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Alassane Ouattara, un technocrate au pays des éléphants

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[image:1,l] En visite officielle à Paris du 25 au 27 janvier 2012, Alassane Ouattara a été chaleureusement accueilli, comme un véritable ami, par le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy. Accompagné d’une importante délégation de politiciens et d’hommes d’affaires, Alassane Ouattara est venu remercier Paris de son soutien. Au programme, la signature d’un nouvel accord de défense avec la France, qui prévoit le stationnement de militaires français sur la base de Port-Bouët, face à Abidjan, ainsi que de plusieurs partenariats économiques, notamment avec Air France et le groupe Accor. Une manière de sceller la réconciliation franco-ivorienne et d’introniser, au plan international, le nouveau président ivorien qui a succédé à Laurent Gbagbo en avril dernier.

Un économiste pour sauver les meubles

Alassane Ouattara voit le jour pendant la Seconde Guerre mondiale, dans une Côte d‘Ivoire qui n’est alors qu’une partie de l’AOF (Afrique occidentale française). Issu d’une famille aisée, il passe sa jeunesse à Dimbokro, près de la future capitale politique du pays, Yamoussoukro, avant d’aller étudier au Burkina Faso. Celui qu’on surnomme déjà « ADO » (pour Alassane Dramane Ouattara) a tout juste 18 ans lorsqu’est déclarée l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

Il ne ressent pourtant pas encore l’appel de la politique. Profitant d’une bourse, le jeune homme s’envole vers la Pennsylvanie pour y décrocher un doctorat en sciences économiques. Habitué à la vie américaine, il embrasse ensuite une carrière de haut fonctionnaire international.

La carrière d’Alassane Ouattara décolle vite. Arrivé au FMI comme économiste, il en devient directeur pour la zone Afrique après un passage à la BCEAO (Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest), institution qu’il réintègre en 1988 au poste de gouverneur.

La politique finit par l’attraper sans prévenir. En 1989, la Côte d’Ivoire a beaucoup souffert de la crise économique. Le président Félix Houphouët-Boigny décide de tenter un coup de force en interdisant les exportations de cacao. Il espère ainsi faire monter les prix et revigorer l’économie ivoirienne. L’opération est un échec : les producteurs concurrents sont en mesure d’accroître leur production et l’arme chocolatée de la Côte d’Ivoire se retourne contre elle. Houphouët-Boigny brade ses stocks de cacao et crée un poste de Premier ministre en espérant qu’un homme providentiel pourra tirer le pays vers le haut.<!–jolstore–>

Le président vieillissant choisit Alassane Ouattara pour ce rôle. Le haut fonctionnaire international va vite se transformer en président par intérim. Âgé et malade, le président laisse peu à peu le champ libre à Alassane Ouattara, qui gouverne officieusement le pays pendant trois ans. En 1992, après une série de manifestations violentes de l’opposition, il fait arrêter et emprisonner pendant plusieurs mois un certain Laurent Gbagbo, qui lui donnera des années plus tard bien du fil à retordre.

L’héritage d’Houphouët-Boigny

Successeur logique d’Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara ne sera pourtant pas le prochain président de la Côte d’Ivoire lorsque « le vieux » meurt en 1993. Après une modification constitutionnelle, la présidence par intérim est accordée au président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié. Ouattara comprend qu’il a perdu la bataille de la succession et annonce sa démission le jour même de la mort d’Houphouët-Boigny. Il retourne alors au FMI où il devient vice-président.

Loin de la Côte d’Ivoire, il voit arriver les lois inaugurant le concept d’« ivoirité ». Ces mesures de préférence nationale interdisent de se présenter à l’élection sans avoir deux parents ivoiriens de naissance et un domicile au pays. En raison de l’origine burkinabée de son père, Alassane Ouattara ne peut se porter candidat. Il s’insurge contre cette décision et reçoit ironiquement le soutien de Laurent Gbagbo.

En 1999, Konan Bédié est renversé par le général Robert Guéi. Ouattara profite de l’occasion pour rentrer au pays, mais se heurte une nouvelle fois au concept d’ivoirité. Malgré sa participation à une commission de réconciliation, il est écarté des élections une nouvelle fois alors que le pays manque de basculer dans la guerre civile. Laurent Gbagbo, opposant notoire à Konan Bédié, Guéi et Houphouët-Boigny, est élu président en 2000.

