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« Sesame Street » à la conquête des petits Afghans

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[image:1,l]  Sesame Street

Sesame Street version afghane

Ces personnes, entassées dans un bureau du centre de Kaboul, ne pourraient pas paraître plus ordinaires. Il y a tout d’abord, Zubaid, un jeune homme vêtu d’un pull et d’un bonnet tricoté, Ali, dans son costume, un grand aux cheveux courts, puis, Ferishta, dans une grande robe noire typique. Ils sont tous dans cette pièce, un peu timide, ils sourient poliment.

Mais une fois dans un studio d’enregistrement, ils se transforment. Doués de formidables talents, ils donnent désormais vie aux personnages de Sesame Street pour la joie de milliers, voire de millions d’enfants afghans.

Grâce à une subvention de l’ambassade américaine à Kaboul, la production Kaboora travaille, depuis près de dix mois, à imposer les personnages de Shahpar et Kachkool en Afghanistan.

La série a débuté il y a une semaine et a déjà attiré une forte audience dans un pays en quête de bonnes nouvelles.

Les parents afghans applaudissent l’initiative

[image:2,s]Pour ce père de Kaboul, dont la petite fille de trois ans est plutôt capricieuse, Sesame Street est une véritable aubaine : « Dès qu’elle a vu les personnages, notre petite Hamsa s’est assise bien droite et a mangé ses céréales » explique Inayat en riant.

Beaucoup sont impressionnés de la même manière : « Mon neveu de cinq ans est resté collé à la télévision jusqu’à la fin de l’émission » explique Fazel Oria, un habitant de Kaboul. « Je ne savais pas du tout que c’était une émission étrangère. »

Kaboul, telle qu’elle était il y a trente ans

Tania Farzana, la productrice afghano-américaine du show, espère que Sesame Street apportera plus que de la sagesse aux enfants. Elle s’est donné une mission : apporter aux enfants afghans une autre idée de la vie, en opposition à la guerre qu’ils ont toujours connue.

« J’étais l’enfant le plus chanceux du monde » déclare Tania Farzana. Née à Kaboul dans les années soixante-dix, elle a émigré aux États-Unis à l’âge de 9 ans. « Il y avait tellement de confort et de chaleur, une impression de sécurité. Les enfants d’aujourd’hui ne peuvent pas imaginer Kaboul comme ça. »

Revenir après 30 ans a été un véritable choc.

« Les trois premiers mois m’ont brisé le cœur, confesse-t-elle. Rien ne ressemblait à ce que j’avais connu. »

Tania Farzana se souvient d’une ville dans laquelle sa mère conduisait une bicyclette pour aller à l’université, où les femmes étaient libres de faire ce qu’elles voulaient.

« Ma mère n’a jamais porté quelque chose comme ça » dit-elle, en remettant en place le foulard blanc qu’elle porte pour couvrir ses cheveux.

Réunir les enfants afghans à travers un show télévisé

[image:3,s]À travers Sesame Street, Tania Farzana veut donner aux enfants le sens de l’émerveillement.

« J’espère que nous pourrons leur donner le droit d’utiliser leur imagination. […] Cela leur insufflera l’empathie, la capacité à vivre avec les autres. »

Cela pourra, en retour, aider à réduire certains conflits religieux, ethniques et régionaux qui existent parmi les Afghans.

Le projet est ambitieux. Si la plupart des séquences viennent des archives de New York, donner aux marionnettes de Sesame Street une identité afghane a été un véritable défi.

« Nous avons étudié la candidature de 600 personnes pour 15 personnages, explique Tania Farzana. Tout devait être parfait. »

Ce n’est pas juste une question de traduction de dialogues. Le langage devait être ciblé pour le bon groupe d’âge – trois à sept ans -, et les textes devaient contenir le même nombre de syllabes que le texte anglais pour la synchronisation des marionnettes.

