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Les petits investisseurs bangladais protestent contre l’implosion de la bourse de Dhaka.

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[image:1,l]Le 10 janvier dernier, quand l’index de la Bourse de Dhaka a perdu 9,25 % de sa valeur en moins d’une heure, les investisseurs sont descendus dans la rue, en cassant des voitures et en brûlant des pneus. Depuis lors, des manifestations sporadiques continuent à sévir dans le trafic encombré du quartier commercial de Dhaka.

À l’instar du mouvement Occupy Wall Street aux États-Unis, les manifestants bangladais affirment protester contre la cupidité et la malfaisance institutionnalisées, et blâmer l’imprudence des banquiers et du système financier qui ont déclenché – et profité de – la catastrophe financière.

Des similitudes avec la crise des subprimes

En effet, le crash financier qui a frappé le Bangladesh présente des caractéristiques similaires à la crise des subprimes américaine de 2008 : un marché en surchauffe, une facilitation de l’accès au crédit irresponsable et, selon certains, un manque de régulation suspect de la part des autorités financières.

Plusieurs investisseurs nourrissent toujours une colère mal celée envers les chefs d’entreprises et les initiés de la DES et de la Banque centrale du Bangladesh, qu’ils accusent d’avoir profité du crash.

Le témoignage des petits investisseurs indignés

[image:2,s]Maulana Abul Hasan, 35 ans, investit en bourse depuis 2004. Il raconte que les neuf derniers mois ont fait des ravages sur son capital, qui est passé d’un pic de 6 millions de Taka (environ 57 000 euros) à une valeur actuelle qui se situe entre 800 000 et 1 million de Taka (7 500 – 9 500 euros).

« Nous sommes perdus. Le Premier ministre pourrait très bien mettre une bombe ici et nous faire exploser tous », confie Hasan. Comme lui, plusieurs investisseurs se sont réunis au troisième étage de la DES pour raconter leurs histoires de détresse financière.

« Les gros investisseurs ont incité les gens à investir dans le marché boursier et ont ensuite vendu toutes les actions », dénonce Mainul Islam, qui avait investi 1 million de Taka (9 500 euros) offert par ses parents dans des actions, en espérant faire quelques gains rapides pour pouvoir partir en Europe. « Ils jouent à un jeu mystérieux en ce moment » ajoute-t-il.

Lorsqu’ils n’occupent pas les rues, les nombreux investisseurs lésés occupent les centaines de petites maisons de courtage, avec les yeux collés aux écrans des ordinateurs, en espérant une réévaluation de leurs investissements.

Mohammad Abadrul Islam, un investisseur de 37 ans qui a perdu 400 000 Taka (presque 4 000 euros) dans le crash, affirme qu’il possède encore 250 000 Taka (2 300 euros) qu’il a empruntés pour acheter des actions. Il retourne à la DES tous les jours, juste au cas où la situation s’améliorerait. « Je ne conte pas de me faire de l’argent avec ça, explique-t-il, mais je me contenterais juste de pouvoir rembourser mes dettes ».

Des neuf investisseurs interviewés par le GlobalPost, seul Eugène Corrave s’en est sorti. Il a investi 2 millions de Taka (19 000 euros) et il a fait 1 million de Taka de profits. Mais il reconnaît être un des rares chanceux : « 80 % des investisseurs perdent, seulement 10 % se font de l’argent. Et ce 10 % ce sont les grands joueurs. »

À l’origine de la crise :

1. Une explosion rapide et incontrôlée

[image:3,s]De 2007 à 2010, lorsque la crise financière globale se réverbérait à travers les marchés occidentaux, la DES semblait une île de profits faciles dans un océan d’encre rouge. Son index a bondi de 2 450 en février 2009 à 8 600 à la fin de 2010, un chiffre sans précédent. Le nombre d’investisseurs sur le marché a doublé, en passant de 1,5 à plus de 3,3 millions.

