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Le sourire de Mario Draghi…

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[image:1,l]Le 1er janvier 1999, au siège de la Banque centrale européenne, autour de Wim Duisenberg, premier président de l’institution, de Jean-Claude Trichet, encore gouverneur de la Banque de France, et de bataillons d’eurocrates, on sabre le champagne : l’euro est né, le vieux rêve de monnaie unique européenne a enfin vu le jour. Aujourd’hui, cette image a vieilli, mal vieilli.
Cet euro qu’on disait insubmersible…

À l’époque et jusqu’à récemment, la perspective d’un échec de la monnaie unique européenne, d’un éventuel retour à des devises nationales paraissait totalement inenvisageable. À tel point que rien n’a été prévu dans les traités européens pour faire face à une crise, comme la crise de la dette que traverse aujourd’hui la zone.
L’euro est insubmersible et, en plus, il doit être fort. En un peu plus de dix ans, les Européens ont laissé filer à la hausse leur monnaie face au dollar ou encore le yuan, au détriment de la compétitivité de l’économie continentale. La BCE s’en tenait aux austères critères de convergence, l’alpha et l’omega de l’orthodoxie monétaire.

« Vous m’avez mal compris… »

Jeudi 8 décembre 2011, dans l’après-midi. À Francfort, Mario Draghi, président depuis début novembre de la Banque centrale européenne, tient une très attendue conférence de presse mensuelle. Il a le style de l’emploi, le chic suranné d’un capitaine d’industrie du début du siècle précédent, le costume bien taillé, le col amidonné… Les propos qu’il a tenus, vendredi 1er décembre, devant le Parlement européen ont été interprétés comme le signe que, peut-être, enfin, la BCE s’apprêterait à intervenir sur le marché des dettes souveraines. Voilà qui constituerait un tournant, un véritable aggiornamento pour la zone.
« Je suis un peu surpris par cette interprétation, » lance-t-il. Non, la BCE n’achètera pas massivement des obligations d’État, comme le font la Banque d’Angleterre ou la Fédéral Reserve américaine. « J’ai été mal compris », ajoute le banquier italien avant de… sourire !

La BCE choisit de sauver les banques

Dans la nuit noire, au milieu d’un champ d’icebergs, le paquebot Europe file à grand train et une de ses éminences ordonne d’aller toujours plus vite. Dans la seconde, les bourses replongent et seuls les Cassandre voient leurs cotes orientées à la hausse… Pourtant, du point de vue des premières, la « leçon de morale » du « grand argentier » de Francfort, l’héritier de Jean-Claude Trichet, formé dans l’Italie laxiste, mais réformé par Bruxelles et Goldman Sachs, avait bien commencé : « sa » banque avait pris de nouvelles mesures de liquidité destinées aux banques privées de la zone euro, sous la forme de prêts à trois ans d’un montant illimité. Une victoire de plus pour l’orthodoxie de la rigueur ! La BCE avait décidé de sauver ces banques, celles-là même responsables de l’enchaînement de crises depuis 2008, au détriment des États. Une logique mortifère, validée par la seule satisfaction des marchés financiers…

Prêter aux banques qui prêteront aux États…

Une inquiétude injustifiée, découvre-t-on en pleine nuit. Vendredi 9 décembre autour de 5 heures du matin, durant sa conférence de presse d’après-sommet européen, Nicolas Sarkozy revient sur la décision de la BCE. En substance, son message est le suivant : « Vous vous êtes inquiétés bien trop vite, vous n’avez pas réalisé… C’est bien, ce qu’elle a fait la BCE… Mieux, c’est historique ! » Et le président français de nous expliquer : avec la baisse des taux directeurs à 1 % et les mesures de liquidité accordées aux banques, ces mêmes banques vont emprunter à la BCE et prêter aux États… Mais, elles prêteront à des taux bien inférieurs aux taux observés sur les marchés obligataires, forcément, car entre les 6 ou 7 %, par exemple, que se voit offrir l’Italie et les 1 % de Francfort, la marge serait considérable.
Un scénario intéressant sauf… qu’il est en contradiction avec les Accords de Bâle III, la dernière initiative en date – décembre 2010 – pour renforcer le système financier à la suite de la crise des « subprimes ». 

La servitude de l’Europe vis-à-vis des marchés

Sans Bâle III, un tel stratagème permettrait évidemment de contourner le blocage d’une BCE qui  refuse de se réformer en rachetant en direct la dette des États. Mais, serait-il souhaitable, voire même utile de placer une fois encore les banques privées dans le rôle d’intermédiaires? Pourquoi , l’Europe qui annonce sa mutation ne profite-t-elle pas de ces circonstances pour s’attaquer aussi à l’ultra-orthodoxie des principes de la BCE?
Ces deux épisodes illustrent le caractère surréaliste du système dans lequel nous évoluons. Et encore, manque-t-il à ce récit « l’anecdote » du « véto britannique » au nom de la défense de la City de Londres, une autre allégeance à un marché financier tout-puissant… L’objectif est de faire porter la responsabilité de la crise aux États, aux seuls États, en exonérant de tous péchés, les marchés et la spéculation financière – et les États donnent l’impression, parfois, d’être consentants.

L’Europe à bord duTitanic ?

Si les bourses européennes se sont rétablies après l’annonce de l’accord de Bruxelles, il faudra attendre de longs mois avant la mise en œuvre, et donc les premiers effets, des nouveaux principes, dont le texte final doit être rédigé pour mars 2012. Il paraît inévitable que les attaques contre les dettes souveraines vont se poursuivre. Que les notes souveraines des pays de la zone euro soient dégradées ou pas, la probabilité est élevée, de l’aveu même de Mario Draghi, de voir une authentique crise économique de grande ampleur s’ajouter à la crise financière. La récession s’annonce-t-elle comme de plus en plus inéluctable? Alors que « la titanique »  Europe navigue au milieu d’un champ d’icebergs, Mario Draghi s’entête à ne pas dévier du cap et exige que l’on accélère la vitesse. Pire, Sua Eminenza sourit…

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