islamistes obtiennent sur ces premiers résultats près de 65 % des suffrages. Cette percée, si elle se confirme, est sans commune mesure avec celles observées en Tunisie et au Maroc. Dans ces deux derniers pays, Ennahda et le Parti de la Justice et du Développement sont des partis islamistes qui se déclarent « modérés » et s’apprêtent à diriger les gouvernements en coalition des mouvements libéraux et laïcs. De plus, si les fondamentalistes, de type salafiste, existent en Tunisie comme au Maroc, ils n’ont pas réalisé, jusque-là, de percée électorale. À terme, leur audience pourrait croître et ils pourraient constituer une menace réelle mais ce n’est pas encore le cas.
Ceci dit, « modérés » ou « fondamentalistes », les Islamistes restent des Islamistes et leur influence se fera sentir sur la société égyptienne, comme en Tunisie ou au Maroc. Reste à savoir dans quelle mesure…

Les Coptes d’Égypte craignent pour leur avenir

[image:3,s]Les Coptes sont 6 à 8 millions dans le pays et constituent la plus grande communauté chrétienne d’Orient. Ils s’estiment de longue date victimes de discriminations. Récemment encore, ils ont été la cible d’attaques meurtrières. En octobre, notamment, au Caire, 25 d’entre eux avaient été tués lors de manifestations suivant l’incendie d’une de leurs églises dans le sud du pays. Dans leur majorité, ils refusent d’établir une distinction entre Frères musulmans et Salafistes. Ils soutiennent les libéraux et commencent même à regretter le départ de Moubarak.

Israël s’inquiète d’un possible bouleversement stratégique

La montée des Islamistes suscite l’inquiétude des Israéliens. Les scores importants remportés aux législatives partielles par les Frères musulmans et les Salafistes font à présent ouvertement craindre par Israël l’installation au Caire d’un gouvernement hostile, susceptible de remettre en cause le traité de paix en vigueur depuis 1978 entre les deux pays.
Dans les scénarios les plus pessimistes, l’arrivée des islamistes à la tête de l’Égypte pourrait déboucher sur un bouleversement stratégique de la même ampleur que la chute du shah d’Iran en 1979, qui avait transformé un allié régional d’Israël en l’un de ses plus farouches ennemis.
Les Frères musulmans n’ont jusqu’à présent pas publiquement remis en cause le traité de paix avec Israël. Les Salafistes sont restés silencieux sur la question.

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Que fera l’armée au terme de ce long processus électoral ?

Ce n’est que le 13 janvier que seront connus les noms des 498 membres de l’Assemblée du peuple, et donc le rapport de force définitif entre les différentes formations politiques. Prochaines étapes du vote : le 14 décembre et le 3 janvier.

Les membres de l’Assemblée ne constitueront qu’une partie des membres de la Constituante, chargée de doter le pays de nouvelles institutions. Le Conseil Supérieur des Forces Armées a décidé de faire partie à 80 % des membres de cette constituante, et le dernier mot reviendra donc à l’armée. Mais, face à une telle légitimité démocratique, la situation s’annonce d’ores et déjà bien périlleuse.

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