Site icon La Revue Internationale

RD Congo : l’État déliquescent (2e partie)

kabila.jpgkabila.jpg

Alors que le président de la République sortant, Joseph Kabila, semble avoir été réélu avec près de 49 % des voix, suite aux élections présidentielles du 28 novembre, la situation en République démocratique du Congo est toujours aussi préoccupante. Le pays, continuellement en proie à la guerre civile, est le théâtre tout à fait unique au monde d’interventions et d’ingérences innombrables de la part de ses voisins. Radiographie du drame congolais : 2partie.


Élections de 2006 et reprise des violences au Kivu


[image:1,l]


Le 29 octobre 2006, Joseph Kabila remporte, face à Jean-Pierre Bemba, le second tour des élections présidentielles avec 58 % des voix. Victoire par K.-O. quand, deux ans plus tard, Jean-Pierre Bemba est arrêté à Bruxelles, puis inculpé par la Cour pénale internationale à La Haye. Les chefs d’inculpation ? Crimes sexuels, crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Les faits reprochés (particulièrement ignobles) furent commis par ses troupes en République centrafricaine (au nord de la République démocratique du Congo) au début des années 2000. Ses partisans vont aussitôt dénoncer un procès politique destiné à l’empêcher de participer aux élections présidentielles du 28 novembre 2011. Aujourd’hui, encore incarcéré à La Haye, il n’a effectivement pas pu y prendre part.


Ces événements n’empêcheront pas, en octobre 2008, le Nord-Kivu de renouer avec les violences, bien au contraire. Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (F.D.L.R.), mouvement hutu, s’y sont encore une fois basées pour lancer des incursions meurtrières au Rwanda. Excédées, les autorités rwandaises soutiennent la rébellion du pasteur tutsi et ex-général de l’armée régulière congolaise Laurent Nkunda. Ce dernier, très ambitieux, entend lutter aussi bien contre le F.D.L.R. que contre le gouvernement Kabila. Et affiche clairement sa volonté de prendre la place de Bemba en tant qu’opposant numéro un au pouvoir en place à Kinshasa. Pour ce faire, il n’hésite ni à semer la terreur au Nord-Kivu ni à appeler à un soulèvement national pour renverser le chef de l’État.


Mais voilà, devenu incontrôlable, il va se heurter à un nouveau retournement de situation spectaculaire dont la région a le secret. En janvier 2009, à la surprise générale, le Rwanda lâche le pasteur-général et renoue avec Kabila. Les événements se précipitent, et dès le 22 janvier, Laurent Nkunda est arrêté par les autorités rwandaises et placé en résidence surveillée. En contrepartie, l’armée congolaise, de concert avec les forces rwandaises, intervient à deux reprises au Nord-Kivu pour stopper le F.D.L.R. (différentes O.N.G. y dénonceront des exactions contre les populations civiles hutues). Mais cette alliance surprenante suscite colère et indignation en RD Congo. Comment Joseph Kabila a-t-il pu s’allier avec l’ennemi honni rwandais ? Pour signifier sa réprobation, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, démissionne. Et alors qu’il fut longtemps son bras droit, il sera bientôt candidat aux élections présidentielles contre le président sortant.


Sauveur de la nation, marionnette à la solde de forces étrangères ou fin stratège ?


Qui est Joseph Kabila ? Alors qu’il est, bon gré mal gré, au pouvoir depuis 2001, cet homme reste un mystère. Il n’est ni géographiquement, ni « ethniquement » clairement marqué. Certains mettent même en doute son statut de « Congolais » à part entière. Taiseux, sans charisme, et peu présent dans les médias, il a pourtant réussi le tour de force de rester au pouvoir près de dix ans dans ce pays si complexe à gouverner. Au minimum, il possède une certaine maîtrise du jeu des alliances avec ses voisins. Tantôt soutenu par l’Angola, le Rwanda ou l’Ouganda, il a su également s’attirer la sympathie de grandes puissances, au premier rang desquelles la Chine. Cette dernière, présente dans le pays depuis l’avènement de Kabila-père, possède aujourd’hui d’importants intérêts stratégiques en République démocratique du Congo. Le cuivre du Katanga (région Sud-Est) l’intéresse tout particulièrement. Pékin y a signé un contrat d’exploitation de plus de 6 milliards de dollars en contrepartie de la construction d’infrastructures.


