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Médecins sans Frontières: 40 ans d’aide internationale

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[image:1,l]Aller, indépendamment des tracés géopolitiques, là où l’urgence le nécessite pour soigner et témoigner : c’est l’esprit initié par les 13 fondateurs de l’association Médecins sans Frontières, en décembre 1971, parmi lesquels des médecins comme Bernard Kouchner, Xavier Emmanuelli, Max Récamier, Marcel Delcourt… Quarante ans plus tard,  ce sont des milliers de volontaires qui ont écrit, par leur engagement, l’aventure de Médecins sans Frontières. Tous, ils ont soigné et témoigné…


MSF ou « Doctors without borders », prix Nobel de la Paix en 1999, est devenu une des plus puissantes ONG mondiales avec un budget de 950 millions deuros par an. Mais, ce qui compte – et n’a, semble-t-il, pas de prix, c’est l’esprit, esprit de professionnalisme et d’indépendance, qui anime tous ceux qui ont repris le flambeau des fondateurs. Le docteur Claire Rieux est l’une d’entre eux, une « French doctor ». Spécialiste en hématologie, elle exerce à l’Hôpital Henri-Mondor de Créteil, dans la banlieue parisienne. Elle est aussi aujourd’hui vice-présidente de Médecins sans Frontières après avoir parcouru le monde pour des missions d’urgence. En ce jour anniversaire, elle a accepté de répondre à nos questions.    


JOL Press : Médecins sans Frontières a souhaité placer son 40e anniversaire sous le signe de l’indépendance. Comment se manifeste cette indépendance ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : La forme la plus importante, la plus palpable de cette indépendance est l’indépendance financière. Les dons représentent 90 % de nos ressources. Nous ne dépendons pas des subventions de grandes institutions et, dès lors, nous agissons de manière très autonome et de façon très réactive, comme bon nous semble.
Ensuite, en découle l’indépendance médicale : nous adaptons nos techniques et pratiques médicales sans être contraints par de grandes politiques globales de santé publique.
Autre forme d’indépendance, l’impartialité  vis-à-vis de toutes considérations politiques, économiques, ethniques ou religieuses. Nous sommes très attachés à notre liberté de ton.
Notre indépendance est essentielle, mais nous n’agissons pas seuls. Nous collaborons avec les autres acteurs de l’aide humanitaire et médicale dans le respect des principes qui nous guident.


Un 40e anniversaire sous le signe de l’indépendance


JOL Press : Quelles sont les moments-clés de l’affirmation de votre indépendance ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Les débuts de Médecins sans Frontières sont connus… 1971 et la guerre du Biafra. À ce moment, MSF est une ligue de médecins et de soignants qui se mettent à la disposition d’autres organisations.
[image:2,s]Donc, la première étape a consisté à monter nos propres opérations. Puis, dans ce cadre, nous avons eu le courage de prendre position et d’assumer nos choix : par exemple, lorsqu’en 1985, nous décidons de partir d’Éthiopie au motif qu’il nous semblait qu’une partie de l’aide était détournée ou mal utilisée.
Étape importante, au cours des années 90, dans le cadre de la lutte contre le SIDA, notre campagne d’accès aux médicaments essentiels pour que les malades contaminés puissent recevoir un traitement. Là encore, liberté de ton et d’action.
Notre indépendance, telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, s’est manifestée, de manière symbolique, après le tsunami de 2004 dans l’océan Indien, lorsque, devant l’afflux considérable des dons, nous avons pu dire : « Nous avons suffisamment de dons et nous n’avons pas besoin de davantage d’argent. » Pas besoin de davantage d’argent pour effectuer notre mission au mieux et à une échelle réaliste. La preuve de notre indépendance financière mais aussi de notre transparence et de notre respect pour nos donateurs.


L’importance de la transparence pour une ONG


JOL Press : C’est important la transparence pour une ONG, ne serait-ce que vis-à-vis de ses donateurs. Comment la garantissez-vous ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Nous disposons de systèmes adaptés de gestion de l’argent et de contrôle des comptes, en toute transparence. 80 % de nos ressources sont directement affectés à nos missions à caractère social et les 20 % restant couvrent le fonctionnement institutionnel.  


JOL Press : En quoi est-ce que le rapport de MSF aux structures étatiques et institutionnelles a-t-il évolué en 40 ans ?

[image:3,s] Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Ce qui a évolué, c’est le contexte politique global évidemment. Au début, nous avons eu des expériences de collaborations très étroites avec les ministères de la santé dans le cadre des politiques de la santé. Nous en sommes détachés et nous avons dû reconsidérer les termes de nos collaborations.
Gérer ce qu’on appelle communément l’urgence, cela peut paraître, étonnamment, plus facile en terme de collaboration avec les gouvernements. Par contre, dans le long terme, c’est différent. D’autant plus différent que, si nous nous implantons sur le long terme dans un pays, nous ne voulons pas nous placer en porte-à-faux par rapport aux politiques de santé publique nationales mais, en même temps, nous souhaitons conserver notre indépendance.


La notion d’urgence


JOL Press : Désormais, proportionnellement, vous vous consacrez moins à l’urgence ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : C’est, en réalité, assez difficile à établir puisque tout dépend de la définition que l’on donne de l’urgence.
L’urgence, ce sont des catastrophes naturelles. En 2010, celles-ci ont représenté 10 % de nos actions – et cela inclut notre intervention à Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier de cette année-là. L’urgence, c’est aussi un conflit armé brutal mais un conflit, surtout de nos jours, est rarement résolu rapidement et les problèmes d’urgence se prolongent.  
Les épidémies de méningite ou de rougeole, le VIH, ce sont aussi des urgences.
Nous fonctionnons plus par contexte : population victimes de conflits ; épidémies, endémies, pandémies ; catastrophes naturelles ; exclusion de soins


JOL Press : Sur le long terme, quelle place accordez-vous à l’éducation par apport à l’aide ?

