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Angela Merkel se rêve en mère de famille de l’Europe

[image:1,l] En football comme en politique, la meilleure défense pour les Allemands, c’est l’attaque. Sur la défensive, Angela Merkel tenait à montrer aux centaines de chefs d’entreprise et de gouvernement réunis dans la station de sports d’hiver suisse que l’Europe désire mettre toutes les cartes sur la table, qu’elle est consciente de ses problèmes internes et, surtout, qu’elle est dirigée. Au risque de raviver les craintes d’un hégémonisme germanique, la chancelière se place en meneur de jeu, leader ou plutôt capitaine des 27, doté d’une stratégie de jeu claire et d’une volonté imparable de l’emporter.

L’Union fait la force

Angela Merkel a commencé son discours en affirmant sans ambages que l’Union devait débattre de nouvelles méthodes et de nouvelles politiques pour sortir de l’impasse actuelle. Vantant la chance qu’a l’Europe d’être unie, elle a insisté sur le fait que les pays européens devraient trouver ensemble des moyens pour remédier à leurs faiblesses.
Selon elle, la crise de la dette souveraine n’est pas la seule en cause dans les problèmes vécus sur le Vieux Continent. Elle croit plutôt que dans un monde qui compte maintenant 7 milliards d’habitants, il est impératif pour l’Union européenne, si elle veut conserver sa place dans le monde, de redevenir très compétitive et de régler ses problèmes de structures politiques.

La réforme face à la crise

Elle était attendue sur les réponses urgentes à apporter à la crise de la dette, elle a privilégié lors de son intervention les façons dont, selon elle, l’Europe peut et doit évoluer. Une fois de plus, elle fait preuve d’une très grande fermeté et montre ainsi qu’elle n’entend pas céder à la panique, ni se contenter de gesticulations. Les réponses à la crise sont, de son point de vue, des réponses de moyen et long terme, des solutions structurelles plutôt que conjoncturelles. Elle compte sur l’expression de sa détermination à mettre en œuvre, à imposer ces réformes pour convaincre, notamment, les marchés de réduire leur pression et les investisseurs d’investir.

Un parti-pris idéologique : le « merkelisme »

Angela Merkel apparaît d’autant plus déterminée qu’elle met en avant des convictions fortes, des idées qu’elle a défendues tout au long de sa carrière et sur lesquelles elle a fondé sa politique depuis son arrivée à la chancellerie en 2005.
Le merkelisme, sa propre vision du conservatisme, c’est une approche fédéraliste de l’Union européenne et libérale de l’économie. Sans le moindre état d’âme.

Du réalisme et pas de promesses en l’air

Le merkelisme, c’est une certaine éthique en politique : « dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit ». « Nous ne voulons pas promettre des choses que nous ne pouvons pas faire », a indiqué Angela Merkel. « La confiance s’est envolée parce que l’Europe n’a pas tenu ses promesses », a-t-elle poursuivi, mettant en doute le fait qu’augmenter la capacité des fonds de secours de la zone euro puisse rassurer les marchés.
«Ce que nous ne voulons pas (en Allemagne), c’est une situation dans laquelle nous promettons quelque chose que nous ne pouvons pas tenir au final, parce que si l’Allemagne promet quelque chose qu’elle ne peut pas tenir, si les marchés l’attaquent fortement, alors l’Europe sera vraiment vulnérable », a-t-elle ajouté. 
Évoquant ainsi les « pare-feu » financiers que l’Europe cherche à mettre en place et à renforcer, Angela Merkel a confirmé qu’elle jugeait les montants actuels suffisants pour faire face à la crise. Le fonds de secours actuel, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), dispose de quelque 250 milliards d’euros, et son successeur qui, lui, sera un mécanisme permanent, le Mecanisme européen de stabilité (MES), disposera de quelque 500 milliards d’euros.