Joseph Kabila est moins proche des pays occidentaux. En effet, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas sont surtout présents dans le Nord et l’Est du pays, où leurs multinationales exploitent des minerais ou du pétrole. En conséquence, leurs interlocuteurs privilégiés sont plutôt les présidents rwandais et ougandais, Paul Kagamé et Yoweri Museveni, véritables détenteurs du pouvoir dans ces régions. La France, même si elle n’y possède plus beaucoup d’intérêts économiques (le groupe Total tente toutefois d’y remédier), reste un acteur important dans la région, pour des raisons essentiellement historiques et surtout culturelles : la République démocratique du Congo est le plus grand pays francophone du monde.


En matière de politique intérieure aussi, Joseph Kabila a su manœuvrer habilement. Comme nous l’avons vu, élu en 2006, il a battu un Jean-Pierre Bemba que des circonstances favorables ont permis d’évincer semble-t-il définitivement. Puis, a su se débarrasser de Laurent Nkunda au prix d’une alliance des plus controversée. En 2011, il a changé la loi afin d’instaurer des élections présidentielles au scrutin majoritaire à un seul tour. Stratégie gagnante : avec onze candidats au départ et une opposition divisée, les règles du scrutin lui étaient très favorables. Sans compter évidemment quelques bourrages d’urnes…


Résultats : Vital Kamhere 8 %, Étienne Tshisekedi 33 % et Joseph Kabila 49 %. Le reste se partageant les miettes.


Malgré les nombreuses irrégularités constatées, l’écart de plus de quinze points avec le second et la crainte de voir le pays retomber dans le chaos devraient suffire à ce que la communauté internationale ne le contrarie pas trop.


Reste que, d’après ces dernières déclarations, le « Sphinx de Limete », Étienne Tshisekedi, que l’on croyait vieux et malade, ne semble pas avoir dit son dernier mot ni vouloir reconnaître la défaite. Quitte à plonger le pays dans une nouvelle guerre civile ?


Les enjeux du deuxième mandat Kabila


[image:2,l]


Joseph Kabila vient donc d’être réélu à la présidence de la République. Sans que l’on sache s’il réussira à conserver le pouvoir face aux mécontentements d’une population exsangue et d’un opposant visiblement déterminé. Quoi qu’il en soit, sa tâche est immense. La République démocratique du Congo est aujourd’hui un pays sous assistance. 60 % du budget de l’État provient de l’aide internationale. 20 000 hommes de la MONUC tentent d’y apporter difficilement la sécurité, en particulier au Kivu. Les énormes richesses minières du pays continuent d’être pillées par les multinationales américaines, européennes et chinoises. L’espérance de vie atteint difficilement 46 ans, les infrastructures sont en ruine et 30 % de la population est analphabète. Les tensions ethniques restent très fortes, et comme nous l’avons vu, souvent attisées par les pays limitrophes.


Une partie importante de la population est traumatisée par des années de guerres civiles atroces. Le viol a été utilisé comme arme de guerre systématique par toutes les parties en présence. Des enfants ont été recrutés de force dans diverses milices. Les pays voisins continuent de prendre la République démocratique du Congo comme un espace où l’on peut se servir impunément. Telles les milices LRA (Armée de résistance du Seigneur) à la solde de l’Ouganda qui, basées en Centrafrique, mènent des incursions meurtrières dans le Nord.


Malgré 150 000 hommes, l’armée régulière congolaise reste incapable de faire régner l’ordre, de protéger les populations civiles ou de maîtriser ses frontières. Elle est faible, corrompue, mal encadrée et compte dans ses rangs d’anciens rebelles intégrés après les accords de paix successifs. Son rôle sera toutefois majeur dans la réussite de Kabila… si elle le soutient jusqu’au bout.


Au centre de son premier mandat, les questions de l’accès à l’eau potable et à l’électricité, de l’emploi, de la santé ou des infrastructures n’ont pas été résolues, et les promesses non tenues. Restent, pour Joseph Kabila, les questions essentielles : comment rétablir l’unité du pays ? Comment recouvrer la maîtrise de l’ensemble du territoire ? Des questions de souveraineté… ou de mort.


*La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à la participation de Philippe Hugon (Directeur de recherche à l’IRIS), Pierre Jacquemot (Chercheur associé à l’IRIS) et au très instructif « Géopolitique de l’Afrique » (Studyrama perspectives) d’Éric N’Guyen. Merci à eux.

Quitter la version mobile