[image:4,s]Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Tout d’abord, dans chaque mission-pays, nous privilégions le personnel national. Au niveau du mouvement international de MSF, nous comptons de 3 à 5 000 expatriés pour environ 30 000 personnels nationaux.
Ces personnes qui travaillent pour MSF dans leurs pays vont apprendre nos protocoles, certaines bénéficieront de formations MSF en France et deviendront, éventuellement, à leur tour, expatriés. Nous attachons une grande importance à la diffusion des connaissances parmi nos personnels.
Pour l’instant, nous n’avons pas vocation à enseigner dans les facultés de médecine mais nous réfléchissons à l’établissement d’hôpitaux de long terme et, dans cette hypothèse, il est fort probable que nous développions un volet formation.


Les enseignements des crises de 2011


JOL Press : À l’heure du bilan, 2011 a été marqué par les événements du « Printemps arabe ». Quel rôle a tenu Médecins sans Frontières dans ces pays confrontés à la révolution et à la guerre ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Nous nous sommes efforcés de porter secours aux populations dans un contexte très difficile. Nous n’avions pas d’histoire véritablement avec ces pays, pas véritablement de présence antérieure, ni de partenariats. Notre aide a consisté en des distributions de médicaments et de matériels aux médecins sur place, mais aussi par l’envoi d’équipes sur le terrain. À Misrata, en Libye, nous étions dans la ville assiégée.
Cela a mis en évidence la nécessité pour nous de développer des réseaux de collaboration dans le monde arabe.


JOL Press : Et au Japon, après le tremblement, le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Le Japon, c’est différent. Nous y disposons d’une section, à Tokyo. C’est un pays bien organisé avec d’importants moyens logistiques. Nous sommes intervenus, pour l’essentiel, dans des camps de réfugiés et, principalement, auprès de personnes âgées.


Nous avons réalisé qu’il nous fallait réfléchir à nos modes d’intervention en cas de catastrophes liées à des risques industriels ou climatiques, ainsi que, plus largement, mieux nous préparer à gérer les effets de l’environnement sur la santé.


Des crises moins médiatisées, tout aussi dramatiques


JOL Press : D’autres situations d’urgence ont peut-être été moins médiatisées. Quels ont été vos points chauds en 2011 ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : La grosse urgence de cette année, et elle a été médiatisée, cela a été la Côte-d’Ivoire.
[image:5,s]Nos équipes ont été amenées à intervenir dans des situations de sécurité très difficile, sous les balles. Et puis, Abidjan est une très grande ville et il fallait gérer, non seulement le conflit, mais aussi la totale désorganisation de la vie quotidienne. Pendant la bataille, les femmes continuent à accoucher. Tout cela, alors qu’un embargo, rendait quasi impossible l’acheminement des matériels et des équipes.
Nous étudions aussi la possibilité d’intervenir au Sud-Soudan, où un conlit dramatique est en cours. Nous sommes présents depuis 30 ans au Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Enfin, 2011 a été marqué aussi par la résurgence du choléra, au Tchad notamment.


Le « Sans Frontiérisme » qui s’invite  à l’intérieur de nos frontières


JOL Press : Si la situation n’y est pas comparable, l’Europe subit une crise financière et économique sans précédent… Est-ce que vous craignez une réduction des dons et donc de vos moyens ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Je touche du bois, si je puis dire. À ce jour, nous n’avons pas d’inquiétudes. Notre force est d’être devenus un grand mouvement international et, par conséquent, nous ne dépendons plus de la conjoncture dans un seul pays ou un seul groupe de pays.


JOL Press : Et, hypothèse pessimiste, est-ce que cela pourrait vous amener à développer vos opérations au profit des populations dans les pays européens ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Certaines de nos sections sont très actives dans les soins apportés aux migrants ainsi qu’aux populations défavorisées. Jusqu’à présent, en France, nous avons été plus en retrait sur cette problématique, mais nous serons là s’il le faut.
C’est un peu comme le Sans Frontiérisme qui s’invite à l’intérieur de nos frontières.


Priorité à l’accès aux soins, une inquiétude mondiale


JOL Press : Quels types d’actions pourriez-vous envisager ?

[image:6,s] Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Le véritable problème est celui de l’accès aux soins. Je suis moi-même médecin hospitalier et je constate une nette dégradation. De plus en plus de patients pourraient avoir un accès aux soins restreint, et c’est déjà le cas pour certaines. Nous pouvons agir directement – nous sommes des praticiens – ou par du lobbying en faisant pression sur les responsables.


Que MSF n’ait plus besoin d’exister… et bien appréhender les nouvelles pathologies


JOL Press : Questions de circonstance, quels sont vos souhaits pour 2012 ?

Dr Claire RIEUX, vice-présidente de MSF : Évidemment, nous nous disons entre nous que nous aimerions bien que MSF n’ait plus besoin d’exister. Mais, bon…
Ce qui est important pour nous, c’est donc de ne pas laisser des patients sans accès aux soins mais aussi de bien appréhender de nouvelles pathologies, notamment les maladies chroniques ou encore la drépanocytose, une maladie génétique de l’hémoglobine qui touche prioritairement les Africains.
Nous devons aussi développer davantage nos réseaux avec de nouveaux acteurs de la santé, tout en gardant notre indépendance.


Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press 


40 ans d’indépendance en vidéo :



40 ans d’indépendance par msf

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