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«Le Manifestant», personnalité de l’année selon Time Magazine

[image:1,l]L’actualité s’est accélérée en 2011, au point de paraître incontrôlée, incontrôlable. Le jury de Time Magazine, qui, depuis 1927, désigne la « personnalité de l’année », avait indéniablement l’embarras du choix. Mais, devant une telle profusion de solutions insatisfaisantes, il s’en est sorti par une pirouette, une jolie pirouette.


Le premier des manifestants : Mohammed Bouazizi


[image:8,s] Time Magazine se souvient de Mohammed Bouazizi. Ce Tunisien de 26 ans résidait dans la petite ville de Sidi Bouzid à 200 km au sud de Tunis. Vendeur à la sauvette, il travaillait, comme tous les jours, ce 17 décembre 2010, lorsqu’une femme policière s’est approchée de lui. Que s’est-il passé exactement ? De nombreuses incertitudes demeurent. Après un vif échange, elle l’a frappé. Offensé sans doute, vexé dans son ego d’homme, ou las des abus de pouvoir de la police de Ben Ali, il s’est mis le feu et en est mort.
Cette immolation est devenue l’événement-déclencheur d’un mouvement historique : la contestation en Tunisie s’est étendue à l’Égypte, au Yémen, à la Libye, à la Syrie… Vite, on a parlé de « Printemps arabe ». Une mort symbolique, un peu comme celle, anodine sur le moment, de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche en juin 1914 à Sarajevo qui, un mois plus tard, changeait l’Histoire.  


Un hommage très large : « Au manifestant anonyme »


[image:7,l]Anonyme, ce « manifestant » n’a pas un seul visage mais des millions. Il ne défile pas que place Tahrir au Caire, place de la libération ou de la perle à Sanaa ou Bahreïn… il ne se bat pas seulement pour se débarrasser d’un dictateur arabe. Il est aussi à Moscou, le week-end dernier, où il se contente d’exiger l’annulation d’élections truquées sans appeler au départ de Poutine, et, presque partout, en Occident, tout au long de l’année, pour s’indigner contre les excès d’un système économique, financier, qui, en proie à une crise sans précédent, ne tient plus ses promesses d’opulence et de bien-être pour tous. Il est d’abord à Madrid aux abords de la Puerta del Sol puis à Athènes sur Syndagma Square et ensuite il « occupy » Wall Street à New York et d’autres rues dans d’autres villes, aux États-Unis et ailleurs. Le Time Magazine en choisit quelques-uns parmi tant, des hommes, des femmes et même un chien, Loukanikos, le bâtard grec symbole de la lutte contre le Premier ministre George Papandréou, plus impuissant que tyran.    


« Personnalité de l’année » du Time, un honneur rétrospectif


[image:2,s]Le choix du Time, comme chaque année, est un hommage a posteriori qui ne saurait présager de la suite du ou des mouvements. Les dernières années, à elle seules, le prouvent : si le choix de Mark Zuckerberg en 2010 s’est confirmé à travers le rôle tenu par Facebook et les réseaux sociaux dans ces mouvements de 2011, ceux de Barack Obama en 2008 et de Ben Bernanke, le président de Federal Reserve, en 2009 paraissent davantage discutable au regard de la suite, surtout pour le second. Et puis, preuves par excellence : Adolf Hitler en 1938, Josef Staline en 1939 et 1942 ou l’Ayatollah Khomeini en 1979… ou encore, le curieux « You », « Vous » et « Toi », de 2006, pour lequel la une était, en fait, un miroir où se reflétait le visage du lecteur. Ode au nombrilisme, nombrilisme tueur !


 


 


 


 


Derrière « Le Manifestant », sur le podium de Time


Time Magazine rend public le classement de ceux qui ont « failli » être la « personnalité de l’année ».
[image:5,s] N° 2 : William Mc Raven, le chef du commando qui, au Pakistan, en mai dernier, a mis la main sur Oussama Ben Laden et l’a tué. Un choix qui n’aurait pas forcément ravi nombre des « manifestants » primés…


N° 3 : l’artiste dissident chinois Ai Weiwei. Dans ce cas, c’est Beijing qui n’aurait pas été satisfait. Et comme pour le Nobel de la paix, après l’attribution du prix 2010 à Liu Xaobo, sans doute les autorités auraient-elles, en défiance, institué, l’an prochain, leur propre classement…


N° 4 : Kate Middleton, duchesse de Cambridge et futur reine d’Angleterre. Le souvenir du titre 1936 attribué à Wallis Simpson, la maîtresse d’Edward VIII, l’arrière-grand-oncle du Prince William, n’aurait pas été du meilleur augure pour l’avenir de la monarchie britannique…


 


Le début d’une nouvelle époque ?


Plus sérieusement, ce titre illustre, peut-être, la prise de conscience d’un basculement, d’un changement d’époque…
[image:4,s]Pendant des siècles, c’est dans la rue, par des manifestations, des soulèvements que l’Histoire s’est faite : bien avant mais aussi, plus récemment, de la « Prise de la Bastille » du 14 juillet 1789 à la « chute du mur de Berlin », dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, des inconnus, plus ou moins encadrés, ont combattu, souvent à mains nues, pour conquérir droits sociaux ou droits civiques, l’égalité ou l’équité, la liberté.
Et puis, au début des années 1990, le monde a basculé. Avec le triomphe du libéralisme à l’occidental, l’Histoire s’est arrêtée et certains penseurs, tel le célèbre universitaire américain, Francis Fukuyama, nous assuraient même qu’elle était terminée. Pendant deux décennies, le monde a connu une augmentation du niveau et de la qualité de vie sans précédent. Alors, à quelques rares exceptions près – comme pour la fin de l’Apartheid en Afrique du sud en 1994 -, elles semblaient avoir disparu ces causes pour lesquelles auparavant des hommes et des femmes avaient été prêts à se révolter et à mourir. Parfois, au cours de ces années, des peuples se sont agités, souvent pour pas grand-chose, la défense d’intérêts corporatistes ou l’expression de « mal êtres ». Pour l’essentiel, on ne bougeait pas, ni face au retour de la purification ethnique, en Europe, en Afrique, en Asie, ni devant la destruction accélérée de notre environnement.


En 2011, « le manifestant » a bougé. Ce n’est pas avant 2012 que l’on saura s’il a bougé pour rien, pour le meilleur ou pour le pire ? Déjà, les suites de ces soulèvements à travers le monde arabe, dans la deuxième moitié de l’année qui s’achève, avec la percée électorale des Islamistes en Tunisie, au Maroc, en Égypte, ou l’escalade de la violence en Syrie, laissent tant de raison de s’inquiéter et montrent que, avec « le manifestant », c’est l’Histoire et ses tragiques soubresauts qui pourraient bien être de retour.   

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