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Nicolas Sarkozy dessine une Europe à trois vitesses

Nicolas Sarkozy a choisi Toulon, là même où, le 25 septembre 2008, au cœur de la tempête financière provoquée par la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers, il avait tenté de rassurer les Français, en partageant son diagnostic et ses propositions de solutions. Son discours s’intitulait, alors, « Moraliser le capitalisme ».


La peur pour la France de perdre la maîtrise de son destin


Ce jeudi 1er décembre, devant 5 000 personnes, le président français, d’un ton grave et solennel, s’est livré à un exercice similaire : deux temps forts dans ces 52 minutes, le diagnostic de la crise et l’impact de cette crise sur la construction européenne. Pour le président français, « la peur a un nom, la peur pour la France de perdre la maîtrise de son destin ». Cette crise que nous traversons est la même, pour lui, la même que la précédente : « Après avoir frappé les banques, cette même crise frappe les États. » Nier la crise, ce serait s’interdire toutes perspectives d’avenir.


Rappel des causes historiques de la crise : mondialisation, globalisation, financiarisation


Le président français, dans un exercice de pédagogie, a identifié les causes profondes de cette crise : il s’agirait, selon lui, de l’instauration à la fin des années soixante-dix, d’une mondialisation sans règles autres que des règles garantissant la liberté du commerce.
La globalisation financière s’est ensuite imposée pour masquer les effets d’une mondialisation des échanges sans règles ; elle a permis à un pays comme la France de continuer à financer son système social ou de tenter de maintenir le pouvoir d’achat de ses ménages.
Ainsi, a été créée une machine mondiale à fabriquer de la dette. La seule voie pour les pays développés, concurrencés par le rééquilibrage au profit des pays en développement, a été la fuite en avant dans l’endettement. Seule différence entre pays développés, les agents économiques amenés à s’endetter : en France, c’est l’État qui s’est endetté en priorité, tandis que, au Royaume-Uni ou en Espagne, ce sont les ménages qui ont vu leurs dettes croître et, aux États-Unis, l’État et les ménages.
Pour financer cet endettement, le secteur financier a crû de manière extravagante et l’économie s’est financiarisée, c’est-à-dire qu’elle a été placée sous la domination d’une logique spéculative de court terme.


La fin de la fuite en avant de l’endettement, le début d’un nouveau cycle économique


Nicolas Sarkozy a expliqué que la fuite en avant de l’endettement ne pouvait se poursuivre et cela pour une raison simple : les prêteurs, sur les marchés financiers, ne veulent plus prêter. En tout cas, ils ne veulent plus prêter aux pays occidentaux et à l’Europe en particulier.
Ainsi, s’ouvrirait un nouveau cycle économique : un cycle de désendettement succéderait à un cycle d’endettement. Ce nouveau cycle se caractérise par une dé-financiarisation de l’économie, un retour vers la valeur travail et une indispensable ré-industrialisation.


Ce diagnostic affecte profondément la gestion des affaires du pays. Dans la seconde partie de son intervention, Nicolas Sarkozy a balayé l’essentiel des domaines d’intervention du politique et longuement détaillé ses choix et sa vision pour la France. Enfin, dans la troisième partie, il a abordé la question, très attendue, de la construction européenne et des réformes urgentes pour que l’Europe survive et sorte renforcée de cette crise sans précédent depuis la grande dépression des années trente.


L’Europe est nécessaire, la souveraineté nationale est un atout


Pour Nicolas Sarkozy, les débats entre anti- et pro-européens relevaient du passé : « L’Europe n’est pas un choix mais une nécessité ». Sans Europe, il imagine un scénario apocalyptique, déjà-vu : le risque, selon lui, serait grand de voir le continent, livré aux protectionnismes et aux nationalismes, refaire étape par étape le même parcours que dans les années trente.
Sur la question de la souveraineté et – sous-entendu – l’idée qu’elle risquerait d’être bradée : « Il faut davantage de souveraineté car c’est davantage de capacités à agir. Mais, la souveraineté ne s’exerce qu’avec les autres », a affirmé le président français dans un contre-pied.


Vers plus de convergence entre la France et l’Allemagne


Un incontournable de presque tous les discours clés de dirigeants français sur la construction européenne : « L’Europe, c’est la paix » et d’abord la paix entre la France et l’Allemagne, depuis le choix fondateur de Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en 1963.
Au-delà, Nicolas Sarkozy a indiqué avec force qu’Angela Merkel et lui-même avaient décidé de faire le choix de davantage de convergence entre la France et l’Allemagne : « La France et l’Allemagne unies, c’est l’Europe tout entière qui est unie et forte ».
Cette convergence ne saurait signifier, pour le président, que l’une ou l’autre des deux nations se mette à la remorque de l’autre, que l’une, l’autre ou les deux perdent leurs identités. Elle nécessite un effort de compréhension réciproque. À titre d’exemples, Nicolas Sarkozy a cité la monnaie et les institutions : sur la première, l’origine de la rigueur à laquelle sont attachés les Allemands est à chercher du côté des épisodes d’hyperinflation qu’ils ont connus dans les années vingt ou après la Seconde Guerre mondiale ; en termes d’institutions, la tradition centralisatrice de la France est à l’opposé de celle fédérale de l’Allemagne.


