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«Presse papier» vs «Presse numérique»

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Lors de discussions récentes avec des personnalités politiques, j’ai pu mesurer à la fois l’envie des politiques de se saisir des difficultés des médias classiques pour les aider et, simultanément, leur difficulté à trouver les leviers adéquats.

Le taux de lecture de la presse papier est en baisse

[image:4,s]Le Cercle d’Analyse Stratégique, émanation de Matignon, vient de publier, à quelques mois des élections, sa contribution au débat.

À mes yeux, elle renforce cette impression de lucidité, de bonne volonté… et de difficulté.

Le taux de lecture de la presse papier est toujours orienté à la baisse, très fortement pour la presse payante qui passe sous les 30 % de taux de lecture.
À ce stade, j’aurais quatre premiers commentaires :

–   ces 30 % constituent un seuil, qui a donc été franchi à la baisse

–   ils sont à rapprocher d’un taux de 43 % en 1989.

–   ces données datent de 2008, qu’en est-il aujourd’hui ?

–   la chute est, comme on pouvait s’y attendre, encore plus forte auprès des jeunes générations.

La crise accélère le basculement de la presse vers les supports numériques

La baisse des revenus publicitaires, l’autre source de revenus de la presse, est encore plus forte.

L’effet crise joue à coup sûr. Mais elle se double d’un basculement structurel en train de se produire au profit des supports numériques.

Non seulement on peut prévoir sans grand risque d’erreur qu’il n’y aura pas de « sortie de crise » et de retour aux investissements publicitaires « d’avant », mais on doit s’attendre à ce que les annonceurs découvrent avec délices les infinies possibilités qu’offrent les supports numériques pour analyser leurs dépenses, comprendre leurs consommateurs, dialoguer avec eux et anticiper leurs comportements.

Parmi les avantages que les annonceurs voient aux médias numériques, la possibilité de contrôler leurs dépenses est essentielle.
Qui peut penser qu’ils vont se priver de l’occasion, tant attendue, d’enterrer l’antienne inventée par Sir D.Ogilvy : « je sais que la moitié de mes dépenses de publicité est inutile, mais je ne sais pas quelle moitié » ?

Si l’on se réfère à la situation aux Usa, qui souvent préfigure les scénarios à venir en France, on y trouve exactement les mêmes fondamentaux… mais accentués.

Le CAS pense que nous disposons de 7 à 10 ans avant de connaître en Europe une situation comparable. Personnellement je suis prêt à parier que la vague nous touchera beaucoup plus vite, d’autant que les mêmes phénomènes sont déjà à l’œuvre.

Préserver la qualité des contenus de la presse papier

[image:2,l]Matignon réalise qu’avec de telles baisses de recettes, actuelles et prévisibles, les coûts ne pourront rester stables et que les groupes devront procéder à des économies qui pourraient se traduire par de sévères mesures de compression de personnel puisque les autres coûts (papier, impression, distribution) échappent pour l’essentiel aux groupes de presse.

En procédant ainsi, comme l’ont fait nombre de journaux US, c’est la qualité des contenus qui risque d’être mise à mal. Et comme la qualité des contenus reste l’argument n° 1 pour justifier de la supériorité de l’écrit sur les médias numériques, on comprend le désarroi du CAS, qui s’interroge sur la possibilité de continuer à « fabriquer de la qualité » sans en payer les coûts habituels…

Et quand le CAS liste les avantages de la presse en ligne (dont à mon sens il sous-estime quelques-unes, notamment publicitaires : immédiateté, étendue des contenus quasi-illimitée, enrichissement multimédia, interactivité, possibilités publicitaires) il est conduit à  envisager un scénario où les supports numériques se substitueraient au support papier, ce qui, écrit-il, « serait synonyme d’un bouleversement complet des métiers et ressources financières des groupes de presse »…

Problème… face à ce tsunami annoncé et lucidement prévu, les mesures proposées semblent légères. Constater les qualités des tablettes (que j’annonce depuis 15 mois) et préconiser d’améliorer la formation des journalistes semble quelque peu déconnecté d’enjeux pourtant bien identifiés…

À la décharge du CAS, bien peu vont plus loin et, au moins, fait-il preuve de courage dans l’analyse. Par ailleurs, l’État ne peut pas tout et les groupes doivent prendre leur destin en main.

Un monde de citoyens numériques

[image:3,l]Impossible en quelques lignes de régler la question, mais je voudrais néanmoins donner plusieurs voies, sur lesquelles je reviendrai de manière plus détaillée dans les prochaines semaines.

Il faut tout d’abord accepter l’idée, et cesser de la discuter, selon laquelle les citoyens sont désormais des « citoyens numériques permanents ».

À la fois utilisateurs multi-quotidiens d’appareils numériques et connectés en continu au Web (le principe du « nuage », dont Apple et ses Apps a été le précurseur, fait que nos devices ne peuvent tout simplement plus fonctionner sans être en ligne, ou alors de manière très dégradée).

Il est donc normal qu’ils s’informent en priorité sur des supports numériques !
Le papier ne disparaîtra pas, mais devient d’ores et déjà un support secondaire, bientôt il ne concernera plus qu’une minorité (d’autant que ses coûts unitaires augmenteront).

La deuxième idée, réconfortante, est que la consommation d’information ne va pas diminuer, au contraire. Le marché n’est donc pas en lui-même déprimé.

Vendre un savoir-faire adapté aux supports numériques

On peut faire le parallèle avec le marché de la photographie : il se prend davantage de photographies dans le monde qu’à n’importe quel moment de l’histoire, mais quasiment plus sur support argentique.
Est-ce un drame ?

Les fabricants d’appareils photos qui ont compris que leur mission était de continuer à produire des appareils photos, mais de technologie numérique, ont traversé la révolution. De nouveaux sont apparus, mais Canon, Nikon, Pentax etc. sont toujours en pleine santé.

Les producteurs de contenus que sont les groupes de presse sont face au même choix et à la même révision de leur métier : les contenus journalistiques sont et seront toujours aussi demandés mais de moins en moins sur support papier.

Que doivent-ils faire ? Ma réponse est simple : à l’instar des fabricants d’appareils photo, réussir à vendre leur savoir-faire sur des supports numériques.

À mon sens, toute autre voie est vouée à l’échec ou constitue un combat d’arrière-garde.
Ils doivent donc résoudre une triple équation :

–   comment produire des contenus adaptés aux supports numériques

–   comment les distribuer

–   comment en dégager des revenus.

De ces questions en naîtront d’autres, notamment sur les métiers que les groupes de presse doivent continuer à exercer et ceux qu’il sera préférable de confier à des partenaires.
J’approfondirai tous ces points dans les prochaines semaines.

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