Gulnaz, emprisonnée depuis deux ans pour avoir été violée, a été libérée la semaine dernière, à la demande du président Karzai. Cette jeune Afghane est pourtant loin d’être libre. Elle pourrait être contrainte de se marier avec son agresseur.
Ses yeux tristes et tourmentés sont devenus célèbres dans le monde entier. Peu de situations ont réussi à capter la même attention que l’histoire de Gulnaz, une jeune femme afghane emprisonnée pour « crimes contre la morale » après avoir été violée par le mari de sa cousine.
Sa priorité: protéger sa fille
Sa sentence a été sévère et pourrait se transformer en une condamnation à vie : bien qu’elle soit en sécurité, elle doit désormais faire des choix difficiles.
Deux alternatives s’offrent à elle : elle peut accepter d’épouser son agresseur, ou fuir pour toujours.
En Afghanistan, peu de situations sont pires que celle d’être une harami, une « illégitime ». Cette petite fille illégitime, Moska, a maintenant près d’un an, elle est née en prison. En Afghanistan, l’honneur de cette petite fille est déjà bafoué, elle ne sera jamais acceptée par la société, même si ses parents se marient.
[image:2,s]Ainsi Gulnaz, qui a purgé deux ans des douze prévus en cas d’accusation « d’adultère forcé », acceptera probablement d’épouser l’homme qui l’a agressée. Ceux qui l’ont soutenue aux cours de ces deux dernières années, confient qu’elle se préoccupe uniquement du sort de son enfant.
« C’est une mère amoureuse » assure Kimberley Motley, l’avocate américaine qui défend Gulnaz. « Elle ne veut pas épouser son agresseur. Elle veut juste protéger Moska. »
Gulnaz pourrait accepter d’épouser son agresseur
« Maintenant elle veut détruire la vie d’une autre femme ? » s’interrogeaient les Occidentaux expatriés en Afghanistan.
En fait, Gulnaz tente simplement d’utiliser une vieille tradition afghane pour se protéger. Il s’agit d’un usage commun, appelé b’adal , soit « échange », conçu pour aider les familles qui n’arrivent pas à payer le considérable « prix de l’épouse » demandé dans certains régions du pays. Dans ce cas, une fille est donnée en mariage, si la famille du nouvel époux fournit une femme pour un frère, permettant ainsi aux deux familles d’économiser beaucoup d’argent. Les prix des épouses s’élèvent à des milliers, voire des dizaines de milliers de dollars.
Mais il s’agit d’une clause également utilisée lorsque une femme craint que son mari ne lui fasse du tort. Dans ce sens, la fille donnée en épouse au frère de Gulnaz serait en position d’otage. Toute violence à l’égard de Gulnaz pourrait donc être perpétrée, en retour, sur la nouvelle femme de son frère.
L’agresseur de Gulnaz a immédiatement refusé la proposition. Actuellement en prison, celui-ci purge également une peine pour « adultère forcé ». Il devrait rester encore 5 ans en prison.
L’Union européenne bloque la sortie d’un documentaire sur l’histoire de Gulnaz
Le film n’est jamais sorti dans les salles. L’Union européenne avait exprimé ses inquiétudes concernant la sécurité de la femme. Pour d’autres, l’Union européenne avait tout simplement peur de contrarier le gouvernement afghan.
Mais « Injustice » a été projeté de manière privée à plusieurs journalistes à Kaboul et des copies illégales circulent sur Internet. Rapidement, plusieurs groupes de défense des droits de l’Homme ont demandé l’aide de l’avocate américaine Kimberly Motley.
« Son cas aidera les femmes victimes de violences »
L’avocate est convaincue que le cas de Gulnaz a créé un précédent juridique important. « Le président Karzai, le ministre de la Justice, la Cour Suprême et l’avocat général ont tous reconnu son statut de victime » se félicite Kimberly Motley.
L’attention médiatique pourrait nuire aux victimes
« Gulnaz ne représente pas un changement social » affirme Noorjahan Akbar, cofondateur de Jeunes Femmes pour le Changement, une organisation d’avocats basée en Afghanistan.
Akbar fait ses études dans une université américaine. Elle revient dès qu’elle peut, entre deux semestres de cours, et plaide pour les droits des femmes dans son pays natal. Parfois, son éducation américaine ressort : « Il ne s’agit pas du Brown v. Board of Education [arrêt de la Cour suprême des États-Unis qui déclare la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques], affirme-t-elle. « Cela a été un procès médiatisé. Cela ne va pas aider toutes les autres Gulnaz. »
Bien que le cas de Gulnaz paraisse extrême, il est loin d’être unique en Afghanistan, où, malgré les efforts majeurs réalisés au cours de ces dix dernières années, les femmes ne sont pas libres de leurs destins. »
Cet engouement autour de Gulnaz risque d’étouffer les histoires de ces autres femmes qui aimeraient attirer l’attention sur leurs situations.
« Le cas de Gulnaz aura peut être des conséquences négatives, alerte Akbar. Les gens ont peur de toute cette publicité. Maintenant il est encore plus difficile de rentrer dans les prisons pour parler aux femmes. Une bonne solution pour Gulnaz serait peut-être de quitter le pays. Mais combien de femmes pouvons-nous faire sortir d’Afghanistan ? Le problème n’est pas dans la loi, mais dans la société. Il faudra des générations pour que les choses changent. »