Asif Anwar, un analyste financier indépendant basé à Dhaka, explique qu’une manie pour le trading prend place lorsque les prix des actions augmentent bien au-delà de leur valeur originaire. D’après Anwar, le boom a été encouragé par l’accès facilité au crédit et par la multiplication des maisons de courtages à l’extérieur de la capitale, qui ont alimenté une épidémie de « pure cupidité incontrôlée » et a attiré des centaines de milliers de nouveaux investisseurs dans le marché. « Tout le monde parlait de bourse et tout le monde était devenu un analyste du jour au lendemain. »

Très peu de ces nouveaux investisseurs, toutefois, comprenaient les risques des transactions financières. Lorsque l’effondrement inévitable est arrivé, déclenché par une hausse des taux d’intérêt et par le renforcement des régulations sur les expositions de capitales de la part de la banque centrale, les directeurs des banques et des entreprises ont rapidement épuisé leurs actions pour éviter les pertes, récolter des profits massifs et laisser à sec les nouveaux arrivants.

2. La cupidité des grands traders

« Les gros morceaux – les chefs d’entreprise, les sociétés bancaires – se sont fait de l’argent au détriment des poches de 3,3 millions d’investisseurs », explique Abou Ahmed.

Ahmed considère que les réglementations du gouvernement n’ont guère contribué à freiner la manie populaire pour le marché boursier. À son avis, la Commission pour la Sécurité des Échanges (SEC) – qui joue un rôle de réglementation – aurait dû poser son veto à la multiplication des maisons de courtage. Elle aurait dû également être plus vigilante sur la manipulation financière des sociétés cotées, dont certaines sont arrivées jusqu’à fournir des faux rapports financiers et publier des milliers d’actions hors de prix pour profiter de l’enthousiasme des investisseurs.
« C’est le SEC qui devrait apparaître sur le banc des accusés, clame Ahmed, et non pas les différents Messieurs Tom, Dick et Harry. »

3. L’exubérance irrationnelle de l’investisseur commun

Cependant, d’après Mohammad Shakil Rizvi, le président de la bourse de Dhaka, les petits investisseurs ont été aussi avides que les gros, en demandant l’expansion des maisons de courtage.

« Les gens ne connaissent rien au marché boursier, ils n’ont aucune idée de comment ça marche. Le niveau de confiance était trop élevé, la foule était arrivée à Dhaka à faire pression sur les maisons de courtage », explique Rizvi. Il nie que les régulateurs aient manqué à leur devoir, en affirmant qu’ils ne pouvaient rien faire pour freiner l’exubérance irrationnelle de l’investisseur commun.

Les nouvelles mesures du gouvernement

Malgré la création récente d’un fonds de secours de 50 milliards de Taka (480 millions d’euros) pour attirer les investisseurs vers le marché, selon l’analyste financier Anwar, le système exige une réforme plus approfondie.

«Il faut simplifier le système, favoriser l’efficacité des négociations, la transparence et la divulgation, et réprimer les délits d’initié. Rien de tout ça n’a été fait jusqu’à présent » explique-t-il.

Même les manifestants de Occupy Dhaka sont déçus par les actions du gouvernement et promettent plus de désordres.

Les manifestants annoncent le siège

Mizanur Rashid Chowdhury, président du Conseil unitaire des Investisseurs de la Bourse du Bangladesh, qui coordonne les manifestations, a annoncé le mois dernier qu’un autre rassemblement public aura lieu le 7 décembre et a averti que les manifestants assiégeront les institutions financières de Dakha, dont la SEC et la Banque du Bangladesh.

Comme aux États-Unis, il est difficile de savoir si les élites financières ont la volonté de réparer le système.

Mominur Rahman, un investisseur de 42 ans, qui a perdu 1,3 million de Taka (12 500 euros) dans ce métier, résume ainsi le sentiment d’impuissance qui a poussé les investisseurs de Dhaka dans les rues : « Je ne supporte pas le vandalisme et les incendies, mais qu’est ce que nous pouvons faire ? Nous sommes au pied du mur. »

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