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Lutter contre la violence de la mafia à travers le tourisme

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Dans la culture populaire, la mafia peut jouir d’une image idéalisée par les Soprano’s et Le Parrain. Faire face à la criminalité organisée dans le monde réel, cependant, n’est pas aussi simple que l’on pourrait imaginer.

En Italie, les gangs comme Cosa Nostra en Sicile sont destructifs et nuisent à l’économie. Les membres de la Mafia extorquent de l’argent régulièrement aux entreprises pour leur « protection ». Ceux qui ne coopèrent pas, sont victimes d’intimidations et de violences.

Le tourisme : une nouvelle façon de soutenir les entreprises qui défient la mafia

Ces jours-ci, les touristes et les agences de voyages spécialisées dans le sud de l’Italie se défendent, en soutenant les entreprises qui défient la mafia. Il s’agit d’une nouvelle forme de tourisme responsable ou éthique dans une région qui a beaucoup à offrir : des paysages méditerranéens merveilleux, des plages magnifiques, des vins vigoureux et une cuisine qui est superlative, même dans les standards italiens, influencée par les Grecs, les Arabes, les Espagnols et les Français qui ont envahi l’île.

« Il y a une forte demande pour le tourisme antimafieux », signale Francesca Vannini Parenti, la fondatrice d’Addiopizzo Voyage, agence basée à Palerme qui propose des vacances « libres de la mafia ». « Les gens veulent savoir quels magasins, restaurants et hôtels ne paient pas de pots-de-vin à la mafia. »

Le réseau d’entreprises Addiopizzo – littéralement « adieu au racket » – a été créé en 2004 par quelques jeunes habitants qui n’acceptaient pas de ne pas pouvoir ouvrir un bar sans payer la mafia.

Addiopizzo : une initiative révolutionnaire

À l’époque, organiser un mouvement de résistance contre la mafia était révolutionnaire. Aujourd’hui, environ 700 entreprises locales dans la région de Palerme font partie de ce réseau, un nombre encourageant mais limité dans une région qui compte près de 25 000 détaillants. En Sicile, près de 70 % des 50 000 des détaillants paient le pot-de-vin à la mafia, selon les statistiques 2010 de SOS Impresa, le bureau antiracket de la Confesercenti, l’association nationale des détaillants.

Addiopizzo dirige les touristes vers les magasins, les restaurants et les hôtels qui garantissent que leur argent ne finira pas dans les caisses des clans. Addiopizzo peut assurer des réservations et fournir aux touristes un plan de Palerme qui indique ces établissements.

 

[image:2,s] Des visites à la rencontre des héros de l’antimafia

Le groupe offre des paquets touristiques pour découvrir les « points chauds » de la lutte contre la mafia à Palerme et dans ses environs. Ils incluent notamment des rencontres avec des habitants locaux du « front de la résistance ». Les participants de ces tours disent qu’il s’agit d’une expérience essentielle pour comprendre ce qu’est la mafia et ce que veut dire lutter contre elle.

« J’ai été vraiment ému », raconte un étudiant allemand qui a participé à l’un de ces tours, après la rencontre avec Ignazio Cutro, un entrepreneur qui est sous protection policière après avoir dénoncé les hommes qui ont tenté de lui extorquer de l’argent. « Sa famille et lui vivent dans un isolement complet maintenant. Ses enfants ont perdu tous leurs amis à l’école et même son frère ne lui parle plus. »

Jusqu’à présent, Addiopizzo propose surtout des visites guidées aux étudiants des écoles et des universités, mais espère atteindre un public plus élargi. En septembre, Addiopizzo a lancé une visite d’un jour à Palerme qui inclut des arrêts aux « stations » des victimes de la mafia, au palais de justice, au siège de la police et à la maison de Paolo Borsellino, un magistrat leader dans la lutte antimafia, assassiné en 1992.

Pendant la visite, les participants apprennent l’histoire de la résistance à la mafia, aussi vieille que la mafia elle-même, qui date de la fin du XIXe. Ils apprennent des détails sur le combat juridique contre la mafia mené au cours des années par les procureurs et les difficultés rencontrées par les agents de police chargés de poursuivre les mafieux.

Les guides illustrent enfin la collusion entre la mafia et les élites politiques, et décrivent l’attitude de l’Église face à Cosa Nostra : un silence permanent pendant plusieurs décennies, mise à part la résistance de quelques prêtres isolés.

[image:3,s]De plus en plus d’entrepreneurs dénoncent le racket

Ensuite, pour illustrer de quelle façon les films ont illustré la mafia, la visite se poursuit sur les marches de l’opéra de Palerme, où a été tournée une des scènes finales les plus célèbres du Parrain 3. Dans cette scène, Mary, la sœur de Michal Corleone, le « Parrain », est tuée devant ses yeux par un clan rival.

La visite fait une pause pour déjeuner à la Focacceria San Francesco. Le restaurant, qui propose un sandwich renommé à la rate de veau et au fromage, est bien connu aussi pour son propriétaire, Vincenzo Conticello. Il a été un des premiers à Palerme à dénoncer les extorqueurs.