« Nos acteurs sont devenus co-créateurs par leur travail de dialoguistes. »

Un show télévisé pour les Pachtounes, les Tadjikes et les Ouzbeks

En plus de cette animation familiale, Tania Farzana travaille sur 26 séries sur la vie et la société afghane à diffuser pendant le show d’une heure et demie.

Ces films aborderont des sujets très variables, du premier jour d’école au cerf-volant.

Le premier jour d’école mettra en scène une petite fille nommée Hazara. Ce choix n’est pas accidentel.

« De nombreuses personnes appellent « hazaras« » les « infidèles« , qui sont principalement chiites. « Nous voulions montrer que la mère de cette petite fille la bénit avec le Coran lorsqu’elle quitte la maison, comme le font des millions de femmes tous les jours. Nous voulons que les enfants Pachtounes du sud, les Tadjikes ou Ouzbeks du Nord regardent la télévision et se disent « cette fille est comme moi ». »

Le message de Tania Farzana est particulièrement d’actualité à la suite de cette vague d’attaque contre les Chiites de Kaboul le 6 décembre dernier, alors qu’ils célébraient la fête de l’Ashura. Plus de cinquante personnes ont été tuées, et la peur de nouvelles violences ethniques et sectaires est croissante.

Sesame Street, ou Bagch-e-Simsim, comme ils l’appellent ici, veut écarter ces peurs.

Culture américaine vs. culture afghane

[image:4,s]Mais quand la culture afghane se frotte aux règles de Sesame Street, cela crée des étincelles.

« Nous voulions diffuser quelques séquences montrant des enfants avec des cerfs-volants sur les toits. […] Cela arrive tout le temps en Afghanistan, mais Sesame Street a décrété que nous ne pouvions pas les utiliser, parce que cela allait contre leurs règles de sécurité. »

Sesame Street attache une grande importance à l’enseignement de la protection aux enfants, et ne veut pas que les jeunes Afghans soient encouragés dans des pratiques dangereuses.

La saison finale du show est plus problématique. Tania Farzana voudrait montrer un père emmenant sa fille de six ans à la prière du vendredi. Mais les responsables du show Sesame Street qui appliquent une politique résolument laïque, ont refusé.

« Je leur ai expliqué que ce n’était pas une question de religion. […] C’est un sujet de communauté. En Afghanistan, la vie sociale tourne autour de la mosquée, vous allez là-bas pour rencontrer vos amis et vous en faire de nouveaux, vous y allez pour ne pas vous sentir seul. »

Après avoir obtenu un feu vert de principe côté américain, elle s’est ensuite confrontée à des difficultés côté afghan.

« Beaucoup de monde ne voulait pas que je montre un père emmenant sa fille à la mosquée. Ils m’ont dit « C’est une fille ! » et j’ai répondu « oui, mais c’est une enfant ! » »

Le problème n’est toujours pas résolu, mais Tania Farzana, une femme d’une prodigieuse énergie et d’un enthousiasme déconcertant, s’est juré de diffuser cette séquence.

« J’aurais une séquence sur la prière du vendredi » déclare-t-elle fermement.

Premiers signes encourageants

En attendant, elle se contente des progrès qu’elle fait. Son équipe a forgé des liens solides, surmontant tous les obstacles que la société afghane d’après-guerre a mis sur leur chemin.

« Regardez ces deux-là » dit-elle en montrant Zubaid et Ali. « L’un est Pachtoune et l’autre est Kizlbash. L’un parle le Pachtou et l’autre le Dari. L’un vient du nord et l’autre du sud. Il y a tellement de choses qui les séparent, mais ce sont les meilleurs amis du monde. Hier, ils sont venus à cheval, tous les deux. »

Quand on lui demande si Bagch-e-Simsim l’a aidé à dépasser leurs différences, Zubaid répond avec un large sourire.

« Oui, dit-il. Quand nous sommes dehors, nous sommes nous et nos personnages réunis. »

Abdul Qayum Suroush, journaliste à Kaboul a contribué à ce reportage
Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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