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RD Congo : l’État déliquescent (1re partie)

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Alors que le président de la République sortant, Joseph Kabila, semble avoir été réélu avec près de 49 % des voix suite aux élections présidentielles du 28 novembre, la situation en République démocratique du Congo est toujours aussi préoccupante. Le pays, continuellement en proie à la guerre civile, est le théâtre tout à fait unique au monde d’interventions et d’ingérences innombrables de la part de ses voisins. Radiographie du drame congolais : 1re partie.

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L’enfer : du Rwanda au Congo

Six millions de morts. C’est l’estimation effroyable du nombre des victimes des violences en RD Congo depuis 1996. Dans l’indifférence quasi-générale, le sang et la mort coule le long de l’interminable fleuve Congo. Combats, exactions, massacres, viols de femmes et d’enfants. Plonger dans l’histoire récente du pays, c’est descendre de plain-pied dans les abîmes du monde.

En cause, en premier lieu, comme en Somalie, un État qui n’a ni les moyens matériels, ni les moyens financiers, ni encore la légitimité nécessaire pour exercer son pouvoir et contrôler son territoire (failed state en jargon diplomatique). Or la nature a horreur du vide, et la RD Congo est un grand trou noir. Ce pays gigantesque (deuxième pays africain en superficie), de près de 70 millions d’habitants et doté d’immenses ressources naturelles, est la proie de voisins pourtant bien plus petits que lui.

En tête, le Rwanda, état minuscule et surpeuplé (plus de 300 hab/km²), d’où les prolongements du génocide des Tutsis par les Hutus ont tristement débordé chez son grand voisin. Ses deux « ethnies » sont en effet largement présentes dans l’est de la RD Congo, en Ouganda et au Burundi notamment. Or, suite à la reconquête du Rwanda par les Tutsis après le génocide de 1994, des millions de Hutus ont fui le pays. Et près d’un million se sont réfugiés en RD Congo (ex-Zaïre), dans une petite région de l’est appelé Kivu (Nord-Kivu et Sud-Kivu). Pour les militaires Hutus et les miliciens interhamwe (génocidaires), les camps de réfugiés deviennent alors des base d’attaques idéales pour reconquérir le Rwanda. En réaction, l’Ouganda et le Rwanda s’allient aux Tutsis congolais et à Laurent-Désiré Kabila, opposant du vieux dictateur Mobutu. Commence ainsi la 1re guerre du Congo (octobre 1996 – mai 1997). Ensemble ou chacun de leur côté, ils détruisent les camps Hutus dans l’ex-Zaïre et rapatrient de force les réfugiés au Rwanda. Mais parmi eux, près de 400 000 Hutus refusent de rentrer et décident de fuir. Dès lors, les troupes de l’Armée patriotique rwandaise n’auront de cesse de les pourchasser à travers tout le Zaïre. Dans cette course folle, 200 000 périssent, victimes des massacres, des maladies, de la faim, ou de l’épuisement. Avant, et après en représailles, des Tutsis du Zaïre sont massacrés par des Hutus.

En mai 1997, grâce à ses alliés rwandais et ougandais, Laurent-Désiré Kabila accède au pouvoir à Kinshasa.

Deuxième guerre du Congo

Un an plus tard : coup de théâtre. Le nouveau leader renverse ses alliances et se retourne contre ses anciens parrains qu’il accuse (à raison) de piller les richesses de la désormais République démocratique du Congo. C’est la 2e guerre du Congo ou « conflit des Grands Lacs », où pas moins d’une dizaine de pays de la sous-région sont impliqués de près ou de loin. Elle oppose le gouvernement Kabila, allié désormais au reste des milices hutues et soutenu par l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie et le Tchad, à la coalition formée par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, qui s’appuie maintenant à la fois sur des Tutsis congolais et des opposants politiques congolais de Kabila, le R.C.D. (Rassemblement congolais pour la démocratie). Cette coalition réussit alors à prendre le contrôle d’une partie de l’est et du nord du pays et ne tarde pas à tenter d’en exploiter les richesses.

Mais nouveau rebondissement dans la foulée : la coalition ne tient pas. Rwandais et Ougandais ne s’accordent pas sur le partage des ressources minières. Et, dès août 1999, les armées des deux pays s’affrontent, tandis que le R.C.D. se scinde sur une base ethnique entre factions rivales pro-rwandaises (ethnie Hema) et pro-ougandaises (ethnie Lendu). En découlent, dès lors, à l’extrême-est, de terribles heurts interethniques au Kivu entraînant la mort de dizaines de milliers de personnes.

Assassinat de Laurent-Désiré Kabila et accords de Sun City

Le 16 janvier 2001, à l’autre bout du pays, et moins de quatre ans après son accession au pouvoir, Laurent-Désiré Kabila est assassiné par un de ses gardes du corps à Kinshasa. Qui sont les commanditaires ? Ses anciens alliés trahis (Rwanda, Ouganda) ? Un nouvel allié trop ambitieux (Angola) ? Un opposant politique congolais ? Son propre fils, Joseph Kabila ? Aucune hypothèse ne peut être écartée tant le Congo nous habitue aux scénarios invraisemblables.

Quoi qu’il en soit, Joseph, son fils, alors âgé d’à peine trente ans, lui succède immédiatement à la tête de l’État. Et, dès 2002, il signe les accords de Sun City (Afrique du Sud). Ces accords établissent une alliance et un partage du pouvoir avec Jean-Pierre Bemba, leader d’un des mouvements issus de la scission du R.C.D., le Mouvement pour la libération du Congo (MLC, soutenu par l’Ouganda). Ainsi, il contrôle environ 70 % de la RD Congo. En juin 2003, et en vertu de ces accords, il forme un gouvernement d’union nationale de transition. Restés à quai, l’U.D.P.S., parti de l’éternel opposant à Mobutu, Étienne Tshisekedi, et le RCD-Goma, mouvement soutenu par le Rwanda, dénoncent conjointement ces accords et la « transition » qui en résulte. Conséquence directe, Étienne Tshisekedi boycottera les élections présidentielles prévues pour 2006.

En 2003 toujours, l’Ouganda et le Rwanda retirent officiellement leurs troupes de RD Congo pour satisfaire la communauté internationale. Mais malheureusement, continuent cyniquement à alimenter le conflit interethnique en Ituri (Hema contre Lendu), district au nord des Kivu. L’ampleur des tueries incitera d’abord l’Union européenne à réagir (opération Artémis sous commandement français), puis l’ONU prendra le relais à travers la MONUC, plus grande opération de maintien de la paix onusienne de l’Histoire (18 000 hommes).

Il faut le dire, ces opérations de maintien de la paix se retrouveront elles-mêmes bientôt au cœur de divers scandales et n’échapperont pas aux guerres partisanes. L’action de la MONUC en particulier se retrouvera durablement entacher par des actes d’une très grande gravité : collusion avec certains chefs rebelles (en particulier Laurent Nkunda), corruption, scandales sexuels impliquant des casques bleus, voire même des cas de meurtres.

Aucune trahison, aucun crime, aucune abjection ne seront décidément épargnés à la RD Congo.

Pour toutes les parties en présence, la ligne de mire désormais est claire : les élections présidentielles prévues en 2006. Elles opposeront les alliés de circonstances de Sun City, Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba.

Fin de la 1re partie

 

*La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à la participation de Philippe Hugon (Directeur de recherche à l’IRIS), Pierre Jacquemot  (Chercheur associé à l’IRIS) et à la lecture du très instructif « Géopolitique de l’Afrique » d’Eric N’Guyen.

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