L’impossible réconciliation

Après une nouvelle interdiction de se présenter aux législatives, il participe à un nouveau forum de réconciliation. Gbagbo, Guéi, Konan Bédié et Ouattara décident d’enterrer la hache de guerre. Mais rapidement, Gbagbo change d’avis et décide de supprimer ses opposants. Lorsqu’une tentative de putsch par les rebelles du Nord échoue en 2002, le président saute sur l’occasion et fait assassiner Robert Guéi. Alassane Ouattara échappe de peu à un destin semblable. Le 20 septembre 2002, les « escadrons de la mort » de Gbagbo envahissent sa maison. Il est alors contraint d’escalader le mur de son jardin pour aller se réfugier dans l’ambassade d’Allemagne.
Assiégé par les forces de Gbagbo, Ouattara est évacué, dissimulé sous des gilets pare-balles dans la voiture de fonction de Renaud Vignal, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. La rébellion du Nord prend alors parti pour lui et dénonce les abus du gouvernement.

La situation s’apaisera en 2004 avec une médiation franco-africaine qui aboutira aux accords de Marcoussis, puis à ceux d’Accra. Gbagbo accepte alors la candidature d’Alassane Ouattara pour les présidentielles de 2005.

Une élection houleuse

Après avoir reporté six fois l’élection, Gbagbo annonce la tenue du vote pour novembre 2010. Après avoir totalisé 38 % des suffrages au premier tour, le président sortant est persuadé d’emporter le scrutin. Arrivé second, Ouattara bénéficie pourtant du soutien de tous les partis d’opposition, notamment celui d’Henri Konan Bédié. Il remporte alors le second tour avec 54 %. Décontenancé par cette défaite inattendue, Gbagbo utilise ses soutiens au Conseil constitutionnel pour faire invalider l’élection, contre l’avis de la communauté internationale. Refusant de quitter le pouvoir, il contraint Ouattara et ses partisans à se réfugier à l’Hôtel du Golf d’Abidjan.

Après l’échec des négociations diplomatiques, une offensive menée par les rebelles du Nord de Guillaume Soro, avec l’appui de la force française Licorne, finit par faire tomber Gbagbo. Arrêté , il est incarcéré et son dossier est transmis à la Cour pénale internationale de La Haye pour estimer sa responsabilité dans les affrontements meurtriers qu’a connu le pays. L’ancien « boulanger d’Abidjan » laisse le pays aux mains d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro, nommé  Premier ministre.

Réunifier les Ivoiriens

À 69 ans, l’ancien économiste du FMI prend enfin les rênes d’un pays qu’il espérait diriger depuis 1993. Il s’efforce alors de stabiliser politiquement la Côte d’Ivoire en créant, en juin 2011, un gouvernement incorporant des ministres issus des partis de Soro et Konan Bédié.

Durement frappé par la crise politique, le pays a subi une récession et une baisse des exportations de cacao dont il est le premier producteur mondial. Alassane Ouattara lance, peu de temps après sa prise de pouvoir, un plan d’urgence économique pour restructurer les réseaux d’eau potable et d’énergie.

Les défis d’un technocrate

Technocrate à l’européenne, habitué des questions économiques, Ouattara avait déjà mis en pratique un plan de rigueur efficace lorsqu’il était Premier ministre. Il entretient de bonnes relations avec l’Europe et notamment avec Nicolas Sarkozy, dont il déclare être un ami. Amateur de lecture, de ping-pong et de football, « ADO » a déjà presque réussi à rendre à la Côte d’Ivoire une vie politique « normale ». La transition démocratique étant en bonne voie, il lui reste à remettre la machine économique en route. Après des années de conflits internes meurtriers, le pays semble avoir trouvé le chemin de la paix. La mutation vers la modernité repose désormais sur les épaules d’Alassane Ouattara. Le défi politique de la réconciliation ne devra pas lui faire oublier le challenge de la croissance pour que la Côte d’Ivoire retrouve son statut de « bon élève de l’Afrique ».

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