Concrètement, Angela Merkel se rendra à l’Élysée lundi 5 décembre pour un sommet franco-allemand consacré aux propositions de réforme de l’Europe que les deux pays entendent porter conjointement devant le Sommet européen du 9 décembre.


Des principes pour refonder l’Europe


« L’Europe doit être repensée, refondée. Le monde n’attendra pas l’Europe », a estimé Nicolas Sarkozy avant d’énoncer les principes qui, selon lui, devraient inspirer cette indispensable refondation :
plus de solidarité entre les États-membres et donc plus de discipline car toutes formes de laxisme ne sauraient être supportées par tous ;
plus de politique, plus de responsabilité politique ; une Europe où ce sont les responsables politiques qui décident ;
plus de supranationalité et plus d’intergouvernementalité ; le débat entre « fédéralisme » et « Europe des Nations » est dépassé pour Nicolas Sarkozy. Les chefs d’État et de gouvernement peuvent se prévaloir d’une légitimité démocratique indiscutable, quel que soit leur mode d’élection, et, à ce titre, il leur appartient de tirer pragmatiquement les conséquences de la crise et de « gérer » ensemble l’Europe.


Le prochain ordre du jour européen


Plus concrètement, le président français a évoqué quelques-uns des dossiers politiques à traiter, en priorité, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance européenne et en tenant compte du nouveau cycle économique :
négocier pied à pied les intérêts commerciaux de l’Europe, et imposer notamment la réciprocité à nos partenaires commerciaux extérieurs ;
contrôler les frontières extérieures de l’Union et adapter en conséquence les accords de Schengen ;
empêcher le dumping social entre États-membres, a fortiori s’il est financé par des subventions européennes ;
instaurer une véritable politique industrielle européenne ;
défendre la politique agricole commune.


Zone euro : rétablir la crédibilité et la confiance


Pour Nicolas Sarkozy, « sauver l’euro, c’est sauver l’Europe ». La crise de l’euro serait une crise de crédibilité et de confiance et les pays membres de la zone euro doivent montrer une solidarité sans faille face aux spéculateurs misant sur son éclatement.
Pour cela, il faudrait :
adopter le principe de la majorité qualifiée au sein de la zone car il est inacceptable qu’un seul parti, d’une seule coalition d’un seul pays puisse bloquer la mécanique commune ;
établir un gouvernement de la zone euro, à l’occasion des réunions duquel les chefs d’État et de gouvernement prendraient ensemble les décisions économiques et budgétaires indispensables ;
créer un Fonds monétaire européen, le fonds européen de stabilité financière (FESF) ;
débattre des statuts de la Banque centrale européenne, sans toutefois remettre en cause son indépendance.


Des choix cruciaux s’imposent aux Européens et, cela, à courte échéance. Des choix qui devront convaincre à la fois les marchés, instantanément, et les opinions publiques, au rythme du calendrier politique des pays concernés. Sur ce dernier point, Nicolas Sarkozy s’est voulu clair : « Ce n’est pas parce qu’il y a bientôt une élection présidentielle qu’il faudrait attendre ».


Vers une Europe à trois vitesses ?


À mot couvert, Nicolas Sarkozy envisage une étape essentielle, refondatrice, de la construction européenne. Ce qu’il dessine, et qui se profilait déjà depuis l’été, c’est la silhouette d’une Europe à plusieurs vitesses. Non pas seulement deux mais, probablement, trois vitesses et trois niveaux : l’Union européenne, la zone euro et un noyau dur autour de l’Allemagne et de la France.
Cette Europe à trois vitesses – si Europe à trois vitesses il doit y avoir -, elle serait imposée tant par la disparité des réalités économiques et sociales, au sein de l’Europe à 27 comme de la zone euro, que par la lourdeur des processus de ratification des modifications de traité au sein l’Union version traité de Lisbonne. Pour créer un « noyau dur », une procédure plus souple, fondée sur une série de traités bilatéraux comme les Accords de Schengen, pourrait être suivie et quelques semaines pourraient éventuellement suffire.


Rendre à la France la maîtrise de son destin


Un projet européen clairement exprimé pour « plus de discipline, plus de solidarité, plus de responsabilité assumées devant les peuples un véritable gouvernement économique ». Et un discours au lyrisme très « réaliste », qui n’a pas boudé quelques envolées de style : « Pour rendre aux Français la maîtrise de leur avenir, il faut rendre à la France la maîtrise de son destin »… Et à l’Europe celle de sa monnaie ?


Les prochains rendez-vous


Acte II – vendredi 2 décembre – Berlin : Angela Merkel s’adresse au Bundestag


Acte III – lundi 5 décembre – Paris : Sommet franco-allemand à l’Élysée


Acte IV – vendredi 9 décembre – Bruxelles : Sommet européen


 

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