Plus d’Europe

À Davos, Angela Merkel a appelé à « oser plus d’Europe ». Elle a ajouté qu’il faudra s’habituer « au fait que la Commission européenne, qui a déjà beaucoup de compétences, s’apparentera de plus en plus à un gouvernement ». Son portrait de l’Europe fédérale : la Commission tend vers un gouvernement, le Conseil européen fait office de Sénat et le Parlement renforcé est une puissante chambre basse. Dans son esprit, ce mouvement doit aussi s’accompagner d’une nouvelle vague de transferts de compétences. Ainsi, elle s’éloigne de la vision traditionnelle française, qui donne plus de pouvoirs aux chefs d’Etat aux dépens de la Commission.

Cette vision, fortement inspirée des institutions fédérales allemandes, est très partagée en Allemagne. Elle n’est pas très éloignée des thèses avancées par ses prédécesseurs, Gerhard Schroeder ou Helmut Köhl. La crise que traverse l’Union lui donne simplement l’opportunité de faire avancer ses idées et de pousser ses partenaires vers une évolution qu’elle juge inéluctable.

Plus de rigueur budgétaire

Une fois de plus, Angela Merkel s’est fait le chantre de l’austérité budgétaire, en bonne mère de famille allemande. Elle a plaidé à nouveau en faveur de l’adoption par chaque Etat membre de contraintes budgétaires rigoureuses, sous la forme de « règles d’or » inscrites dans chacune des lois fondamentales. Elle compte bien évidemment sur l’accord intergouvernemental budgétaire décidé à Bruxelles le 6 décembre dernier, et qui est en cours de négociation.

Une approche néolibérale

À défaut de pouvoir compter sur l’outil budgétaire pour retrouver la croissance, Angela Merkel estime qu’il convient d’introduire davantage de flexibilité dans le fonctionnement de l’économie. Dans la lignée des thèses néolibérales, elle est favorable à une large déréglementation, qui toucherait notamment les 1 700 professions libérales encore réglementées en Europe.
En matière de droit du travail, si celui-ci ne relève pas des compétences européennes, elle estime néanmoins qu’il pourrait faire l’objet de nouveaux accords de partenariat entre les pays. Ainsi, elle souhaiterait que, d’ici vingt ans, les salariés européens puissent travailler successivement dans différents pays de l’Union tout en transférant à chaque fois leurs droits – notamment en matière de retraite.
David Cameron, le premier ministre britannique, a par ailleurs, lors de sa propre intervention, indiqué qu’il ferait, conjointement avec la chancelière allemande, des propositions dans ce domaine.

Une politique de l’offre plutôt qu’une relance par la demande

Cette stratégie qui met l’accent sur la nécessité de la création d’emplois et de l’innovation, pour retrouver la prospérité et la garder, a un nom : au regard des théories économiques, c’est une politique de l’offre plutôt qu’une relance par la demande qui s’appuierait, par exemple, sur le financement d’un surcroît de pouvoir d’achat fiancé par le déficit budgétaire. Cette position est largement partagée en Europe, par David Cameron et, sans doute, Nicolas Sarkozy, mais aussi, au sud, par l’Italien Mario Monti, l’Espagnol Mariano Rajoy et le Grec Lucas Papademos. Angela Merkel a d’ailleurs rappelé que de multiples mesures structurelles avaient été mises en place dans les pays européens en difficulté afin de faire diminuer le taux de chômage, mais que celles-ci prendraient du temps avant de donner des fruits.

Au Forum économique mondial de Davos, Angela Merkel a réaffirmé ses positions et nul doute que ce seront celles qu’elle défendra, lundi 30 janvier, à Bruxelles à l’occasion du Sommet européen. Principale puissance du continent, économie la plus vigoureuse, Berlin ne se détourne pas de l’Union européenne, mais sa chancelière entend imposer ses conditions et faire prévaloir son modèle tant économique que politique. Après tout, ces recettes n’ont pas trop mal réussi à l’Allemagne, quand on se souvient du formidable défi qu’elle a su relever il y a 20 ans lorsque, avec la réunification, la République fédérale a su absorber une RDA bien mal en point… 

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