Site icon La Revue Internationale

La révolution en Égypte : entre espoir et désespoir

[image:1,l]


La révolution égyptienne a deux faces. Deux événements de ces dernières 24 heures viennent de prouver que les Égyptiens sont au milieu du gué, entre espoir et désespoir.


Scènes de désespoir place Tahrir


La première scène se déroule place Tahrir. Les récents affrontements ont redoublé de violence et ont fait neuf morts. Plus de 300 personnes ont été blessées samedi 17 décembre. En fin de journée, les rues du Caire, adjacentes à la place, étaient recouvertes de pierres, de bris de verre et des corps, blessés, des manifestants. On entendait encore l’écho des balles. Des cocktails Molotov incendiaient un bâtiment parlementaire.


[image:4,s]Les affrontements ont éclaté entre la police militaire et un groupe de manifestants. La police aurait employé des moyens brutaux afin d’interrompre un rassemblement pacifique devant les bureaux du cabinet avant de brûler les tentes qu’ils avaient installées.


« Regardez-les ! Ce sont des brutes et ils croient qu’ils peuvent nous voler la révolution, mais ils n’y arriveront pas ! » explique Ahmed Wajdy, 30 ans, analyste financier, présent place Tahrir, vendredi 16 décembre. Il révèle que les forces de sécurité se sont installées sur le toit du bâtiment parlementaire afin de lancer des pierres sur les manifestants.


Des dizaines de manifestants blessés, certains avec des entailles profondes dans la tête, à cause des jets de pierres, ont été évacués, en hâte, de la place Tahrir, par des motos. D’autres émeutiers ont utilisé de la tôle ondulée pour se protéger. Quelques vendeurs distribuaient des casques de construction en plastique, d’autres se protégeaient uniquement grâce à leur foulard et envoyaient, à leur tour, des pierres contre les forces de l’ordre.


Dans ce chaos et cette effusion de sang, Ahmed Wajdy pense que « l’armée n’abandonnera pas son pouvoir facilement. C’est la même ancienne Égypte sauf que nous nous battons vraiment pour le changement. »


Scènes d’espoir dans les bureaux de vote


[image:2,s]Quelques heures plus tôt, une deuxième scène témoignait de beaucoup plus d’espoir. Des millions de votes ont été décomptés vendredi 16 décembre au soir, sous une énorme tente, à l’ombre des pyramides. Les juges étaient assis autour de longues tables, pour compter les bulletins de ce second scrutin pour les élections législatives. Les premières depuis la chute d’Hosni Moubarak.


Certains activistes auraient tenté de rentrer dans les centres de dépouillement avant d’être frappés par les forces de sécurité.  Certains juges, présents pour observer le dépouillement, auraient été pris dans ces affrontements. Tout n’est donc pas rose,  mais ce scrutin représente une grande étape pour le pays, comme en témoignent les longues files d’attente qui n’ont pas diminué de la journée aux entrées des bureaux de vote.


« Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression que mon vote compte. » explique Fatima, 30 ans. Cette mère de deux jeunes garçons porte un foulard traditionnel sur la tête. Elle a attendu longtemps, jeudi 15 décembre, pour pouvoir voter, dans un centre du quartier pauvre d’Imbaba, près de Gizeh.


« Je pense vraiment que nous sommes dans une nouvelle Égypte. Et je suis fière de ça. »


Une Égypte à la croisée des chemins


Qui a donc raison ? Ahmed Wajdy et sa « même vieille Égypte » ou Fatima, qui veut croire en une « nouvelle Égypte » ? Bien-sûr, la réponse se trouve dans ces deux témoignages.


Il est difficile de trouver même le plus cynique des analystes du Moyen-Orient qui ne pourrait admettre que les soulèvements, largement non-violents, qui ont renversé Moubarak ont ​​été un moment palpitant et historique qui a redonné une dignité aux Égyptiens qui, depuis trop longtemps, vivaient sous la coupe du régime pro-américain de Moubarak.


Les élections, qui se sont déroulées depuis le mois de novembre, dans un processus de trois phases qui se terminera en janvier, ont été marquées par un nombre important de votants et une bonne transparence du scrutin, ce qui n’a jamais été le cas sous Moubarak.


À partir de différents entretiens réalisés avec plusieurs votants de tout le pays, de Mohandessin, un quartier huppé du Caire à la ville industrielle de Sohag jusqu’au pauvre village rural de Suez, il semble que ce vote se soit déroulé dans un esprit de liberté et de justice. Le nouveau parlement permettra la rédaction d’une nouvelle constitution et sera le début de profonds changements dans le pays.


Quelle place pour l’armée dans la nouvelle Égypte ?


[image:3,s]Désormais, une bataille existentielle devra déterminer le rôle de l’armée dans le prochain gouvernement de cette nouvelle Égypte. Pendant ces soixante dernières années, l’armée a toujours eu son mot à dire en politique.


Les analystes politiques s’accordent pour penser que le véritable défi de l’Égypte réside dans la confrontation avec les maux de l’ancien régime : l’esprit autoritaire et les tactiques brutales.


Un influent conseil consultatif de civils a annoncé qu’il suspendrait ses opérations, et huit de ses 30 membres ont présenté leur démission en blâmant le Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF) pour les violences perpétrées contre des civils place Tahrir, et des juges dans le centre de dépouillement.


Un des démissionnaires, Moataz Billah Abdel Fattah, un scientifique politique, a incité d’autres membres à se joindre à lui et a commenté sur sa page Facebook :


« Si ce qui se passe est intentionnel et planifié, c’est alors une conspiration à laquelle je ne prendrai pas part. Et si ce n’était pas intentionnel ni planifié, cela veut donc dire que nous sommes en face d’institutions dysfonctionnelles sans connaissances de la gestion de crise, et par conséquent, je ne pourrai pas être en mesure de corriger leur comportement. Peu importe ce que j’ai fait… Allah est là pour toi, Égypte»


Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

Quitter la version mobile