En 2005, un homme est venu à la Focacceria pour lui demander de payer une redevance régulière. Il a refusé et il a signalé l’incident à la police. L’homme et ses deux complices ont été arrêtés en 2008, et ils ont écopé d’une peine de rétention de 10 à 16 ans pour extorsion. Conticello vit dès lors sous protection policière.

« C’est un des cas les plus médiatisés, la plupart de ceux qui dénoncent la mafia aujourd’hui font face à des risques limités », explique Valerio D’Antoni, un avocat affilié à Addiopizzo, qui fournit un soutien aux entreprises pour résister à la mafia. « Lorsque l’entrepreneur est très déterminé, la mafia comprend qu’il vaut mieux le laisser tomber. »

Le risque plus grave pour les entrepreneurs est l’isolement

Tout de même, d’après Parenti, dénoncer les tentatives d’extorsions risque de se retourner contre la victime.

L’année dernière, près de 50 actes d’intimidation ont été signalés à Palerme, selon SOS Impresa : des incendies, du vandalisme et des « attaques à la colle » qui consistent à fermer avec la colle les verrous des boutiques. Portée symbolique et avertissement : le commerce n’appartient pas vraiment à son propriétaire.

« Souvent, ceux qui résistent restent isolés, explique Parenti. Un de nos membres, propriétaire d’un bar dans une petite ville, a perdu des clients après avoir résisté aux intimidations. Si tout le monde voulait se révolter contre la mafia, nous n’aurions plus besoin de héros. »

 

[image:4,s]Libera Terra : réutiliser à des fins sociales les terres confisquées aux clans

Addiopizzo n’est pas le seul à utiliser le tourisme pour combattre la mafia. Une autre organisation, Libera Terra (Terre Libre), s’est spécialisée dans la recherche, à des fins socialement productives, de biens confisqués à la mafia. Selon les statistiques du gouvernement, en Italie, plus de 11 500 biens ont été confisqués à la mafia, dont la moitié se trouve en Sicile.

Libera Terra offre des paquets de voyages « éthiques » similaires en montrant aux visiteurs comment des organisations socialement responsables produisent des pâtes organiques, du vin et des conserves traditionnelles dans les terres autrefois propriété de Cosa Nostra.

Dans le magnifique arrière-pays sicilien proche de Corleone, une petite ville rendue célèbre par le parrain et par les maisons des célèbres boss mafieux, Libera Terra possède environ 300 hectares de terres.

Cette association gère également un bed and breakfast dans les « terres de Corleone », à proximité.

La charmante ferme en pierre donne sur une belle vue sur les collines environnantes. Elle appartenait dans les années 1980 au chef mafieux Toto Riina. Ce boss mafieux, actuellement en prison, a été le commanditaire de l’assassinat des célèbres procureurs anti-mafia Falcone et Borsellino en 1992.

Une production antimafieuse, bio et « éthique »

Depuis sa création il y a 10 ans, Libera Terra a incité la création d’entreprises qui sont gérées légalement, en respectant les lois du travail, les droits des travailleurs et l’environnement. Les responsables assurent que l’association offre des salaires plus élevés, des avantages et défend la dignité de ses employés.

« Ce qu’on veut montrer, c’est que les personnes peuvent travailler dans la légalité et conduire une vie décente ici, ce qui constitue une alternative à la mafia », explique Francesco Galante, le directeur de la communication de Libera Terra. En Sicile, le chômage atteint 14,7 %. Ce qui donne un attrait puissant à la mafia.

« Au début, nous nous sentions très isolés, raconte Galante, personne ne voulait travailler avec nous ou avouer le faire. Mais les choses ont changé quand les travailleurs ont compris que nous offrions de meilleures conditions de travail, mais aussi qu’il n’y avait pas de danger. »

[image:5,s] Dans les premières années de vie de l’association, les récoltes ont été souvent vandalisées ou incendiées et leurs machines agricoles volées. Dix ans plus tard, ce type d’intimidations a cessé.

« La mafia sait que s’ils nous attaquent, nous recevrons beaucoup d’attention médiatique et de soutien officiel, remarque Galante. Grâce à cette visibilité, ils auront plus de difficultés à faire des affaires. »

Aujourd’hui, Libera emploie 30 personnes et est inondée de demandes d’emploi. Elle vend ses propres marques de vin bio, d’huile d’olive et de pâtes dans toute l’Italie et les visiteurs commencent à fréquenter assidûment le bed and breakfast panoramique et son restaurant.
« Les campagnes pour le comportement responsable des consommateurs ont eu un impact considérable », déclare Umberto Santino, auteur d’un livre sur le mouvement anti-mafia et directeur du Centre sicilien d’information sur la mafia Giuseppe Impastato. « Ils ont reçu beaucoup de soutien de la part des consommateurs. »
« Cependant, si nous regardons combien d’entreprises participent à ce projet, on voit qu’il s’agit encore d’une très petite minorité, ajoute-t-il. Nous avons fait des progrès depuis les années 1990, mais il y a encore un long chemin à parcourir. »

GlobalPost/Adaptation Melania Perciballi pour JOL Press

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